Le Speronare. Dumas Alexandre

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Le Speronare - Dumas Alexandre

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en acceptant le duel que vous me proposiez. Dieu vous a choisi pour l'exécuteur de sa justice. Il n'a pas voulu qu'une fois adultère et deux fois assassin, je jouisse en paix de l'impunité légale que ma maîtresse avait achetée pour moi à prix d'or. Venez ici, capitaine, voici ma main. Pardonnez-moi comme je vous pardonne.

      Il me donna la main et s'évanouit.

      Je lui fis avaler deux autres cuillerées d'élixir, et il rouvrit les yeux, mais avec le délire. A partir de ce moment, il ne prononça plus que des paroles sans suite entremêlées de prières et de blasphèmes, et le soir à neuf heures il expira, laissant à fra Girolamo la lettre destinée à Lena Morelli.

      – Et qu'est devenue cette jeune femme? demandai-je au capitaine,

      – Elle n'a survécu que trois ans à Gaëtano Sferra, me répondit-il, et elle est morte religieuse au couvent des Carmélites de Messine.

      – Et combien y a-t-il de temps, demandai-je au capitaine, que cet événement a eu lieu?

      – Il y a… dit le capitaine en cherchant dans sa mémoire.

      – Il y a aujourd'hui neuf ans, jour pour jour, répondit Pietro.

      – Aussi, ajouta le pilote, voilà notre tempête qui nous arrive.

      – Comment, notre tempête?

      – Oui. Je ne sais pas comment cela s'est fait, dit Pietro; mais depuis ce temps-là, toutes les fois que nous sommes en mer l'anniversaire de ce jour-là, nous avons eu un temps de chien.

      – C'est juste, dit le capitaine en regardant un gros nuage noir qui s'avançait vers nous venant du midi; c'est pardieu vrai! Nous n'aurions dû partir de Naples que demain.

      L'ANNIVERSAIRE

      Pendant le récit que nous venions d'entendre, le temps s'était pris peu à peu, et le ciel paraissait couvert comme d'une immense tenture grise sur laquelle se détachait par une teinte brune plus foncée le nuage qui avait attiré l'attention du capitaine. De temps en temps de légères bouffées de vent passaient, et l'on avait ouvert notre grande voile pour en profiter, car le vent, venant de l'est, eût été excellent pour nous conduire à Palerme s'il avait pu se régler. Mais bientôt, soit que ces bouffées cessassent d'être fixes, soit que déjà les premières haleines d'un vent contraire nous arrivassent de Sicile, la voile commença à battre contre le mât, de telle façon que le pilote ordonna de la carguer. Lorsque le temps menaçait, le capitaine résignait aussitôt, je crois l'avoir dit, ses pouvoirs entre les mains du vieux Nunzio, et redevenait lui-même le premier et le plus docile des matelots. Aussi, à l'injonction faite par le pilote de débarrasser le pont, le capitaine fut-il le plus actif à enterrer notre table, et à aider Jadin à rentrer dans sa cabine son tabouret et ses cartons. Du reste, le portrait était fini, et de la plus exacte ressemblance, ce qui avait combattu chez le capitaine par un sentiment de plaisir l'impression douloureuse que lui avait causée le souvenir sur lequel nous l'avions forcé de s'arrêter.

      Cependant le temps se couvrait de plus en plus, et l'atmosphère offrait tous les signes d'une tempête prochaine. Sans qu'ils eussent été prévenus le moins du monde du danger qui nous menaçait, nos matelots, pour qui l'heure de dormir était venue, s'étaient réveillés comme par instinct, et sortaient les uns après les autres, et le nez en l'air, par l'écoutille de l'avant; puis ils se rangeaient silencieusement sur le pont, clignant de l'oeil, et faisant un signe de tête qui voulait certainement dire: – Bon, ça chauffe; – puis, toujours silencieux, les uns retroussaient leurs manches, les autres jetaient bas leurs chemises. Filippo seul était assis sur le rebord de l'écoutille, les jambes pendantes dans l'entrepont, la tête appuyée sur sa main, regardant le ciel avec sa figure impassible, et sifflotant par habitude l'air de la tarentelle. Mais, cette fois, Pietro était sourd à l'air provocateur, et il paraît même que cette mélodie monotone parut quelque peu intempestive au vieux Nunzio; car, montant sur le bastingage du bâtiment sans lâcher le timon du gouvernail, il passa la tête par-dessus la cabine, et s'adressant à l'équipage comme s'il ne voyait pas le musicien:

      – Avec la permission de ces messieurs, dit-il en ôtant son bonnet, qui est-ce donc qui siffle ici?

