Le Speronare. Dumas Alexandre
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En effet, notre speronare allait comme une flèche, faisant voler sur ses deux flancs de larges flocons d'écume; le temps s'assombrissait de plus en plus, les nuages semblaient se détacher du ciel et s'abaisser sur la mer, de larges gouttes de pluie commençaient à tomber.
Nous fîmes ainsi, en moins d'une heure, huit à dix milles à peu près; puis la pluie devint si violente, que, quelque envie que nous eussions de rester sur le pont, nous fûmes forcés de rentrer dans la cabine. En repassant près de l'écoutille de l'arrière, nous aperçûmes notre cuisinier qui roulait au milieu d'une douzaine de tonneaux ou de barriques, aussi parfaitement insensible que s'il était mort. Depuis le moment où nous avions mis le pied à bord, le mal de mer l'avait pris, et nous n'avions pu, à l'heure des repas, en tirer autre chose que des plaintes déchirantes sur le malheur qu'il avait eu de s'embarquer.
Nous rentrâmes dans la cabine, et nous nous jetâmes sur nos matelas. Milord, devenu doux comme un agneau, suivait son maître la queue et la tête entre les jambes. A peine étions-nous dans la cabine, que nous entendîmes un grand remue-ménage sur le pont, et que les mots: Burrasca! burrasca! prononcés à haute voix par le pilote, attirèrent notre attention. Au même moment, notre petit bâtiment se mit à danser de si étrange sorte, que je compris que le sirocco et le mistral s'étaient enfin rejoints, et que ces deux vieux ennemis se battaient sur notre dos. En même temps, le tonnerre se mit de la partie, et nous entendîmes ses roulements au-dessus du tapage infernal que faisaient les vagues, le vent et nos hommes. Tout à coup, et au-dessus du bruit de nos hommes, du vent, des vagues et du tonnerre, nous entendîmes la voix du pilote criant, avec cet accent qui veut l'obéissance immédiate: Tutto a basso! Tout à bas.
Le pont retentit des pas de nos matelots et de leurs cris pour s'exciter l'un l'autre; mais, malgré cette bonne volonté qu'ils montraient, le speronare s'inclina tellement à babord que, ne pouvant me maintenir sur une pente de 40 à 45 degrés, je roulai sur Jadin; nous comprîmes alors qu'il se passait quelque chose d'insolite, et nous nous précipitâmes vers la porte de la cabine; une vague, qui venait pour y entrer comme nous allions pour en sortir, nous confirma dans notre opinion; nous nous accrochâmes à la porte, et nous nous maintînmes malgré la secousse. Quoiqu'il ne fût que cinq à six heures du soir à peu près, on ne voyait absolument rien, tant la nuit était noire, et tant la pluie était épaisse. Nous appelâmes le capitaine pour savoir ce qui se passait; on nous répondit par des cris confus; en même temps un roulement de tonnerre effroyable se fit entendre, le ciel parut s'enflammer et se fendre, et nous vîmes tous nos hommes, depuis le capitaine jusqu'aux mousses, occupés à tirer la grande voile dont les cordes mouillées ne voulaient pas rouler dans les poulies. Pendant ce temps, le bâtiment s'inclinait toujours davantage; nous marchions littéralement sur le flanc, et le bout de la vergue trempait dans la mer.
– Tout à bas! tout à bas! continuait de crier le pilote, d'une voix qui indiquait qu'il n'y avait pas de temps à perdre. – Tout à bas, au nom de Dieu!
– Taillez! coupez! criait le capitaine. Il y a de la toile à Messine, pardieu!
En ce moment nous vîmes pour ainsi dire voler un homme au-dessus de notre tête; cet homme, ou plutôt cette ombre, sauta du toit de la cabine sur le bastingage, du bastingage sur la vergue. Au même instant on entendit le petit cri d'une corde qui se rompt. La voile, de tendue et de gonflée qu'elle était, devint flottante, et s'arracha elle-même aux liens qui la retenaient tout le long de la vergue: un instant encore arrêtée par le dernier lien, elle flotta comme un énorme étendard au bout de la vergue. Enfin ce dernier obstacle se rompit à son tour, et la voile disparut comme un nuage blanc emporté par le vent dans les profondeurs du ciel. Le speronare se releva. Tout l'équipage jeta un cri de joie.
