Œuvres complètes de lord Byron, Tome 12. George Gordon Byron
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»Je n'ai plus entendu parler des carabiniers qui ont pétitionné contre ma livrée. Ces soldats ne sont pas populaires, et l'autre nuit, dans une petite échauffourée, l'un d'eux a été tué, un autre blessé, et plusieurs mis en fuite par quelques jeunes Romagnols qui sont adroits et prodigues de coups de poignards. Les auteurs du méfait ne sont pas découverts, mais j'espère et crois qu'aucun de mes braves ne s'en est mêlé, quoiqu'ils soient un peu farouches et portent des armes cachées comme la plupart des habitans. C'est cette façon d'agir qui épargne quelquefois beaucoup de procès.
»Il y a une révolution à Naples. Si elle se fait, elle laissera probablement une carte à Ravenne, en faisant route jusqu'en Lombardie.
»Vos éditeurs semblent vous avoir traité comme moi. M*** a fait la grimace, et presque insinué que mes dernières productions sont sottes. Sottes, monsieur! – Dame, sottes! je crois qu'il a raison. Il demande l'achèvement de ma tragédie sur Marino Faliero, dont rien n'est encore parvenu en Angleterre. Le cinquième acte est presque achevé, mais il est terriblement long; – quarante feuilles de grand papier, de quatre pages chaque, – environ cent cinquante pages d'impression; mais tellement pleines «de passe-tems et de prodigalités,» que je le crois ainsi.
»Envoyez-moi, je vous prie, et publiez votre Poème sur moi; et ne craignez point de trop me louer. J'empocherai mes rougeurs.
»Non actionnable! – Chantre d'enfer!49 par Dieu! c'est une injure, – et je ne voudrais pas l'endurer. Le joli nom à donner à un homme qui doute qu'il y ait un lieu pareil.
Note 49: (retour) Nom que Lamartine donne à Byron dans un de ses poèmes. (Note du Trad.)
»Ainsi Mme Gail est partie, – et Mrs. Mahony ne veut pas mon argent. J'en suis content. – J'aime à être généreux sans frais. Mais priez-la de ne point me traduire.
»Oh! je vous en prie, dites à Galignani que je lui enverrai un sermon s'il n'est pas plus ponctuel. Quelqu'un retient régulièrement deux et quelquefois quatre de ses Messagers dans la route. Priez-le d'être plus exact. Les nouvelles valent de l'or dans ce lointain royaume des Ostrogoths.
»Répondez-moi, je vous prie. J'aimerais beaucoup à partager votre champagne et votre Lafitte, mais en général je suis trop Italien pour Paris. Dites à Murray de vous envoyer ma lettre; – elle est pleine d'épigrammes.
»Votre, etc.»
La séparation qui avait eu lieu entre le comte Guiccioli et sa femme, s'était faite à la condition que la jeune dame habiterait, à l'avenir, sous le toit paternel: – en conséquence, Mme Guiccioli quitta Ravenne le 16 juillet, et se retira dans une villa appartenant au comte Gamba, et située à environ quinze milles de cette ville. Lord Byron allait la voir rarement, – une ou deux fois peut-être par mois, – et passait le reste de son tems dans une solitude complète. Pour une ame comme la sienne, qui avait tout son monde en elle-même, un tel genre de vie n'aurait peut-être été ni nouveau ni désagréable; mais pour une femme jeune et admirée, qui avait à peine commencé à connaître le monde et ses plaisirs, ce changement, il faut l'avouer, était une expérience fort brusque. Le comte Guiccioli était riche, et la comtesse, comme une jeune épouse, avait acquis sur lui un pouvoir absolu. Elle était fière, et la position de son mari la plaçait à Ravenne dans le rang le plus élevé. On avait parlé de voyager à Naples, à Florence, à Paris; – bref, tout le luxe que la richesse peut donner était à sa disposition.
Maintenant elle sacrifiait volontairement et irrévocablement tout cela pour Lord Byron. Sa splendide maison abandonnée, – tous ses parens en guerre ouverte avec elle, – son bon père se bornant à tolérer par tendresse ce qu'il ne pouvait approuver: – elle vécut alors avec une pension de deux cents livres sterling par an, et n'eut loin du monde, pour toute occupation, que la tâche de se donner à elle-même une éducation digne de son illustre amant, et pour toute récompense, que les rares et courtes entrevues que permettaient les nouvelles restrictions imposées à leur liaison. L'homme qui put inspirer et faire durer un dévoûment si tendre, on peut le dire avec assurance, n'était pas tel qu'il s'est représenté lui-même dans les accès de son humeur fantasque; et d'autre part, l'histoire entière de l'affection de la jeune dame montre combien une femme italienne, soit par nature, soit par suite de sa position sociale, est portée à intervertir le cours ordinaire que suivent chez nous les faiblesses semblables, et comment, faible pour résister aux premières attaques de la passion, elle réserve toute la force de son caractère pour déployer ensuite tant de constance et de dévoûment.
LETTRE CCCLXXX
Ravenne, 17 juillet 1820.
«J'ai reçu des livres, des numéros de la Quarterly50, et de la Revue d'Édimbourg, ce dont je suis très-reconnaissant; c'est là tout ce que je connais de l'Angleterre, outre les nouvelles du journal de Galignani.
Note 50: (retour) Quarterly Review.
»La tragédie est achevée, mais maintenant vient le travail de la copie et de la correction. C'est un ouvrage fort long (quarante-deux feuilles de grand papier, de quatre pages chaque), et je crois qu'il formera plus de cent quarante ou cent cinquante pages d'impression, outre plusieurs extraits et notes historiques que je veux y joindre en forme d'appendice. J'ai suivi exactement l'histoire. Le récit du docteur Moore est en partie faux, et, somme toute, c'est un absurde bavardage. Aucune des chroniques (et j'ai consulté Sanuto, Sandi, Navagero, et un siége anonyme de Zara, outre les histoires de Laugier, Daru, Sismondi, etc.), ne porte ou même ne fait entendre que le doge demanda la vie; on dit seulement qu'il ne nia pas la conspiration. Ce fut un des grands hommes de Venise. – Il commanda le siége de Zara, – battit quatre-vingt mille Hongrois, en tua huit mille, et en même tems ne quitta pas la ville qu'il tenait assiégée; – prit Capo-d'Istria; – fut ambassadeur à Gênes, à Rome, et enfin doge; c'est dans cette magistrature qu'il tomba pour trahison, en entreprenant de changer le gouvernement; fin que Sanuto regarde comme l'accomplissement d'un jugement, parce que Faliero, plusieurs années auparavant (quand il était podesta et capitaine de Trévise), avait renversé un évêque qui était trop lent à porter le Saint-Sacrement dans une procession. Il «le bâte d'un jugement», comme Thwacum fit Square; mais il ne mentionne pas si Faliero avait été immédiatement puni pour un acte qui paraîtrait si étrange même aujourd'hui, et qui doit le paraître bien plus dans un âge de puissance et de gloire papale. Il dit que pour ce soufflet le ciel priva le doge de sa raison, et le poussa à conspirer. Però fu permesso che il Faliero perdette l'intelletto, etc.51.
»Je ne sais ce que vos commensaux penseront du drame que j'ai fondé sur cet événement extraordinaire. La seule histoire semblable que l'on trouve dans les annales des nations, est celle d'Agis, roi de Sparte, prince qui se ligua avec les communes52 contre l'aristocratie, et perdit la vie pour cela. Mais je vous enverrai la tragédie quand elle sera copiée.» ..................
Note 51: (retour) Il fut donc permis que Faliero perdît l'esprit.
Note 52: (retour) C'est Byron