Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3. George Gordon Byron
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Le terrible Mouchtar, son fils, est allé sur le Danube: que les Giaours67 à la chevelure jaune68 tremblent devant sa queue de cheval69: quand ses Delhis70 fondront avec fureur sur les rangs ennemis, combien il échappera peu de Moscovites au tranchant de leur sabre!
Sélietar71, tire de son fourreau le cimeterre de notre Capitaine. Tambourgui! tes alarmes nous donnent la promesse de la guerre; vous, montagnes, qui nous voyez descendre au rivage, vous nous reverrez comme vainqueurs, ou vous ne nous reverrez point!
73. Belle Grèce! triste débris d'un empire glorieux72! immortelle, quoique n'étant plus! grande encore, quoique tombée! Qui guidera maintenant au combat tes enfans dispersés, et effacera les traces de ton long esclavage? Tes enfans ne ressemblent plus à ces guerriers intrépides qui, résolus à un trépas volontaire, allèrent l'attendre dans le défilé sépulcral des sombres Thermopyles. – Oh! qui recueillera leur généreux dévouement, s'élancera des bords de l'Eurotas, et te rappellera du sommeil de la tombe?
74. Génie de la liberté! lorsque tu guidas Thrasybule et ses compagnons sur les hauteurs de Phylé73, pouvais-tu prévoir l'heure fatale où la désolation s'appesantirait sur les plaines attiques? Ce ne sont pas seulement trente tyrans qui appesantissent les chaînes de la Grèce; tout musulman peut être un despote sur ta terre sacrée; et tes enfans ne se soulèvent point! ils se bornent à de vaines malédictions, tremblans sous la verge d'une main turque, esclaves du berceau jusqu'à la tombe; en un mot, dégradés, de la dignité d'homme.
75. Comme tout est changé en eux, excepté la forme seule de leurs traits! et qui pourrait voir la flamme étincelante de leurs yeux, sans penser que leur cœur brûle de nouveau de ton feu immortel, ô liberté perdue! Plusieurs d'entre eux rêvent que l'heure est proche où ils pourront reconquérir l'héritage de leurs pères. Ils soupirent vivement après le secours des armes étrangères, sans oser marcher seuls contre la férocité de leurs ennemis, ou effacer leur nom avili des fastes douloureux, de l'esclavage.
76. Serfs héréditaires74! ne savez-vous pas que ceux qui veulent être libres doivent s'affranchir eux-mêmes? que c'est par leur bras seul que leur liberté doit être conquise? Croyez-vous que le Gaulois ou le Russe vous affranchiront? – Non! – Ils pourront abaisser vos orgueilleux oppresseurs, mais vous ne porterez plus d'offrandes aux autels de la liberté! Ombres des Hilotes! triomphez de vos ennemis! O Grèce! change de maîtres, ton sort sera toujours le même. Tes jours de gloire sont passés, mais non tes années de honte.
77. La cité conquise sur les Giaours, au nom d'Allah, peut être reconquise par eux sur les descendans d'Othman. L'impénétrable tour du sérail peut encore recevoir les Francs intrépides, ses premiers conquérans75. Les enfans de la race rebelle de Vahab76 qui osa dépouiller le tombeau du prophète de toutes les pieuses offrandes, peuvent encore précipiter leur marche sanglante à l'occident de leur brûlante patrie; mais jamais la liberté ne reviendra visiter cette terre désolée, où les esclaves succéderont aux esclaves pendant des années innombrables d'éternelles misères.
78. Cependant remarquez la gaîté de ces Grecs dans ces jours qui précèdent ceux du carême, pendant lesquels ils se préparent, dans leurs saints rites, à la pénitence qui délivre l'homme du poids de ses péchés mortels par des abstinences durant le jour et des prières nocturnes. Mais avant que le repentir se couvre du costume de pénitent, il est permis à tout le monde de prendre quelques jours de divertissemens pour se livrer à tous les plaisirs, d'aller à la danse des bals masqués sous les costumes les plus bizarres, et de se réunir à la troupe mimique du joyeux carnaval.
79. Quels chrétiens se livrent plus aux divertissemens que les tiens, ô Stamboul, jadis la capitale de leur empire? Ils ont oublié que les turbans souillent maintenant Sainte-Sophie, et que la Grèce n'a plus d'autels. (Hélas! ses malheurs viennent encore attrister mes chants!) Ses poètes autrefois faisaient entendre des chants de joie, car le peuple était libre. Ils ressentaient tous la commune allégresse qu'aujourd'hui ils sont obligés de feindre. Je n'avais jamais vu un tel spectacle, ni entendu de tels chants que ceux qui faisaient tressaillir le Bosphore.
