Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste

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Aux glaces polaires - Duchaussois Pierre Jean Baptiste

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explorateurs et touristes y trouvèrent la mort.

      Tout en veillant à la marche ordinaire des affaires, Mgr Faraud tenta, dès 1870, la réalisation d’un projet, consistant à tailler en plein bois, du lac la Biche à Mac-Murray, un chemin continu et direct de voitures, qui brûlerait l’étape des rapides. Il y travailla à plusieurs reprises, mais en pure perte, car les moyens d’action trahirent sa volonté; et les 120 kilomètres apprêtés durent être abandonnés, sans avoir jamais servi.

      Non découragé par cet échec, il tourna ses efforts contre la petite rivière la Biche, qu’il fallait descendre pour parvenir à la rivière Athabaska, et dont les propres rapides, quoique moins périlleux que ceux de l’Athabaska, ne laissaient pas d’être très incommodes par leurs crues capricieuses, leurs eaux souvent trop basses et les retards qui s’ensuivaient. Il envoya le Père Collignon et quelques ouvriers pratiquer dans la forêt une «trouée de 80 kilomètres de long sur 4 mètres de large». Ce chemin fut en usage de 1878 à 1889.

      Voulez-vous avoir une idée du premier voyage effectué sur cette nouvelle voie? dit Mgr Grouard, qui conduisit les premières voitures. Le sol, que n’a encore pressé aucune roue, se défonce bientôt, et les mille souches des arbres abattus relèvent leurs têtes contre lesquelles, bon gré mal gré, conducteurs, bœufs et véhicules vont se heurter à chaque pas. Puis, se présente une lisière de terrain bas et marécageux. Le premier bœuf y laisse une profonde empreinte, le second enfonce jusqu’aux genoux, le troisième jusqu’au poitrail, et les charrettes à l’avenant. Le quatrième bœuf en aurait par-dessus les cornes, si l’on ne prenait la précaution de joncher le sol de branches et de fascines, à l’aide desquelles le passage peut s’effectuer. Or, cette succession de souches et de fondrières est presque ininterrompue. Aussi, mainte voiture se disloque ou se renverse, ou même reste hors de combat. Mais, peu nous importe, puisque nous arrivons enfin sur les bords de la rivière Athabaska, et que nos missionnaires recevront encore leurs approvisionnements.

      Nous avons dit que le lac la Biche communiquait avec la Rivière-Rouge (Saint-Boniface) par la prairie. Ce n’était pas directement toutefois. Il y avait encore, au sud du lac, plus de 160 kilomètres boisés à ouvrir. Le Père Maisonneuve, durant les années de «préparation», défricha ce chemin, qu’il poursuivit jusqu’au fort Pitt, situé à 225 kilomètres au sud-est du lac la Biche, sur la branche nord de la rivière Saskatchewan et sur la grande route de la prairie.

      La prairie, que de souvenirs évoque ce mot!

      La prairie ne connaissait jadis que la voie tortueuse et très dure à la touée de la Saskatchewan12. Les barques de la Compagnie la remontaient, chaque printemps, pour alimenter les forts-de-traite du Nord-Ouest.

      Le premier blanc, qui eut la hardiesse de s’engager à travers la prairie elle-même, fut le Père Albert Lacombe. C’est en 1860 qu’il partit du lac Sainte-Anne, à 64 kilomètres à l’ouest d’Edmonton, pour cette exploration. Il dirigea sa marche sur Saint-Boniface. Rien ne le déconcerta dans cette «traversée» de 1.500 kilomètres: ni les accidents de terrain qui coupaient en tous sens la grande plaine sauvage, ni les bandes de Cris, d’Assiniboines et de Sauteux qui la terrorisaient.

      C’est sur ce chemin du large, découvert et jalonné par le Père Lacombe; c’est à sa suite et à la faveur de son prestige sur les brigands indiens – détails singulièrement oubliés par nombre d’auteurs qui se targuent d’exactitude et de justice – que toutes les caravanes du Nord, commerçantes, exploratrices et apostoliques, passèrent pendant trente ans.

      Le voyage «par la prairie», relativement facile aux années favorables, devenait extrêmement pénible aux saisons pluvieuses, et deux mois n’y suffisaient plus alors:

      Le trajet de Saint-Boniface au lac la Biche, raconte, en 1880, Mgr Clut, auxiliaire de Mgr Faraud, nous prit soixante-quinze jours. Nos animaux, ne pouvant s’arracher des bourbiers, des marais et des fondrières presque continuels, les missionnaires étaient obligés de marcher dans l’eau glacée et de patauger dans la boue pour leur venir en aide.

      Vers le milieu du voyage, une épreuve nouvelle nous attendait. Nous vîmes apparaître des essaims nombreux de maringouins, moustiques et brûlots. L’air en était tout rempli. Aussi mes pauvres missionnaires eurent-ils bientôt les mains, le visage et le cou tout enflés de piqûres. Si, par avance, je ne leur eusse procuré des moustiquaires, ils n’auraient pu résister. Cependant, malgré les insectes, malgré la fatigue, malgré l’intempérie de la saison, tous étaient gais13.

