Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste

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Aux glaces polaires - Duchaussois Pierre Jean Baptiste

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toujours elle qui paralyse notre zèle et nous arrête dans une foule d’œuvres qu’il nous faudrait entreprendre… Un autre grand obstacle, c’est la mauvaise santé des missionnaires. Bien que le pays soit sain, les missionnaires ont tant à souffrir, dans leurs longs voyages surtout, de leur nourriture repoussante et parfois insuffisante, ainsi que de travaux manuels au-dessus de leurs forces, qu’après avoir passé dix ans dans le pays, ils sont, bien que jeunes encore, accablés de douleurs et d’infirmités, et dans l’impossibilité de rendre les services auxquels leur expérience les rendrait propres…»

      Le diocèse de Mgr Grandin se trouvait alors le plus voisin des commodités de la civilisation.

      Que répondit à la même question le vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie, dont le territoire ne commençait qu’au nord de Saint-Albert?

      Nous l’ignorons. Mais, à défaut du document qui nous eût été si précieux, c’est à foison que l’on citerait les lettres adressées par les missionnaires de l’Extrême-Nord à leurs supérieurs pour les renseigner simplement sur la condition de leurs chrétientés. Nous les laisserons dans l’ombre, peut-être dans l’oubli, d’accord certainement avec le souhait de leurs auteurs, qui mirent plus de prix aux conquêtes qu’ils eurent le bonheur de faire au Royaume de Dieu, et qu’il nous faut raconter, qu’à la somme des souffrances que ces conquêtes leur ont coûté.

      Bornons-nous, pour les temps passés, au témoignage particulier de Mgr Clut, l’évêque auxiliaire d’Athabaska-Mackenzie. Il écrit de la mission de la Nativité, sur le lac Athabaska, mission la plus méridionale du vicariat:

      …11 mars 1874… Les lettres d’Europe et du lac la Biche sont enfin arrivées. On les attendait avec une vive impatience depuis le 20 février, leur époque ordinaire. Partout, on ne parle que de progrès. Ici, dans notre pauvre Nord, nous allons en sens inverse…

      En somme, les nouvelles étaient bonnes. Il n’y a qu’une chose qui m’a bien contrarié: c’est que je puis conclure que nos missions vont être dépourvues de tout, au moins durant une année, et que, de plus, elles ne recevront peut-être pas un sac de farine entre elles toutes. Déjà, l’année dernière, nous n’avions reçu que bien peu de marchandises et point du tout de farine. Nous étions donc déjà en profonde disette, et nous le serons bien plus cette année. La raison en est que nous ne recevons que maintenant les commandes faites lors de la guerre. Nous redoutions alors de manquer de fonds nécessaires, et nous les avions réduites de moitié. L’année 1874 même, nous n’avions rien commandé, de sorte que le peu qui devait nous arriver en 1873 a été réparti en deux ans. C’est ce qui fait comprendre le dénuement dans lequel nous allons nous trouver. Quant à la farine, je crains bien que nous n’en ayons pas même cette année pour faire des hosties.

      Tout cela m’afflige beaucoup, non pour moi, mais pour nos pères, nos frères et nos sœurs de Charité. Que c’est dur pour un père comme moi de voir souffrir les siens, et de ne pouvoir leur donner un simple morceau de pain, cet aliment si commun en pays civilisé, pour les soulager!

      L’année suivante, 1875, Mgr Clut se trouvait à la mission de la Providence, au nord du Grand Lac des Esclaves, lorsque le courrier d’hiver lui parvint. C’était le Frère Boisramé qui l’apportait du lac Athabaska, où Mgr Clut l’avait envoyé chercher quelques provisions.

      De fait, le bon frère n’apportait rien que les lettres et son extrême fatigue, après quarante jours de marche à la raquette.

