La San-Felice, Tome 09. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 09 - Dumas Alexandre

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des harpes, des violons et des guitares, pareil à une plainte de l'esprit des eaux, mais Alexandrie, dans ses jours de fête, n'avait-elle pas eu, elle aussi, les gémissements des esclaves sur lesquels on essayait des poisons?

      A minuit, une fusée qui éclata dans le profond azur du ciel napolitain, éparpillant ses étincelles d'or, donna le signal du souper. Le bal cessa, sans que la musique s'éteignît, et les danseurs, devenus convives, descendirent dans l'entre-pont, dont l'entrée jusque-là avait été défendue par des sentinelles.

      Si nous parlions encore aujourd'hui le langage en vogue à cette époque, nous dirions que Comus, Bacchus, Flore et Pomone avaient réuni, à bord du Foudroyant, leurs trésors les plus précieux. Les vins de France, de Hongrie, de Portugal, de Madère, du Cap, de la Commanderie, étincelaient dans des bouteilles du plus pur cristal d'Angleterre, et eussent pu donner non-seulement la gamme de toutes les couleurs, mais encore celle de toutes les pierres précieuses, depuis la limpidité du diamant jusqu'au carmin du rubis. Des chevreuils et des sangliers, rôtis tout entiers, des paons étalant leur queue d'émeraudes et de saphirs, des faisans dorés dressant hors du plat leur tête de pourpre et d'or, des poissons à épée menaçant les convives de leur lame, des langoustes gigantesques descendant en droite ligne de celles qu'Apicius faisait venir de Stromboli, des fruits de toute espèce, des fleurs de toute saison, encombraient une table qui s'étendait de la proue à la poupe de l'immense bâtiment, dont la longueur devenait incommensurable, centuplée qu'elle était par d'immenses glaces dressées à ses extrémités. A bâbord et à tribord du bâtiment, c'est-à-dire à droite et à gauche, tous les sabords étaient ouverts, et, à la poupe, aux deux côtés de la glace, deux grandes portes donnaient sur l'élégante galerie qui servait de balcon à l'amiral.

      Entre chaque sabord étincelaient-ornements pittoresques et guerriers tout à la fois-des trophées de mousquetons, de sabres, de pistolets, de piques et de haches d'abordage dont les lames, si souvent rougies de sang français, réfléchissaient et renvoyaient, éblouissant, l'éclat de mille bougies, et semblaient des soleils d'acier.

      Si habitué que le fut Ferdinand aux luxueux repas du palais royal, de la Favorite et de Caserte, il ne put, en mettant le pied sur le plancher de cette nouvelle salle à manger, retenir un cri d'admiration.

      Les palais d'Armide, popularisés par la poésie du Tasse, n'offraient rien de plus féerique ni de plus merveilleux.

      Le roi prit place à table, et désigna pour s'asseoir à sa droite Emma Lyonna, à sa gauche Nelson, et devant lui sir William. Les autres prirent place, selon les droits que l'étiquette leur donnait d'être plus ou moins rapprochés du roi.

      Tout le monde assis, l'oeil de Ferdinand erra vaguement sur cette double file de convives. Peut-être pensait-il que celui qui avait les premiers droits à cette fête en était non-seulement absent, mais exilé, et prononçait-il tout bas le nom du cardinal Ruffo.

      Mais Ferdinand n'était pas homme à garder longtemps dans son esprit une bonne pensée, surtout lorsque cette bonne pensée portait avec elle le reproche d'ingratitude.

      Il secoua la tête, prit le sourire narquois qui lui était habituel, et, de même qu'il avait dit, en rentrant à Caserte, après sa fuite de Rome: «On est mieux ici que sur la route d'Albano!» il se frotta les mains en disant, par allusion à la tempête qu'il avait essuyée lors de sa fuite en Sicile:

      –On est mieux ici que sur la route de Palerme!

      Une rougeur passa sur le front blafard et maladif de Nelson. Il pensait à Caracciolo, au triomphe de l'amiral napolitain pendant cette traversée, à l'injure qu'il lui avait faite en venant, déguisé en pilote, à son bord, et en conduisant le Van-Guard au milieu des écueils qui hérissent l'entrée du port de Palerme, écueils dans lesquels, moins pratique de ces parages difficiles, il n'avait point osé s'aventurer.