      Les bœufs, «au pas tranquille et lent», furent d’abord les seuls animaux de trait de la prairie. Attelés, chacun à sa charrette, ils ne remorquaient pas plus vite les brigades de l’Ouest canadien que leurs aïeux, par quatre attelés, ne promenaient dans Paris le monarque fainéant…

      Les chevaux, essayés ensuite, perdaient à s’enfoncer dans les bourbiers, à casser leurs timons, ce qu’ils regagnaient quelquefois en vitesse. Dételés, il leur arrivait de «reprendre la venelle», et des journées se passaient à les retrouver.

      Les charrettes sans ressorts, les charrettes criardes, les légendaires charrettes de la Rivière-Rouge, se fabriquaient toutes en bois, même les essieux. C’était afin d’être réparées à l’aide de n’importe quel morceau d’occasion que taillait la hache, afin aussi de devenir barques plus légères, lorsqu’il faudrait les démonter pour les lancer à travers les cours d’eau.

      La patience était la première vertu de la prairie, et la joviale promptitude à se jeter dans les «mauvais pas», avec bœufs et véhicules, la seconde.

      Il n’est soutanes noires ou violettes, il n’est robe grise de ce quart de siècle qui n’eurent à prendre et à reprendre leur bain de boue, du pied au genou toujours, du genou à l’épaule souvent, au-dessus quelquefois, selon les fondrières, et, un peu, selon le savoir-faire… En 1883, à la fin d’une traversée de la prairie, à laquelle avait pris part le R. P. Soullier, assistant du supérieur général des Oblats de Marie Immaculée, et visiteur des missions d’Amérique, Mgr Grandin faisait au supérieur général le compte rendu de l’expédition, lui disant, non sans une légère malice professionnelle:

      Le Pauvre Père Visiteur, malgré toutes nos précautions pour lui rendre le voyage moins pénible, a cependant eu beaucoup à souffrir. Lui aussi a dû plusieurs fois pousser à la roue et suer, pour faire avancer sa voiture embourbée. Il vous racontera de vive voix sans doute ses mille aventures. Elles vous seront alors plus agréables qu’elles ne l’ont été pour lui. Bien des fois je l’ai entendu dire, dans nos campements: « – Oh! si nos Pères de Paris pouvaient nous voir ici!..» Le R. P. Soullier est certainement plus habile à conduire les hommes que les chevaux et les bœufs…

      Ainsi cheminèrent longtemps les bohémiens de l’apostolat, tantôt cahin-caha sur leur roulotte, tantôt à petits pas, tout à côté, bravant le soleil et les orages, chassant le gibier des savanes, s’arrêtant pour les trois Angelus et les repas en plein air, boucanant les maringouins autour des lits d’herbage, étendus sous les étoiles. N’y eut-il pas, mêlée à leurs fatigues, un peu de poésie pastorale, à jamais évanouie? Nous le croirions, nous, les derniers venus, qui naissions à peine, lorsque ces patriarcales processions allaient finir, et qui, voyageant aujourd’hui dans la même prairie sans bornes, avec les vétérans d’alors, les voyons regarder mélancoliquement, par la vitre tremblante du wagon, le grand sahara de verdure, qui s’évade en deux jours à nos yeux, et qu’ils traversaient jadis en deux mois de misère et de liberté.

      Dès 1882, tout en continuant à conduire les voyageurs par la prairie, les charrettes cédèrent le matériel

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<p>12</p>

La Saskatchewan est la grande artère de la prairie. Elle en recueille toutes les rivières pour les conduire au lac Winnipeg, lequel s’épanche dans le fleuve Nelson, qui se jette dans la baie d’Hudson. La Saskatchewan n’unit ses deux branches qu’à l’est de Prince-Albert. La branche nord a sa source au mont Brown, à côté de celle de l’Athabaska. La branche sud jaillit des montagnes Rocheuses aussi, mais presque sur la ligne des Etats-Unis. La Saskatchewan, très sinueuse toujours, coule de l’ouest à l’est.

<p>13</p>

Un des traits qui «égayèrent» ce voyage de 1880 dans la prairie eut pour acteur principal, dit-on, S. G. Mgr Joussard, coadjuteur actuel, avec future succession, de Mgr Grouard, vicaire apostolique d’Athabaska. Tout jeune missionnaire, plein d’une ardeur qui ne s’éteindra qu’avec sa vie, le Père Joussard avait caracolé, autour de la brigade, sur un branco, cheval demi-sauvage de l’Ouest. Le soir, il s’endormit, lassé, à sa place de la couche commune, occupée par une dizaine de missionnaires. Mais la chevauchée, faut-il penser, continua dans son rêve. Tout à coup, il crut sentir sous sa main une crinière. Il la saisit, en criant:

– Hue donc!

Un «Aïe!» formidable réveilla la prairie:

C’était la barbe de S. G. Mgr Clut, son voisin, qu’il avait empoignée.