L'éclaireur. Aimard Gustave

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L'éclaireur - Aimard Gustave

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récit, à trois kilomètres environ de l'endroit où se passaient les évènements que nous avons rapportés dans notre précédent chapitre, dans une vaste clairière située sur la lisière d'une immense forêt vierge dont les derniers contreforts venaient mourir sur les rives même du Río Colorado, une assez nombreuse caravane avait fait halte au coucher du soleil.

      Cette caravane venait du sud-est, c'est-à-dire du Mexique; elle paraissait être en marche depuis longtemps déjà, autant qu'il était possible d'en juger par l'état de délabrement dans lequel se trouvaient les vêtements des individus qui en faisaient partie ainsi que les harnais de leurs chevaux et de leurs mules. Du reste, les pauvres bêtes étaient réduites à un état de maigreur et de faiblesse qui témoignait hautement des rudes fatigues qu'elles avaient dû éprouver. Cette caravane se composait de trente à trente-cinq individus environ, tous revêtu du pittoresque et caractéristique costume de ces chasseurs et gambusinos demi-sang, qui seuls ou par petites bandes de trois ou quatre au plus parcourent sans cesse le Far-West, qu'ils explorent dans ses plus mystérieuses profondeurs pour chasser, trapper ou découvrir les innombrables gisements aurifères qu'il recèle dans son sein.

      Les aventuriers firent halte, mirent pied à terre, attachèrent leurs chevaux à des piquets et s'occupèrent immédiatement, avec cette adresse et cette vivacité que donne seule une longue habitude, à installer leur campement de nuit. L'herbe fut arrachée sur un assez grand espace; les charges des mules empilées en cercle formèrent un rempart derrière lequel on pouvait résister à un coup de main des rôdeurs de la prairie, puis des feux furent allumés en croix de saint André dans l'intérieur du camp.

      Dès que ce dernier soin fut pris, quelques-uns des aventuriers dressèrent une large tente au-dessus d'un palanquin hermétiquement fermé et attelé de deux mules, une devant, l'autre derrière. La tente dressée, le palanquin fut dételé, et les rideaux en retombant le couvrirent si bien, qu'il se trouva entièrement caché.

      Ce palanquin était une énigme pour les aventuriers; nul ne savait ce qu'il renfermait, bien que la curiosité générale fût singulièrement éveillée au sujet de ce mystère incompréhensible surtout dans ces parages sauvages; chacun gardait avec soin ses appréciations et ses pensées au fond de son cœur, surtout depuis le jour que dans un passage difficile, profitant de l'éloignement accidentel du chef de la cuadrilla qui ordinairement ne quittait jamais le palanquin sur lequel il veillait comme un avare sur son trésor, un chasseur s'était penché de côté et avait légèrement entr'ouvert un des rideaux; mais à peine cet homme avait-il eu le temps de jeter un coup d'œil furtif à travers l'ouverture ménagée par lui, que le chef, arrivant à l'improviste, lui avait fendu le crâne d'un coup de machette et l'avait renversé mort à ses pieds.

      Puis il s'était tourné vers les assistants terrifiés, et les dominant par un regard fascinateur:

      – Y a-t-il un autre de vous, avait-il dit, qui veuille découvrir ce que je prétends cacher à tous?

      Ces paroles avaient été prononcées avec un tel accent d'implacable raillerie et de féroce méchanceté, que ces hommes de sac et de corde, pour la plupart sans foi ni loi, et accoutumés à braver en riant les plus grands périls, s'étaient sentis frissonner intérieurement et leur sang se figer dans leurs veines. Cette leçon avait suffi. Nul n'avait cherché depuis à découvrir le secret du capitaine.

      A peine les dernières dispositions étaient-elles prises pour le campement, qu'un bruit de chevaux se fit entendre et deux cavaliers arrivèrent au galop.

      – Voici le capitaine! se dirent les aventuriers l'un à l'autre.