      Mgr Clut écrivit alors dans son même cahier intime:

      21 février. – Les nouvelles d’Athabaska sont bien mauvaises. Il y a disette. Cette disette nous fait grandement craindre que faute de provisions de bouche pour équiper les barges de la Compagnie, nous ne soyons encore menacés de ne rien recevoir. Alors, que deviendraient nos pères et nos frères presque tous malades déjà! Dans quel état de privations serions-nous réduits tous ensemble! Rien pour nous couvrir, rien pour acheter de la viande, pas une livre de farine: telles sont les privations dont nous sommes menacés. Que deviendraient nos missions? Que deviendraient nos orphelins, à la Providence et à Athabaska? Que deviendraient nos écoles? Espérons que la Providence viendra encore à notre secours de quelque manière imprévue. Depuis environ sept ans, nous sommes toujours dans la plus grande incertitude et la plus grande anxiété. Pourrons-nous encore tenir l’année prochaine? N’allons-nous pas manquer de tout?

      Sur ce cri de détresse poussé au fond du Mackenzie, et comme prolongeant celui de Mgr Grandin, laissons passer quarante-trois ans.

      Nous sommes en 1918.

      Le 9 juillet de cette année, les journaux catholiques du Canada publient cette lettre, écrite par Mgr Breynat, débarquant à Montréal, au retour d’un voyage accompli dans les intérêts de son vicariat apostolique:

      En arrivant de Rome, j’apprends qu’un grand malheur, un vrai désastre vient de frapper nos missions du Mackenzie.

      Nous nous réjouissions de ce que la construction de la nouvelle voie ferrée des Great Waterways nous avait permis de transporter notre approvisionnement annuel au fort Mac-Murray. Nous avions ainsi évité les 130 kilomètres de rapides de la rivière Athabaska qui, chaque année, engloutissaient ou endommageaient une quantité plus ou moins grande de nos marchandises. Du même coup, nous avions assez économisé pour faire face à la hausse des prix, sans trop avoir à retrancher du peu de confort heureusement introduit dans nos missions, au cours des dernières années. Nos marchandises se trouvaient au pied des rapides, dans un bon hangar. A la débâcle, ce n’eût été qu’un jeu de les expédier à destination.

      La débâcle se produisit au mois dernier, mais une digue se forma, à 5 kilomètres environ en aval du fort Mac-Murray. L’eau, ne trouvant aucune issue, envahit les deux rives, couvrit le plateau sur lequel est construite la petite ville, et atteignit huit pieds de haut dans notre hangar, qui fut déplacé, malgré sa charge, et faillit être emporté par la glace. Le sauvetage fut pénible et très lent à cause de l’amoncellement de la glace. Ce fut une perte de quinze à dix-huit mille piastres (de soixante-quinze à quatre-vingt-dix mille francs).

      Un accident analogue, arrivé, il y a trois ans, sur la rivière la Paix, nous contraignit à avoir recours aux petites réserves que chaque mission, à force d’économies, avait pu mettre de côté. Pour comble, nos pêches de l’automne dernier ont été très malheureuses. Ce n’est pas que le poisson ait fait défaut, mais le froid et le vent nous ont empêché de le rendre à destination. Quatre bateaux furent pris dans les glaces et plus ou moins brisés, à une distance variant de 30 à 50 kilomètres de la mission. Le poisson qu’on put sauver dût être transporté à grands frais sur la glace avec des chiens. D’où des dépenses considérables qu’il nous faut maintenant solder, en même temps que celles encourues pour réparer ou renouveler les bateaux.

      Il y eut, évidemment, l’hiver dernier, un surcroît de privations chez nos missionnaires, nos religieuses, etc. Je n’ai pas reçu une seule plainte. «Nous nous sommes tirés d’affaire du mieux que nous avons pu», se contente-t-on de me dire.

      Mais comment ferons-nous l’hiver prochain, si nous ne recevons promptement du secours? Trois cents personnes environ dépendent du vicaire apostolique pour la nourriture, le vêtement et le logement. Les besoins sont actuellement si nombreux partout et les appels à la charité si fréquents que j’ai bien hésité à tendre la main. Mais la faim fait sortir le loup du bois, et elle donne aux plus timides le courage de devenir mendiants.

      Trouvera-t-on mauvais que je vienne en toute simplicité exposer notre situation, et soulever un peu le voile qui cache les dévouements de ces vaillants et de ces vaillantes qui font de plus en plus l’admiration de ceux qui les voient à l’œuvre?

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