      – Je crois que c'est moi, vieux, répondit Filippo; mais c'est sans y faire attention, en vérité de Dieu!

      – A la bonne heure! dit Nunzio, et il disparut derrière la cabine. Filippo se tut.

      La mer, quoique calme encore, changeait déjà visiblement de couleur. De bleu d'azur qu'elle était une heure auparavant, elle devenait gris de cendres. Sur son miroir terne venaient éclore de larges bulles d'air qui semblaient monter des profondeurs de l'eau à la surface. De temps en temps ces légères rafales que les marins appellent des pattes de chat, égratignaient sa nappe sombre, et laissaient briller trois ou quatre raies d'écume, comme si une main invisible l'eût battue d'un coup de verges. Notre speronare, qui n'avait plus de vent, et que nos matelots ne poussaient plus à la rame, était sinon immobile, du moins stationnaire, et roulait balancé par une large houle qui commençait à se faire sentir; il y eut alors un quart d'heure de silence d'autant plus solennel, que la brume qui s'étendait autour de nous nous avait peu à peu dérobé toute terre, et que nous nous trouvions sur le point de faire face à une tempête qui s'annonçait sérieusement, non pas avec un vaisseau, mais avec une véritable barque de pêcheurs. Je regardais nos hommes, ils étaient tous sur le pont, prêts à la manoeuvre et calmes, mais de ce calme qui naît de la résolution et non de la sécurité.

      – Capitaine, dis-je au patron en m'approchant de lui, n'oubliez pas que nous sommes des hommes; et si le danger devient réel, dites-le-nous.

      – Soyez tranquille, répondit le capitaine.

      – Eh bien! pauvre Milord! dît Jadin en donnant à son bouledogue une claque d'amitié qui aurait tué un chien ordinaire; nous allons donc voir une petite tempête: ça vous fera-t-il plaisir, hein?

      Milord répondit par un hurlement sourd et prolongé, qui prouva qu'il n'était pas tout à fait indifférent à la scène qui se passait, et qu'instinctivement lui aussi pressentait le danger.

      – Le mistral! cria le pilote en levant sa tête au-dessus de la cabine.

      Aussitôt chacun tourna ses yeux vers l'arrière: on voyait pour ainsi dire venir le vent; une ligne d'écume courait devant lui, et derrière cette ligne d'écume on voyait la mer qui commençait à s'élever en vagues. Les matelots s'élancèrent, les uns au beaupré et les autres au petit mât du milieu, et déployèrent la voile de foc, et une petite triangulaire dont j'ignore le nom, mais qui me parut correspondre à la voile du grand hunier d'un vaisseau. Pendant ce temps le mistral arrivait sur nous comme un cheval de course, précédé d'un sifflement qui n'était pas sans quelque majesté. Nous le sentîmes passer: presque aussitôt notre petite barque frémit, ses voiles se gonflèrent comme si elles allaient rompre; le bâtiment enfonça sa proue dans la mer, la creusant comme un vaste soc de charrue, et nous nous sentîmes emportés comme une plume au vent.

      – Mais, dis-je au capitaine, il me semble que dans les gros temps, au lieu de donner prise à la tempête, comme nous le faisons, on abaisse toutes les voiles. D'où vient que nous n'agissons pas comme on agit d'habitude?

      – Oh! nous n'en sommes pas encore là, me répondit le capitaine; le vent qui souffle maintenant est bon, et si nous l'avions seulement pendant douze heures, à la treizième nous ne serions pas loin, je ne dis pas de Païenne, mais de Messine. Tenez-vous beaucoup à aller à Palerme plutôt qu'à Messine?

      – Non, je tiens à aller en Sicile, voilà tout. Et vous dites donc que le vent que nous avons à cette heure

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