Le capitaine Paul. Dumas Alexandre

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Le capitaine Paul - Dumas Alexandre

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qui s'épanche par torrents aux flancs de la chaîne sombre, et qui peu à peu pénètre et illumine jusqu'à la mystérieuse profondeur des vallées où l'on aurait cru que jamais ne pénétrerait un rayon de lumière.

      C'est ainsi que, s'éclaire et se dessine l'oeuvre dans le cerveau du poète.

      Quand j'arrivai à Messine, mon drame du Capitaine Paul était fait; il ne me restait plus qu'à l'écrire.

      Je comptais l'écrire à Naples; car j'étais en retard. La Sicile m'avait retenu comme une de ces îles magiques dont parle le vieil Homère.

      Que nous fallait-il pour regagner la ville des délices – la ville qu'il faut voir avant de mourir? – Trois jours et un bon vent.

      Je donnai l'ordre au capitaine d'appareiller le lendemain matin, et de mettre le cap droit sur Naples.

      Le capitaine consulta le vent, regarda le nord, échangea quelques mots à voix basse avec le pilote, et répondit:

      – On fera ce que l'on pourra, Excellence.

      – Comment! on fera ce que l'on pourra, cher ami? Il me semble qu'il y a là-dessous un sens caché.

      – Dame! fit le capitaine.

      – Voyons, voyons, expliquons-nous tout de suite.

      – Oh! l'explication sera courte, Excellence.

      – Abordons-la franchement, alors.

      – Eh bien, le vieux ainsi qu'on appelait le pilote – le vieux dit que le temps va changer et que nous aurons le vent contraire pour sortir du détroit.

      Nous étions à l'ancre, en face de San-Giovanni.

      – Ah! diable! fis-je, le temps va changer, et nous aurons le vent contraire; est-ce bien sûr, capitaine?

      – C'est bien sûr, oui, Excellence.

      – Et, lorsque ce vent souffle, capitaine, a-t-il la mauvaise habitude de souffler longtemps?

      – Plus ou moins.

      – Quel est son moins?

      – Trois ou quatre jours.

      – Et son plus?

      – Huit ou dix.

      – Et, quand il souffle, impossible de sortir du détroit?

      – Impossible.

      – Et à quelle heure le vent soufflera-t-il?

      – Eh! vieux? dit le capitaine.

      – Présent! dit Nunzio en se levant derrière la cabine.

      – Son Excellence demande pour quelle heure le vent?

      Nunzio se retourna, consulta jusqu'au plus petit nuage du ciel, et, se retournant vers nous:

      – Capitaine, dit-il, ce sera pour ce soir entre huit et neuf heures, un instant après que le soleil sera couché.

      – Ce sera pour ce soir, entre huit et neuf, un instant après que le soleil sera couché, répéta le capitaine avec la même assurance que si c'eût été Mathieu Laensberg ou Nostradamus qui lui eût répondu.

      – Mais alors, demandai-je au capitaine, ne pourrait-on sortir tout de suite? Nous nous trouverions alors en pleine mer, et pourvu que nous arrivions au Pizzo, c'est tout ce que je demande…

      – Si vous le voulez absolument, répondit le pilote, on tachera.

      – Eh bien, mon cher Nunzio tâchez donc, alors.

      – Allons, allons, dit le capitaine, on part… Chacun son poste!

      Empruntons à mon journal de voyage les détails qui vont suivre; il y a tantôt vingt ans que les choses racontées à cette heure par moi se sont passées. J'aurais oublié peut-être; mon journal, au contraire, a une mémoire inflexible et se souvient du plus petit détail:

      «En un instant, sur l'ordre du capitaine et sans faire une seule observation, tout le monde fut à la besogne: l'ancre fut levée et le bâtiment, tournant lentement son beaupré vers le cap Pelore, commença de se mouvoir sous l'effort de quatre avirons; quant aux voiles, il n'y fallait pas songer, pas un souffle de vent ne traversait l'espace…

      «Comme cette disposition atmosphérique me portait naturellement au sommeil, et que j'avais si longtemps vu et si souvent revu le double rivage de la Sicile et de la Calabre, que je n'avais plus grande curiosité pour l'un ni pour l'autre, je laissai Jadin fumant sa pipe sur le pont, et j'allai me coucher.

      «Je dormais depuis trois ou quatre heures, à peu près, et, tout en dormant, je sentais instinctivement qu'il se passait autour de moi quelque chose d'étrange, lorsque, enfin, je fus complètement réveillé par le bruit des matelots courant au-dessus de ma tête, et par le cri bien connu de Burrasca!

      «Burrasca! J'essayai de me mettre sur mes genoux, ce qui ne me fut pas chose facile, relativement au mouvement d'oscillation imprimé au bâtiment; mais enfin j'y parvins, et, curieux de savoir ce qui se passait, je me traînai jusqu'à la porte de derrière de la cabine, qui donnait sur l'espace réservé au pilote. Je fus bientôt au fait: au moment où je l'ouvrais, une vague, qui demandait à entrer juste au moment où je voulais sortir, m'atteignit en pleine poitrine, et m'envoya à trois pas en arrière, couvert d'eau et d'écume. Je me relevai; mais il y avait inondation complète dans la cabine. J'appelai Jadin pour qu'il m'aidât à sauver nos lits du déluge.

      «Jadin accourut, accompagné du mousse, qui portai une lanterne, tandis que Nunzio, qui avait l'oeil à tout, tirait à lui la porte de la cabine, afin qu'une seconde vague ne submergeât point tout à fait notre établissement. Nous roulâmes aussitôt nos matelas, qui heureusement, étant de cuir, n'avaient pas eu le temps de s'imbiber. Nous les plaçâmes sur des tréteaux, afin qu'ils planassent au-dessus des eaux comme l'Esprit du Seigneur; nous suspendîmes nos draps et nos couvertures aux portemanteaux qui garnissaient les parois intérieures de notre chambre à coucher; puis, laissant à notre mousse le soin d'éponger les deux pouces de liquide dans lesquels nous barbotions, nous gagnâmes le pont.

      «Le vent s'était levé, comme avait dit le pilote, et à l'heure qu'il avait dite; et, selon sa prédiction encore, ce vent nous était tout à fait contraire.

      Néanmoins, comme nous étions parvenus à sortir du détroit, nous étions plus à l'aise, et nous courions des bordées dans l'espérance de gagner un peu de chemin; mais il résultait de cette manoeuvre que les vagues nous battaient en plein travers, et que, de temps en temps, le bâtiment s'inclinait tellement, que le bout de nos vergues trempait dans la mer…

      «Nous nous obstinâmes ainsi pendant trois ou quatre heures, et, pendant ces trois ou quatre heures, nos matelots, il faut le dire, n'élevèrent pas une récrimination contre la volonté qui les mettait aux prises avec l'impossibilité même. Enfin, au bout de ce temps, je demandai combien nous avions fait de chemin depuis que nous courions des bordées, et il y avait de cela cinq ou six heures. Le pilote nous répondit tranquillement que nous avions fait demi-lieue. Je m'informai alors combien de temps pourrait durer la bourrasque, et j'appris que, selon toute probabilité, nous en aurions pour trente-six ou quarante heures. En supposant que nous continuassions à conserver sur le vent et la mer le même avantage, nous pouvions faire à peu

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