Les nuits mexicaines. Aimard Gustave

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Les nuits mexicaines - Aimard Gustave

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tout en conduisant sa mule par la bride.

      – Pour une raison bien simple, mon digne fray…

      – Pancracio, pour vous servir, señor caballero dit le moine en s'inclinant.

      – Pancracio soit, reprit l'officier. J'ai besoin de vous, ou, pour être plus vrai, de votre ministère; en un mot, il s'agit de confesser un homme qui va mourir.

      – Et qui donc?

      – Connaissez-vous el Rayo, señor Frayle?

      – ¡Santa Virgen! Si je le connais, illustre commandant!

      – Eh bien, c'est lui qui va mourir.

      – Vous l'avez arrêté?

      – Pas encore, mais dans quelques minutes ce sera fait, je le cherche.

      – Ah bah! Où est-il donc?

      – Tenez, là, dans ce rancho que vous apercevez d'ici, répondit l'officier en se penchant complaisamment vers le moine et en étendant le bras dans la direction qu'il lui indiquait.

      – Vous en êtes sûr, illustre commandant?

      – ¡Caray! Si j'en suis sûr!

      – Eh bien, je crois que vous vous trompez.

      – Hein? Que voulez-vous dire, sauriez-vous quelque chose?

      – Certes, je sais quelque chose, puisque el Rayo c'est moi! ¡Ladrón maldito!

      Et avant que l'officier, atterré de cette révélation subite à laquelle il était si loin de s'attendre, eût repris son sang-froid, el Rayo l'avait saisi par la jambe, l'avait jeté à terre, s'était mis en selle à sa place, et, s'armant de deux revolvers à six coups cachés sous sa robe, il se précipitait à fond de train sur le détachement, en faisant feu des deux mains à la fois et poussant son terrible cri de guerre: El Rayo! El Rayo!

      Les soldats, aussi et même plus surpris que leur officier de cette attaque si rude et si imprévue, se débandèrent et s'enfuirent dans toutes les directions.

      El Rayo, après avoir traversé tout le détachement, dont il tua sept hommes et renversa un huitième du poitrail de son cheval, ralentit tout à coup l'allure rapide de sa monture, et, après s'être arrêté pendant quelques minutes d'un air de défi à une centaine de pas, voyant que les dragons ne le poursuivaient point; ce que les pauvres diables, épouvantés, n'avaient garde de faire, car ils ne songeaient qu'à s'enfuir, en abandonnant leur officier, il tourna bride et revint vers celui-ci, toujours étendu sur le sol, comme s'il eût été mort.

      – Eh! Commandant, lui dit-il en mettant pied à terre, voilà votre cheval, reprenez-le, il vous servira à rejoindre vos soldats; quant à moi, je n'en ai plus besoin, je vais vous attendre au rancho où, si vous conservez le désir de m'arrêter et de me faire fusiller, vous me trouverez prêt à vous recevoir jusqu'à demain huit heures du matin; au revoir.

      Il le salua alors de la main, enfourcha sa mule et se dirigea vers le rancho, où effectivement il entra.

      Nous n'avons pas besoin d'ajouter qu'il dormit paisiblement jusqu'au matin, sans que l'officier et les soldats, si acharnés à sa poursuite, osassent venir troubler son repos ils étaient repartis pour la Veracruz, sans retourner la tête.

      Voilà quel était l'homme dont l'apparition inattendue au milieu de l'escorte de la berline avait causé une si grande frayeur aux soldats et entièrement glacé leur courage.

      El Rayo demeura un instant calme, froid et sombre en face des soldats groupés devant lui, puis d'une voix brève et nettement accentuée:

      – Señores, dit-il, vous avez, il me semble, oublié que nul, si ce n'est moi, n'a le droit de commander en maître sur les grands chemins de la République. Señor don Felipe Neri, ajouta-t-il en se tournant vers l'officier immobile à quelques pas de lui, vous pouvez rebrousser chemin avec vos hommes, la route est parfaitement libre jusqu'à Puebla; vous me comprenez n'est-ce pas?

      – Je vous comprends, caballero; cependant il me semble, répondit en hésitant le colonel, que mon devoir m'ordonne d'escorter…

      – Pas un mot de plus, interrompit violemment el Rayo, pesez bien mes paroles et surtout faites-en votre profit, ceux que vous espériez rencontrer à quelques pas d'ici, n'y sont plus; les cadavres de plusieurs d'entre eux servent en ce moment de pâture aux vautours. C'est partie perdue pour vous aujourd'hui, croyez-moi, tournez bride.

      L'officier eut une seconde d'hésitation, puis faisant faire à son cheval quelques pas en avant:

      – Señor, dit-il d'une voix que l'émotion faisait trembler, je ne sais si vous êtes un homme ou un démon, pour imposer ainsi seul contre tous votre volonté à des hommes braves: mourir n'est rien pour un soldat, lorsqu'il est frappé en pleine poitrine en face de l'ennemi; une fois déjà j'ai reculé devant vous, je ne veux plus qu'il en soit ainsi, aujourd'hui tuez-moi, mais ne me déshonorez pas.

      – J'aime vous entendre parler ainsi, don Felipe, répondit froidement el Rayo, la bravoure sied bien à un militaire; malgré vos instincts pillards, et vos habitudes de bandit, je vois avec plaisir que le courage ne vous manque point, je ne désespère pas de vous amener plus tard à résipiscence, si une balle en coupant brutalement le fil de vos jours n'arrête subitement le cours de vos bonnes intentions, ordonnez à vos soldats qui tremblent, comme des poltrons qu'ils sont, de reculer d'une douzaine de pas, je vais vous donner la satisfaction que vous désirez.

      – Ah! Caballero, s'écria l'officier, il serait possible, vous consentiriez.

      – A jouer ma vie contre la vôtre, interrompit railleusement el Rayo; pourquoi non? Vous désirez une leçon; cette leçon, vous allez la recevoir.

      Sans perdre un instant, l'officier tourna bride et se mit en devoir de faire reculer ses soldats, manœuvre que ceux-ci exécutèrent avec le plus louable empressement.

      Don Andrés de la Cruz, car maintenant nous lui rendrons son véritable nom, avait assisté en spectateur fort intéressé à toute cette scène à laquelle jusque-là il n'avait osé se mêler.

      Cependant lorsqu'il vit la tournure que prenaient les choses il crut devoir hasarder quelques observations.

      – Pardon, caballero, dit-il en s'adressant au mystérieux inconnu, tout en vous remerciant sincèrement de votre intervention en ma faveur, permettez-moi de vous faire observer que, depuis trop longtemps déjà, je suis arrêté dans ce défilé et que je désirerais continuer ma route afin de mettre le plus tôt possible ma fille à l'abri de tout danger.

      – Aucun danger ne menace doña Dolores, señor, répondit froidement el Rayo; ce retard de quelques minutes seulement ne peut en aucune façon avoir pour elle de fâcheuses conséquences, d'ailleurs, je désire que vous assistiez à ce combat qui; en quelque sorte, se livre pour soutenir votre cause; ayez donc patience, je vous prie. Mais tenez, voici don Felipe qui revient; l'affaire ne sera pas longue. Figurez-vous que vous pariez à un combat de coqs; je suis convaincu que vous prendrez plaisir à ce qui va se passer.

      – Mais cependant, reprit don Andrés.

      – Vous me désobligeriez en insistant davantage, caballero, interrompit sèchement el Rayo, vous avez je le sais, d'excellents revolvers que Devisme vous a envoyés de Paris; veuillez être assez bon pour en prêter un au señor don Felipe,

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