      Les nouveaux venus jetèrent la bride de leurs chevaux aux hommes accourus pour les recevoir, et se dirigèrent à grands pas vers la tente. Arrives là, le premier s'arrêta, et s'adressant à son compagnon:

      – Caballero, lui dit-il, soyez le bienvenu au milieu de nous; quoique fort pauvres nous-mêmes, nous partagerons avec joie le peu que nous possédons avec vous.

      – Merci, répondit le second en s'inclinant, je n'abuserai pas de votre gracieuse hospitalité; demain, au point du jour, je serai, je crois, assez reposé pour continuer ma route.

      – Vous agirez comme bon vous semblera: installez-vous auprès de ce foyer préparé pour moi, tandis que j'entrerai quelques instants sous cette tente; bientôt je vous rejoindrai et j'aurai l'honneur de vous tenir compagnie.

      L'étranger s'inclina et prit place devant le feu allumé à peu de distance de la tente, pendant que le capitaine laissait retomber derrière lui le rideau qu'il avait soulevé et disparaissait aux yeux de son hôte.

      Celui-ci était un homme aux traits accentués, dont les membres trapus dénotaient une force peu commune; les quelques rides qui sillonnaient son visage énergique semblaient indiquer qu'il avait dépassé déjà le milieu de la vie, bien que nulle trace de décrépitude ne se laissât voir sur son corps solidement charpenté, et que pas un cheveu blanc n'argentât sa longue et épaisse chevelure noire comme l'aile du corbeau. Cet homme portait le costume des riches hacenderos mexicains, c'est-à-dire la manga, le zarapé aux couleurs bariolées, les calzoneras de velours ouvertes au genou, et les botas vaqueras; son chapeau, en poil de vigogne galonné d'or, avait la forme serrée par une riche toquilla attachée par un diamant de prix; un machette sans fourreau pendait à sa hanche droite, passé simplement dans un anneau de fer; les canons de deux revolvers à six coups brillaient à sa ceinture, et il avait jeté sur l'herbe auprès de lui un rifle américain magnifiquement damasquiné en argent.

      Après que le capitaine l'eut laissé seul, cet homme, tout en s'installant devant le feu de la façon la plus confortable, c'est-à-dire en disposant son zarapé et ses armes d'eau pour lui servir de lit au besoin, jeta autour de lui un regard furtif dont l'expression aurait sans doute donné beaucoup à penser aux aventuriers, si ceux-ci avaient pu le surprendre; mais tous s'occupaient aux soins de l'installation du camp et des préparatifs de leur souper; s'en reposant surtout sur la loyauté de l'hospitalité des prairies, ils ne songeaient en aucune façon à surveiller ce que faisait l'étranger assis à leur foyer.

      L'inconnu, après quelques minutes de réflexion, se leva et s'approcha d'un groupe de trappeurs, dont la conversation semblait fort animée et qui gesticulaient avec ce feu naturel aux races du Midi.

      – Eh! fit un d'eux en apercevant l'étranger, ce seigneur va, d'un mot, nous mettre d'accord.

      Celui-ci, directement interpellé, se tourna vers son interlocuteur.

      – Que se passe-t-il donc, caballero? demanda-t-il.

      – Oh! Mon Dieu, une chose bien simple, répondit l'aventurier; votre cheval, une belle et noble bête, je dois en convenir, señor, ne veut pas frayer avec les nôtres, il fait rage des pieds et des dents contre les compagnons que nous lui avons donnés.

      – Eh! Cela est simple, en effet, observa un second aventurier en ricanant; ce cheval est un costeño, il est trop fier pour frayer avec de pauvres tierras interiores comme nos chevaux.

      A cette singulière raison, tous éclatèrent d'un rire homérique.

      L'inconnu sourit d'un air narquois.

      – Peut-être est-ce la raison que vous avancez, peut-être y en a-t-il une autre, dit-il doucement; dans tous les cas, il y a un moyen bien facile de terminer le différend, moyen que je vais employer.

      – Ah! fit le second aventurier, et quel est-il?

      – Le voici, reprit l'inconnu, du même air placide.

      S'avançant alors vers le cheval que deux hommes avaient peine à contenir:

      – Lâchez-le!

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