      L'oeil unique de Nelson lança une flamme, puis un sourire crispa ses lèvres, – probablement celui de la vengeance satisfaite.

      Le pilote était parti pour l'Océan où il n'y a point dé port!

      A la fin du souper, la musique joua le God save the king, et Nelson, avec cet implacable orgueil anglais qui n'observe aucune convenance, se leva, et, sans songer, ou plutôt sans s'inquiéter s'il avait à sa table un autre souverain, porta la santé du roi George.

      Les hourras frénétiques des officiers anglais assis à la table de Nelson et ceux des matelots postés sur les vergues répondirent à ce toast; les canons de la seconde batterie éclatèrent.

      Le roi Ferdinand, qui, sous des dehors vulgaires, cachait une grande science et surtout une grande observation de l'étiquette, se mordit les lèvres jusqu'au sang.

      Cinq minutes après, sir William Hamilton porta, à son tour, la santé du roi Ferdinand. Les mêmes hourras éclatèrent, et le canon lui rendit les mêmes honneurs.

      Il n'en parut pas moins au roi Ferdinand que l'on avait interverti l'ordre des toasts et que c'était à lui qu'était dû l'honneur de la santé.

      Aussi, comme les barques qui entouraient le bâtiment et qui se pressaient surtout à l'arrière avaient fait entendre de frénétiques acclamations, le roi jugea qu'il devait partager ses remercîments entre les convives présents et ceux qui, moins heureux, mais non moins dévoués, entouraient le Foudroyant.

      Il fit donc un léger signe de tête pour remercier sir William, vida son verre à moitié plein, puis sortit sur la galerie, et alla saluer ceux qui, par crainte, par dévouement ou par bassesse, venaient de lui donner cette marque de sympathie.

      A la vue du roi, les hourras, les applaudissements, les acclamations, éclatèrent; les cris de «Vive le roi!» semblèrent sortir du fond de l'abîme pour monter au ciel.

      Le roi salua et commença le geste de porter la main à sa bouche; mais tout à coup sa main s'arrêta, son regard devint fixe, ses yeux se dilatèrent horriblement, ses cheveux se dressèrent sur sa tête, et un cri rauque, peignant à la fois l'étonnement et la terreur, érailla sa gorge et sortit de sa poitrine.

      En même temps, un grand tumulte se fit à bord des barques, qui s'écartèrent à droite et à gauche en laissant un grand espace vide.

      Au milieu de cet espace s'élevait, chose terrible à voir, sortant de l'eau jusqu'à la ceinture, le cadavre d'un homme que, malgré les algues dont était couverte sa chevelure, aplatie contre les tempes, malgré sa barbe hérissée, malgré son visage livide, on pouvait reconnaître pour celui de l'amiral Caracciolo.

      Ces cris de «Vive le roi!» semblaient l'avoir tiré du fond de la mer, où il dormait depuis treize jours, pour venir mêler son cri de vengeance aux cris de la flatterie et de la lâcheté.

      Le roi, au premier coup d'oeil, l'avait reconnu; tout le monde l'avait reconnu. Voilà pourquoi Ferdinand était resté le bras suspendu, le regard fixe, l'oeil hagard, râlant un cri d'effroi; voilà pourquoi les barques s'étaient écartées d'un mouvement unanime et précipité.

      Ferdinand voulut un instant mettre en doute la réalité de cette apparition, mais inutilement: le cadavre, suivant le mouvement onduleux de la mer, s'inclinait et se redressait, comme s'il eût salué celui qui le regardait, muet et immobile d'épouvante.

      Mais peu à peu les nerfs crispés du roi se détendirent, sa main trembla et laissa tomber son verre, qui se brisa sur la galerie, et il rentra pâle, effaré, haletant, cachant sa tête dans ses mains en criant:

      –Que veut-il? que me demande-t-il?

      A la voix du roi, à la terreur

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