Le capitaine Paul. Dumas Alexandre

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Le capitaine Paul - Dumas Alexandre

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ville.

      Quant à Paul John, il était, à cette époque, commodore à bord de la flotte du comte de Vaudreuil.

      La réputation de bravoure dont jouissait alors ce marin, et la singularité de ses manières, l'avaient impressionné au point que, de retour en Bretagne, il avait une fois prononcé son nom devant son père, concierge du château d'Auray. Le vieillard avait tressailli, et lui avait fait signe de se taire. Le jeune homme avait obéi tout en faisant ses réserves.

      Cependant, quelques questions qu'il fit à son père, celui-ci refusa toujours d'y répondre. Mais, la marquise d'Auray étant morte, Emmanuel ayant émigré, Lusignan et Marguerite habitant la Guadeloupe, le vieillard crut pouvoir révéler un jour à son fils une histoire étrange et mystérieuse, à laquelle se trouvait mêlé l'homme sur lequel je lui demandais des détails.

      Et cette histoire, il ne l'avait point oubliée, quoique quarante ans à peu près se fussent écoulés entre le récit que lui en avait fait son père et celui qu'il me fit à moi.

      Cette histoire tomba parole à parole dans le fond de ma pensée, et y demeura cachée comme cette eau qui tombe goutte à goutte de la voûte de la grotte et forme peu à peu un bassin dans ses calmes et silencieuses profondeurs; de temps en temps, mon imagination se penchait au bord de cette eau mystérieuse et profonde, et je me disais:

      – Il est cependant l'heure que cette eau jaillisse au dehors et se répande en cascade ou en ruisseau, en torrent ou en lac, à la vivifiante ardeur du soleil.

      Seulement, sous quelle forme se répandrait-elle?

      Sous la forme du drame, ou sous celle du roman?

      À cette époque, vers 1831 et 1832, toute production se présentait à mon esprit sous la forme du drame.

      Aussi, à chaque instant, me disais-je:

      – Il faut pourtant que je fasse un drame de Paul John.

      Et 1832, 1833, 1834 s'écoulèrent sans que les masses primitives de ce drame se détachassent assez clairement dans mon esprit, pour que mon esprit abandonnât ses autres rêves et s'attachât à celui- là.

      Et je me disais:

      – Attendons; il viendra un instant où le fruit sera mûr pour la vie, et il se détachera lui-même de la branche.

      Deuxième phase. – Création.

      C'était vers le mois d'octobre 1835.

      Le paysage avait bien changé. Ce n'étaient plus les côtes de Bretagne aux rudes falaises; ce n'était plus la poupe rugueuse de l'Europe battue par les flots de la mer sauvage; ce n'étaient plus les oiseaux gris des tempêtes se jouant à la lueur de l'éclair, au sifflement du vent, au milieu de l'embrun des vagues se brisant sur les rochers.

      Non, c'était la mer de Sicile, calme comme un miroir; c'était, à notre droite, Palerme, couchée au pied du monte Pellegrino, ombragée à sa tête par les orangers de Montreale, à ses pieds par les palmiers de la Bagheria; c'était, à notre gauche, Alicadi, se levant du sein – je ne dirai pas des flots, les flots supposent un certain mouvement de la mer, et la mer était immobile comme un lac d'argent fondu; – c'était Alicadi, se dessinant, pareil à une pyramide sombre, entre l'azur du ciel et l'azur d'Amphitrite; c'était enfin, bien loin devant nous, élevant sa tête au-dessus des îles volcaniques, débris du royaume d'Éole, c'était Stromboli, secouant au vent du soir son panache de fumée, et dont la base, se colorant de temps en temps d'une lueur rougeâtre, indiquait qu'au milieu de l'obscurité cette colonne de fumée reposerait sur une base de flammes.

      Je venais de quitter Palerme, où j'avais passé un des mois les plus heureux de ma vie. Une barque, à l'arrière de laquelle une figure, debout, blanche et couronnée de verveine comme la Norma antique, m'envoyait ses derniers signaux, rayait de son sillage la nappe brillante, et s'amoindrissait à l'horizon, emportée par ses quatre rames, qui, de loin, semblaient les pattes d'un gigantesque scarabée, égratignant, la surface de la mer.

