La capitaine. Emile Chevalier

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La capitaine - Emile Chevalier

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cette façade se déployait une pelouse, arrosée par un jet d’eau et entourée d’une haute grille en fer qui enveloppait aussi, dans son corset, plusieurs bâtiments adjacents: une belle métairie, avec ses écuries, ses granges, ses cour et basse-cour, son pigeonnier, tout son matériel d’exploitation; puis l’établissement de pêcherie de M. du Sault, consistant en une série de hangars et séchoirs en bois qui n’avait pas moins d’un quart de mille de longueur.

      La métairie et la pêcherie se trouvaient entre la villa et Halifax; mais, de l’autre côté, s’étalait un parterre délicieux, suivi d’un parc immense, longeant la mer où il baignait son pied.

      Un ruisseau, dérivé de son cours naturel, l’arrosait par cent festons capricieux et lui communiquait une fraîcheur avidement recherchée pendant les ardeurs de l’été.

      Quelques kiosques, tapissés de lierre, liserons, clématites et autres plantes grimpantes, s’enchâssaient çà et là dans le parc, soit sur le bord du ruisseau, soit sur une haute falaise, dominant l’Atlantique.

      Dans ces kiosques, tantôt sous les ombrages, au concert de mille oiseaux aimables, tantôt sur la roche nue, aride, au formidable solo de l’Océan dont les fureurs rejaillissaient, en blanche écume, jusque sur eux, que de douces et rapides heures Bertrand et Emmeline avaient coulées! que de projets d’avenir, de bonheur ils avaient fait éclore et miroiter au souffle de leur vive imagination, comme ces bulles de savon que les écoliers lancent en jouant dans l’air!

      Autant en emporte le vent, mais autant en retrouve notre esprit quand il est jeune, enflammé par l’amour ou l’ambition.

      En l’un de ces adorables réduits, devant une pièce d’eau où s’ébattaient deux beaux cygnes, par une chaude après-midi du mois de juillet, Emmeline et Bertrand causaient, tendrement enlacés l’un à l’autre.

      L’endroit était ravissant. Aussi avait-il la prédilection des deux jeunes gens.

      Des arbres séculaires, reliés par des buissons de houx impénétrables, et des acacias aux épines acérées, l’environnaient de mystère en le protégeant contre les regards indiscrets. On y arrivait par un étroit sentier dérobé, perdu dans un fouillis de végétations sauvages, épaisses et repoussantes.

      Avant d’aboutir à l’Oasis, – ainsi le frère et la sœur avaient-ils dénommé leur Éden, – le sentier se tordait comme un écheveau de fil, et fatiguait le non-initié par des méandres qui paraissaient inextricables.

      Mais à l’extrémité de ce labyrinthe quel dédommagement!

      Un vaste réservoir, dont les rives sont émaillées de fleurs chatoyantes et odoriférantes; des ondes limpides, diaphanes ainsi que le cristal, où se jouent, à travers les larges feuilles du nénuphar, aux corolles blanches et jaunes, des poissons qui brillent comme le diamant, chaque fois qu’un rayon de soleil effleure leurs écailles.

      De la musique enchanteresse que font sous la feuillée les fauvettes, les chardonnerets et le roi des ténors ailés, l’oiseau moqueur, pourquoi parler? Mais, comme le gazouillement du ruisseau qui frétille là-bas, sur une cascatelle, avant de tomber dans sa vasque d’émeraude, est donc argentin! comme il charme l’oreille! endort la mélancolie! Que ces gazons sont frais! Que ces centenaires de la forêt ont de séduction avec leurs troncs noueux, habillés de lierre; leurs longs rameaux chargés de gui, avec la pénombre qu’ils étendent mollement à leur pied! Que l’on aime à suivre ces fleurs d’acacia, sveltes carènes détachées de la tige, sillant le petit lac en tous sens au gré de la brise!

      Le kiosque de l’Oasis s’élevait au sommet même de la cataracte en miniature, sur une voûte formant grotte jetée en travers du ruisseau. Il était rustique comme un chalet suisse, vêtu de mousse des pieds à la tête, et n’avait qu’une pièce.

      C’était une chambre octogone tendue de nattes de jonc et garnie de banquettes en canne.

      Une table, une bibliothèque composée avec goût, voilà pour le mobilier. On s’était bien gardé d’y mettre une pendule, une horloge, ou quoi que ce soit qui rappelât la marche du temps.

      – Oh! dit Emmeline en embrassant son frère, comme c’est bon de te sentir près de moi!

      – Et comme c’est bon d’être ici, petite sœur! dit Bertrand avec un sourire.

      – Ô mon Dieu, quand je songe aux tortures…

      – Dis à l’agonie!

      – Oui, à cette agonie de trois jours!

      – C’est effroyable!

      – Tu me fais peur, rien que d’y penser.

      – Ah! dit Bertrand, il faut l’avoir éprouvée, cette agonie cent fois pire que la mort, pour en pouvoir parler. Et encore! Y a-t-il des expressions capables de traduire fidèlement toutes ces épouvantables émotions! Je me demande comment on n’en meurt pas! comment la violence des chocs ne fait pas éclater le cerveau, rompre les attaches du cœur!

      – Pauvre frère! dit Emmeline en se jetant de nouveau à son cou; pauvre frère, oh! comme je t’aime! N’est-ce pas que nous ne nous quitterons plus… non, jamais… D’abord, je veux, monsieur, que vous abandonniez ce vilain métier de marin!

      – Nous verrons, nous verrons, petite folle, dit Bertrand, en lui rendant prodigalement ses caresses.

      Ils formaient un groupe exquis que l’art eût aimé à reproduire.

      Grande, mince, élancée, Emmeline avait des proportions admirables, dont un élégant déshabillé faisait merveilleusement ressortir les beautés. Ses cheveux étaient blonds comme l’or, ses yeux – contraste saisissant – noirs comme le jais.

      Des traits corrects, un teint ordinairement rose, des extrémités fines, nerveuses, une physionomie de race achevait d’en faire à l’extérieur une femme entièrement séduisante.

      Pour le caractère, elle était languissante, molle comme une créole; mais impérieuse comme elle, à certains moments; comme elle aussi dure, opiniâtre, inflexible.

      Ce caractère n’avait pas, du reste, reçu tout son dessin. Il offrait des lignes indécises, noyées, que le feu des passions n’avait pas encore accentuées, mais qu’il ne tarderait pas à creuser, à mettre en relief.

      Bertrand était tout l’opposé de sa sœur, au physique comme au moral.

      Si elle avait les cheveux blonds, il les avait châtains foncés; si elle avait les yeux noirs, il les avait d’un bleu d’azur. Quoique pâli par la maladie, son visage était rond, plein; une de ces figures dont le peuple dit: «C’est une figure de bon enfant.»

      Sans manquer de distinction, il était loin de posséder le galbe et le maintien aristocratiques d’Emmeline.

      Elle semblait la fille d’une duchesse, en présentait la grâce, la fierté innée; lui, le fils d’un parvenu, en montrait la tournure et le naturel un peu vaniteux.

      Ce qui ne l’empêchait pas de passer, à Halifax, et d’être en somme un jeune homme de bon ton et de manières excellentes. Si j’étais commère, j’ajouterais qu’avant l’arrivée d’Arthur Lancelot, il était le point de mire des plus riches et des plus nobles héritières.

      – Mais, reprit-il, comment

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