80. Grand était le tumulte joyeux qui faisait retentir le rivage; la musique changeait à chaque instant, sans interrompre ses accords. De tems en tems l'écho répétait le bruit cadencé des rames sur la mer, et les vagues répondant à ce battement mesuré, rendaient un doux gémissement. La reine des marées répandait du haut des cieux une clarté complice, et lorsqu'une brise passagère glissait sur les vagues, on l'eût prise pour un rayon plus brillant, détaché de son trône pour réfléchir dans l'onde son image jusqu'à ce que les flots étincelans parurent éclairer le rivage qu'ils baignaient avec harmonie.
81. Plusieurs légers caïques effleuraient la surface écumante des flots. Les filles de la contrée dansaient sur le rivage. Le jeune homme et la jeune vierge oubliaient, tous les deux, le sommeil et la demeure de leurs pères, tandis que des yeux languissans se faisaient entre eux un échange de regards auxquels peu de cœurs pouvaient résister; une main tremblante se sentait pressée avec tendresse, et répondait à la main qui la pressait. O amour! amour de la jeunesse, enchaîné dans tes liens de rose! que le sage ou le cynique dissertent tant qu'ils voudront; ces heures, ces heures seules rachètent des siècles d'infortunes.
82. Mais parmi cette foule joyeuse sous le masque, n'est-il point de cœurs qui frémissent d'une indignation secrète, et que le déguisement le plus soigné peut trahir à demi? Pour de tels cœurs les doux murmures de la vague semblent répéter leurs plaintes et leurs vains gémissemens. Pour de tels cœurs la gaîté de la foule folâtre est une source de pensées tristes et de froid dédain. Comme ils maudissent ces gaîtés insouciantes et prolongées, et qu'il leur tarde de changer leur robe de fête pour celle de la tombe!
83. Tel doit être le sentiment d'un vrai fils de la Grèce, si la Grèce peut encore s'enorgueillir d'un vrai patriote. Ils ne sont pas dignes de ce nom, ceux qui parlent toujours de guerre dans les douceurs de la paix, d'une paix d'esclave; qui soupirent après tout ce qu'ils ont perdu, et qui cependant abordent leurs tyrans avec un doux sourire, et portent à la main la faucille servile, au lieu du glaive de la liberté. Ah! Grèce! ceux qui t'aiment le moins sont ceux qui te doivent le plus; leur naissance, leur sang et cette sublime lignée d'ancêtres illustres qui sont la honte de ta race dégénérée.
84. Quand on verra renaître les austères vertus de Lacédémone; quand Thèbes donnera le jour à d'autres Épaminondas; quand les enfans d'Athènes retrouveront des cœurs; quand les mères grecques enfanteront des hommes; alors tu pourras être délivrée, mais non avant. Mille ans suffisent à peine pour fonder un empire; une heure peut le réduire en poussière. Et quand un peuple peut-il recouvrer sa splendeur dispersée, rappeler ses anciennes vertus, et triompher du tems et de la destinée?
85. Et cependant, que tu es encore belle dans tes jours de misères, patrie d'hommes divins et de dieux qui ont subi le destin des mortels! Tes vallons, toujours verts, tes montagnes couronnées de neige77, te proclament encore la bien-aimée de la nature! Tes autels, tes temples renversés, mêlant
67
Infidèles, ou ceux qui ne suivent pas la croyance du prophète.
68
Les Musulmans donnent l'épithète de
69
Les
70
Cavaliers, répondant à des espèces de corps francs.
71
Porte-épée.
72
On trouvera quelques idées sur ce sujet dans les fragmens qui suivent.
73
Phylé, qui commande une belle vue d'Athènes, conserve encore des ruines considérables; elle fut prise par Thrasybule, la veille de l'expulsion des trente tyrans.
74
Il est nécessaire de se rappeler que ces vers furent écrits avant l'insurrection grecque, pour justifier le poète et ceux qu'il qualifie ainsi.
On sait comment ils ont répondu à l'appel.
(
75
Lorsqu'elle fut prise par les latins, et conservée pendant plusieurs années. (Voyez
76
La Mecque et Médine furent prises il y a quelque tems par les Wahabis, secte qui s'accroît chaque jour.
77
Sur un grand nombre de montagnes, particulièrement Liakura, la neige ne se fond jamais entièrement, malgré la chaleur intense de l'été; mais je n'en ai jamais vu durer dans la plaine, même en hiver.