La capitaine. Emile Chevalier
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– Oui, maître.
– Tu te muniras d’une lanterne sourde.
– Oui, maître.
– De pelles et de pioches.
– Oui, maître.
– Est-ce tout?… Voyons… Non, nous aurons encore besoin de cordes.
– Oui, maître.
– C’est bien.
– Oui, maître.
– Va!
– Oui, maître, répondit le serviteur évoluant sur les talons avec la précision d’un vieux troupier.
– Ah! se ravisa le comte, à minuit tu frapperas à ma porte.
– Oui, maître.
Ces deux mots, changés quelquefois en «non, maître», étaient les seuls qu’on eût jamais entendus sortir de la bouche de Samson. Aussi les curieux, qui avaient tenté de le séduire, pour en tirer quelques informations sur le comte, disaient-ils que c’était un automate ambulant. Ses pas étaient, du reste, toujours comptés, toujours mesurés; ses mouvements avaient la régularité d’une horloge; sa voix conservait toujours la même inflexion. C’était une note brève et sèche, laquelle fatiguait, irritait l’oreille par son uniformité.
Jamais on n’avait vu Samson en colère. Cependant, il ne laissait pas facilement approcher du comte. Plus d’un indiscret, plus d’un importun avaient été méthodiquement appréhendés au corps par l’Hercule et aussi méthodiquement lancés à cinq, dix, quinze ou vingt pas, suivant le degré d’ennui qu’ils avaient causé audit Samson. Les larmes lui étaient étrangères; le rire lui était inconnu. D’émotion, il ne paraissait pas susceptible. C’était une surface de bronze qui ne laissait rien percer de ce qui s’agitait derrière.
Le comte n’avait pas d’autre domestique attitré. Quand il demeurait à Halifax, il louait un laquais et un cocher pour sa voiture, un groom et un valet d’écurie pour ses chevaux. Mais ces gens vivaient au dehors, et il leur était défendu de se présenter à l’appartement du jeune homme.
Comment se nourrissait-il? on l’ignorait. Quand il rendait un dîner, c’était à l’hôtel.
Samson le suivait partout, l’attendait à la porte des maisons où il avait affaire, et rarement se trouvait-il à plus de cent pas de lui.
À minuit sonnant, il heurta trois coups à la porte du comte.
– C’est bien, j’y suis, répondit celui-ci.
Et il ouvrit.
– As-tu les instruments? dit-il.
– Oui, maître.
– Prends aussi des pistolets.
– Oui, maître.
Samson fit trois enjambées dans la chambre, ramena ses pieds en équerre, et décrocha une paire de pistolets d’arçon pendus dans une panoplie à la muraille.
– Es-tu prêt? dit Arthur Lancelot.
– Oui, maître.
Ils descendirent dans la rue.
Tout était noir, silencieux.
On n’entendait que les lointains gémissements de la mer sur les grèves sablonneuses.
Les deux hommes furent bientôt au cimetière, situé aux portes de la ville.
En approchant, ils perçurent des sons de voix, et distinguèrent une faible lumière qui semblait voltiger au milieu des arbres dont les tombeaux sont ombragés.
– On dirait un feu follet, murmura le comte qui n’avait pas desserré les dents pendant tout le trajet.
– Oui, maître.
– Mais, vois-tu ces ombres qui remuent là-bas?
– Oui, maître!
– Ah! je parierais que ce sont quelques misérables étudiants en médecine, qui pour avoir un cadavre profanent la sépulture… Qu’est-ce que cela?
Un cri de frayeur s’était élevé du cimetière et un spectre se dressait au milieu.
Trois ou quatre individus, fuyant à toutes jambes, passèrent presque aussitôt près de Lancelot et de son domestique.
Le spectre avait l’air de marcher sur eux.
– C’est extraordinaire, dit Arthur. Mais tu n’as pas peur?
– Non, maître.
Ils entrèrent dans le lieu saint. L’apparition s’était évanouie, comme, si elle était rentrée soudainement en terre.
Samson alluma sa lanterne et ils s’avancèrent vers la tombe de Bertrand.
La fosse était découverte; elle était vide!
– Mon Dieu! ces jeunes gens, ces résurrectionnistes[1] auraient-ils emporté le cadavre, pour le disséquer! s’écria Lancelot avec une expression d’angoisse.
– Non, maître.
Et Samson montra, avec sa lanterne, un corps enveloppé d’un suaire, étendu dans des touffes de hautes herbes.
II. Le ressuscité
L’habitation de M. du Sault se composait d’un gros pavillon carré, bâti à la cime d’un cap énorme, que battaient incessamment les flots de la mer.
Ce pavillon avait trois étages, couronnés par une terrasse, du haut de laquelle se déroulaient des tableaux sublimes ou charmants. Ici, l’Océan avec toutes ses grandeurs, ses abîmes, ses mystères, sa vie prodigieuse, mais à peine soupçonnée, l’Océan avec ses infinis horizons; là, des campagnes nouvellement ouvertes à l’industrie humaine, et déjà fécondées par son travail ingénieux, égayées par ses maisons, ses troupeaux; plus loin de sombres forêts vierges encore, que le pied de l’homme civilisé ne foula jamais; à droite une côte découpée et tailladée comme de la dentelle qui serpente, blanche ligne de démarcation, entre le bleu foncé des eaux et le vert éblouissant des prairies salines; à gauche, la ville d’Halifax, avec son port plein de mouvement, sa forêt de mâts, les rochers pittoresques et les forts qui la défendent, les vastes entrepôts, les chantiers, présages certains d’un florissant avenir, les édifices publics dont elle s’enorgueillit déjà, les beaux massifs d’arbres desquels on lui a fait une ceinture, et la gracieuse colline qui l’abrite contre les froides haleines de la bise.
Où que vous vous tourniez, sur la terrasse de M. du Sault, le spectacle enchantait.
La maison était construite, sur fondations en pierre de taille, avec des briques rouges, striées de filets blancs, qui lui donnaient un air de fête et conviaient le voyageur fatigué à s’y venir reposer.