Quant au pilote, il était déjà retourné à son poste et assis à son gouvernail.
– Ma foi! dit le capitaine en s'approchant de nous, nous l'avons échappé belle, et j'ai cru un instant que nous allions tourner cap dessus cap dessous; et, sans le vieux qui s'est trouvé là à point nommé, je ne sais pas comment ça allait se passer.
– Dites donc, capitaine, demandai-je, il me semble qu'il a bien mérité une bouteille de vin de Bordeaux: si nous la lui faisions monter?
– Demain, pas ce soir; ce soir pas un seul verre, nous avons besoin qu'il ait toute sa tête, voyez-vous; c'est Dieu qui nous pousse et c'est lui qui nous conduit.
Pietro s'approcha de nous.
– Que veux-tu? lui demanda le capitaine.
– Moi, rien, capitaine; seulement, sans indiscrétion, est-ce que vous avez oublié de lui faire dire sa messe à cet animal-là?
– Silence! dit le capitaine; ce qui devait être fait à été fait, soyez tranquille.
– Mais alors de quoi se plaint-il?
– Tiens, Pietro, veux-tu que je te dise, reprit le capitaine, tant qu'il me restera un sou de son maudit argent, je crois que ce sera comme cela. Aussi, en arrivant à la Pace, je porte le reste à l'église des Jésuites, et je fais une fondation annuelle, parole d'honneur.
– Ils y tiennent, dit Jadin.
– Que diable voulez-vous, mon cher? repris-je. Le moyen de ne pas être superstitieux, quand on se trouve sur une pareille coquille de noix, entre un ciel qui flambe, une mer qui rugit, et un tas de vents qui viennent on ne sait d'où. J'avoue que je suis comme le capitaine, tout prêt à faire dire aussi une messe pour l'âme de ce bon monsieur Gaëtano.
– Ne vous engagez pas trop, me dit Jadin, il me semble que voilà le calme qui revient.
En effet, il y avait en ce moment entre le sirocco et le mistral une espèce de trêve, de sorte que le bâtiment était redevenu un peu tranquille, quoiqu'il eût encore l'air de frémir comme un cheval effrayé. Le capitaine alors monta sur un banc, et pardessus le toit de la cabine échangea quelques paroles avec le pilote.
– Oui, oui, dit celui-ci, il n'y aura pas de mal, quoique nous n'ayons pas pour bien longtemps à être tranquilles. Oui, cela nous fera toujours gagner un mille ou deux.
– Qu'allons-nous faire? demandai-je.
– Profiter de ce moment de bonace pour marcher un peu à la rame. Ohé! les enfants, continua-t-il, aux rames! aux rames!
Les matelots s'élancèrent sur les avirons, qui s'allongèrent par-dessus les bastingages, comme les pattes de quelque animal gigantesque, et qui commencèrent à battre la mer.
Au premier coup, le chant habituel de nos matelots commença; mais à cette heure, après le danger que nous venions de courir, il me sembla plus doux et plus mélancolique que d'habitude. Il faut avoir entendu cette mélodie en circonstance pareille, et dans une nuit semblable, pour se faire une idée de l'effet qu'elle produisit sur nous. Ces hommes qui chantaient ainsi entre le danger passé et le danger à venir, étaient une sainte et vivante image de la foi.
Cette trêve dura une demi-heure à peu près. Puis la pluie commença à retomber plus épaisse, le tonnerre à gronder plus fort, le ciel à s'ouvrir plus enflammé, et le cri déjà si connu: La burrasca! la burrasca! retentit de nouveau derrière la cabine. Aussitôt les matelots tirèrent les avirons, les rangèrent le long du bord, et se tinrent de nouveau prêts à la manoeuvre.
Nous eûmes alors une nouvelle répétition de la scène que j'ai racontée, moins l'épisode de la voile, plus un événement qui le remplaça