La San-Felice, Tome 09. Dumas Alexandre
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Quoique tout parût s'accomplir loyalement et selon les conditions du traité, Salvato conserva les doutes qu'il avait conçus sur sa complète exécution.
Il est vrai que, pendant tout le jour et pendant toute la soirée du 27, le vent avait soufflé de l'ouest, et s'était opposé à ce que les tartanes missent à la voile.
Mais, pendant la nuit du 27 au 28, le vent avait sauté au nord-nord-ouest, et, par conséquent, était devenu tout à fait favorable au départ; cependant, les tartanes ne bougeaient pas.
Salvato, ayant Luisa appuyée à son bras, les regardait inquiet du haut des remparts, lorsqu'il fut joint par le colonel Mejean, lequel lui annonça que, contre son attente, le lieutenant-colonel étant de retour au fort vingt-quatre heures plus tôt qu'il ne le pensait, rien ne s'opposait à ce qu'il l'accompagnât dans la course qu'il comptait faire la prochaine nuit.
La chose fut donc arrêtée.
La journée se passa en conjectures. Le vent continuait d'être favorable, et Salvato ne voyait faire aucun préparatif de départ. Sa conviction était qu'il se préparait quelque catastrophe.
Du point élevé où il se trouvait, il planait sur tout le golfe, et pouvait voir, à l'aide d'une longue-vue, tout ce qui se passait dans les tartanes et même sur les vaisseaux de guerre.
Vers cinq heures, une barque, montée par un officier et quelques marins, se détacha des flancs du Foudroyant et s'avança vers l'une des tartanes.
Il se fit alors un grand mouvement à bord de la tartane que la barque venait d'accoster; douze personnes furent tirées de la tartane et descendirent dans la barque; puis la barque volta et rama de nouveau vers le Foudroyant, sur le pont duquel montèrent les douze patriotes, qui bientôt, pour ne plus reparaître, s'enfoncèrent dans les flancs du vaisseau.
Ce fait, dont Salvato cherchait en vain l'explication, lui donna beaucoup à penser.
La nuit vint. Cette excursion que devait faire Mejean inquiétait Luisa. Salvato lui en expliqua la cause en lui faisant part du marché qu'il avait conclu avec Mejean et moyennant lequel il avait acheté leur commun salut.
Luisa serra la main de Salvato.
–N'oublie pas, au besoin, lui dit-elle, que j'ai toute une fortune chez les pauvres Backer.
–Mais à cette fortune, qui n'est point entièrement à toi, répondit en souriant Salvato, n'était-il pas convenu que nous ne toucherions qu'à la dernière extrémité?
Luisa fit un signe affirmatif.
Une heure avant, la sortie du fort, c'est-à-dire vers les onze heures, on discuta si l'on irait au tombeau de Virgile, distant d'un quart de lieue à peu près du fort Saint-Elme, avec une petite escorte, c'est-à-dire en ayant l'air de faire une patrouille, – ou bien si Salvato et Mejean iraient seuls et déguisés.
On opta pour le déguisement.
On se procura deux habits de paysan. Il fut convenu que, si l'on faisait quelque rencontre inattendue, ce serait Salvato qui prendrait la parole. Il parlait le patois napolitain de telle façon, qu'il était impossible de le reconnaître pour ce qu'il était.
L'un prit un pic, et l'autre une bêche, et, à minuit, tous deux sortirent du fort. Ils semblaient deux ouvriers revenant de l'ouvrage et regagnant leur maison.
La nuit, sans être sombre, était nuageuse. La lune, de temps en temps, disparaissait derrière des masses de vapeurs dont elle avait peine à percer l'opacité.
Ils sortirent par une petite poterne faisant face au village d'Antiguano, mais prirent presque aussitôt un petit sentier tournant à gauche et conduisant à Pietra-Catella; puis ils s'engagèrent franchement dans le Vomero, prirent une ruelle qui les conduisit hors du village, laissèrent à gauche la Carone-del-Cielo, et, par l'étroit sentier qui conduit à la rampe du Pausilippe, ils gagnèrent le columbarium que l'on est convenu de désigner au voyageur sous le nom de tombeau de Virgile.
–Il est inutile, mon cher colonel, fit Savalto, de vous apprendre ce que nous venons chercher ici.
–Bon! quelque trésor enfoui à ce que je présume?
–Vous avez deviné. Seulement, la somme ne vaut pas la peine d'être désignée sous le non de trésor. Cependant, soyez tranquille, ajouta-t-il ou souriant, elle est suffisante pour m'acquitter envers vous.
Salvato s'avança vers le laurier et commença de fouiller la terre avec sa pioche.
Mejean le suivait d'un oeil avide.
Au bout de cinq minutes, le fer de la pioche résonna sur un corps dur.
–Ah! ah! fit Mejean, qui suivait l'opération avec une attention ressemblant à de l'anxiété.
–N'avez-vous point entendu raconter, colonel, dit en souriant Salvato, que les dieux mânes étaient les gardiens naturels des trésors?
–Si fait, répondit Mejean; seulement, je ne crois point à tout ce que l'on me raconte… Mais chut! n'entendez-vous point du bruit?
Tous deux écoutèrent.
–C'est une charrette qui roule dans la grotte de Pouzzoles, répondit Salvato au bout de quelques secondes.
Puis, se mettant à genoux, il écarta la terre avec les mains.
–C'est étrange! dit-il, il me semble que cette terre a été nouvellement remuée.
–Allons donc! dit Mejean, pas de mauvaise plaisanterie, mon hôte.
–Ce n'est point une plaisanterie, dit Salvato en tirant le coffret hors de terre: la cassette est vide.
Et il se sentit frissonner malgré lui. Il connaissait trop Mejean pour ignorer qu'il ne lui ferait point de grâce, et, d'ailleurs, il ne voulait point lui en demander.
–Il est bizarre, dit Mejean, qu'on ait pris l'argent et laissé la cassette. Secouez-la donc; peut-être entendrons-nous sonner quelque chose.
–Inutile! je sens bien, au poids, qu'elle est vide. D'ailleurs, entrons dans le columbarium, nous l'ouvrirons.
–Vous en avez la clef?
–Elle s'ouvre par un secret.
On entra dans le columbarium; Mejean tira de sa poche une petite lanterne sourde, battit le briquet et alluma.
Salvato poussa le ressort de la cassette: elle s'ouvrit.
Elle était vide, en effet; mais, à la place de l'or, elle contenait un billet.
Salvato et Mejean s'écrièrent en même temps:
–Un billet!
–Je comprends, dit Salvato.
–Bon! l'or est-il retrouvé? demanda vivement le colonel.
–Non; mais il n'est pas perdu, répliqua le jeune homme.
Et, ouvrant le billet, à la lueur de la lanterne sourde, il lut:
«Suivant tes instructions, je suis venu, dans la nuit du 27 au 28, chercher