      Mes yeux et mon coeur suivaient la barque.

      Elle disparut. Je poussai un soupir. Et cependant j'étais loin de me douter que je ne revoie jamais celle qui venait de me quitter.

      J'entendis auprès de moi comme une prière, où étais-je, et qui faisait cette prière?

      J'étais au milieu d'un équipage sicilien, sur le speronare la Madonna del piè della Grotta. Cette prière, c'était l'Ave Maria que disait le fils du capitaine Arena, enfant de neuf ans, que notre pilote Nunzio maintenait debout sur le toit de notre cabine.

      De là, il parlait à la mer, aux vents, aux nuages, à Dieu!

      Cette heure de l'Ave Maria était l'heure poétique de la journée. Même lorsque rien ne venait ajouter à la mélancolie du crépuscule, c'était l'heure où nous rêvions sans penser, l'heure où le souvenir du pays éloigné et des amis absents revenait à la mémoire, pareils à ces nuages qui simulent tantôt des montagnes, tantôt des lacs, tantôt des formes humaines, qui glissent doucement sur un ciel d'azur et qui changent d'aspect, se composant, se décomposant, et se recomposant vingt fois en un instant; les heures glissaient alors sans que l'on sentit le toucher de leurs ailes sans qu'on entendît le bruit de leur vol. Puis la nuit arrivait, – si toutefois on peut appeler la nuit l'absence du jour, – la nuit arrivait allumant une à une les étoiles dans l'orient assombri, tandis que l'occident, éteignant peu à peu le soleil, roulait des flots d'or et passait par toutes les couleurs du prisme, depuis le pourpre ardent jusqu'au vert clair. Alors il s'élevait de l'eau comme un harmonieux murmure: les poissons s'élançaient hors de la mer, pareils à des éclairs d'argent, le pilote quittait le gouvernail, comme si le gouvernail n'avait plus besoin d'autre main que celle de Dieu; on hissait le fils du capitaine sur le toit de la cabine, et l'Ave Maria commençait à l'instant même où finissait le dernier rayon du jour.

      C'était cette scène, chaque jour renouvelée et où, chaque jour, mon âme s'imprégnait d'une mélancolie nouvelle, que je venais de voir se reproduire dans des conditions qui la faisaient, pour moi, plus impressionnante que jamais.

      Maintenant, par quel mystère de l'organisme humain, comment, ce soir-là même, dans le vide laissé au milieu de ma pensée par cette figure blanche et voilée, par cette Norma fugitive, – comment, dans ce vide, retrouvai-je en le sondant, – au lieu de l'arbre en fleur déraciné, – comment retrouvai-je ce fruit qui devait tomber quand il serait mûr, le Capitaine Paul?

      Oh! cette fois, son heure était bien venue, je sentis, à la façon dont le drame s'emparait de ma pensée, qu'il ne lui laisserait plus de relâche qu'il n'eût vu le jour, et je m'abandonnai à ce charme amer de la gestation…

      Ah! voilà ce que les artistes seuls peuvent dire, c'est tout ce qu'il y a de charme, lorsque, poète ou peintre, on voit sa pensée revêtir une forme, et le rêve peu à peu prendre la consistance de la réalité.

      Voyez-vous le soleil qui se lève derrière une chaîne des Alpes ou des Pyrénées? D'abord, c'est une lueur rose, à peine visible, s'infiltrant dans l'atmosphère grisâtre du matin, qu'elle colore d'une imperceptible teinte, et sur laquelle se découpe la silhouette dentelée et gigantesque des montagnes.

      Peu à peu, cette teinte grandit, les sommets les plus élevés se colorent; vous les voyez, flamboyants, dominer les autres comme des volcans, puis des rayons s'élancent dans les cieux, pareils à autant de fusées d'or; les pics inférieurs commencent à participer à cette lumière, qui monte si rapidement que les anciens représentaient le soleil apparaissant aux portes de

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