La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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j’étais soigneuse, en définitive, studieuse et appliquée, comme j’étais plus intelligente que les autres, les bonnes sœurs m’aimaient assez. Elles disaient que je serais «un bon sujet,» et qu’on me trouverait une place avantageuse avec des bourgeois pieux et riches, de ceux qui composent la clientèle des maisons religieuses…

      Elles ne me reprochaient que d’être sournoise…

      Je ne l’étais pas, cependant, mais triste et résignée. Tout m’avait tellement heurtée et meurtrie autour de moi, que je m’étais repliée sur moi-même, concentrée, et qu’en dedans de moi je faisais comme un sanctuaire inviolable pour mes pensées et mes inspirations… Peut-être avais-je un mauvais naturel…

      Souvent je me le suis demandé dans toute la sincérité de mon âme. Je n’ai pu me répondre, parce qu’on ne saurait être bon juge dans sa propre cause…

      Ce qui est sûr, c’est que toutes les actions qui laissent dans la vie des jeunes filles une traînée lumineuse, ne me rappellent à moi que tourments et misères, luttes désespérées, humiliations dévorées avec rage.

      J’ai failli ne pas faire ma première communion parce que je ne voulais pas porter une certaine robe dont une «dame bienfaitrice» avait fait cadeau à la communauté, et qui venait, je l’avais entendu dire, d’une petite fille de mon âge, qui était morte de la poitrine…

      Mettre cette robe pour m’approcher de la sainte table, me révoltait et m’épouvantait, comme si on m’eût condamnée à me draper dans un suaire…

      Et cependant c’était la plus belle de toutes, en mousseline, avec des broderies au bas; elle avait été ardemment convoitée et m’avait été adjugée à titre de récompense…

      Et moi, je n’osais avouer les motifs de mon insurmontable répugnance… qui les eût compris!.. Je n’étais que trop accusée déjà de délicatesses et de fiertés ridicules dans mon humble position.

      Tout cet orage se passa en moi… j’avais douze ans… ou de moi au vieux prêtre qui nous confessait. A lui, j’osai tout avouer, et lui, du moins, vieillard, mais homme, sut me comprendre et ne me fit pas de reproches…

      – Vous porterez cette robe, mon enfant, me dit-il, parce qu’il faut que votre orgueil soit brisé. Allez… je ne vous imposerai pas d’autre pénitence.

      Depuis vingt-cinq ans qu’il rendait la justice, le juge avait recueilli bien des aveux, arrachés par la nécessité ou la douleur.Et j’obéis, glacée d’une superstitieuse terreur, car il me semblait que ce devait être là un épouvantable présage, qui toujours, toute ma vie, me porterait malheur…

      Et je communiai avec la belle robe brodée de la morte.

      Mais jamais il n’avait été remué comme il l’était en ce moment, par des accents où vibrait la vérité de la vie vécue et soufferte…

      Ce n’était plus pour lui, pour ainsi dire, que parlait cette jeune fille, mais pour elle-même, montrant son âme tout entière jusqu’en ses plus intimes replis, comme l’Océan qui s’entr’ouvre aux jours de tempête, laissant voir jusqu’aux algues de ses abîmes…

      Cependant elle poursuivait:

      – Le temps des communions passa, puis celui de la confirmation, et nos journées reprirent leur morne monotonie, toujours entremêlées aux mêmes heures des mêmes lectures pieuses et des mêmes séances de travail.

      Il me semblait que j’étouffais, dans cette atmosphère froide, que l’air manquait à mes poumons, et je me disais que tout était préférable à cette apparence de vie, qui n’était pas la vie…

      Je songeais à parler de cette «bonne place» dont il avait été question pour moi, autrefois, quand un matin on me fit demander à l’économat.

      Nous l’appelions «le bureau,» et c’était pour nous un endroit plein d’effroi et de mystère.

      Là, hiver comme été, du matin au soir, dans une grande pièce carrelée, on voyait un monsieur blême, gras et sale, avec des lunettes foncées, la tête couverte d’une calotte de soie noire, qui écrivait derrière une petite grille à rideaux verts.

      Là, étaient rangés des registres où nous étions toutes inscrites et décrites, et des cartons renfermant les objets trouvés sur nous, soigneusement conservés pour aider à notre reconnaissance.

      Je me rendis à ce bureau le cœur palpitant.

      J’y trouvai, outre le monsieur blême, Mme la supérieure, un petit homme malingre à l’œil méchant, et une grosse commère à l’air commun et bon.

      A l’instant, Mme la supérieure m’apprit que j’étais en présence de M. et de Mme Greloux, relieurs, lesquels ayant besoin de deux apprenties venaient les chercher à l’hospice. On me demandait si je voulais être une de ces deux…

      Ah!.. monsieur, je crus voir les cieux s’entr’ouvrir, et hardiment je répondis:

      – Oui!..

      Aussitôt le monsieur à calotte de soie sortit de derrière son grillage pour m’expliquer longuement mes obligations et mes devoirs, insistant et revenant sur tout ce que j’aurais à faire pour reconnaître, moi, misérable enfant trouvée, élevée par la charité publique, la générosité de ce bon monsieur et de cette bonne dame qui voulaient bien se charger de moi et m’employer dans leur atelier.

      Je ne discernais pas clairement, je l’avoue, cette grande générosité qu’on m’exaltait, ni les raisons d’une reconnaissance anticipée.

      N’importe! A toutes les conditions qui m’étaient posées, je répondais de si grand cœur: «oui, oui, oui!..» que la femme du relieur en parut toute réjouie.

      – On voit que la petite aura du goût pour la partie… dit-elle.

      Alors, Mme la supérieure se mit à détailler longuement à cette femme les obligations que, de son côté, elle contractait, répétant à satiété que j’étais un des meilleurs sujets de l’hospice, pieuse, obéissante, attentive, point bavarde, lisant et écrivant dans la perfection, et sachant broder et coudre comme on ne coud et brode que dans les communautés religieuses.

      Elle lui fit jurer de me surveiller comme sa propre fille, de ne jamais me laisser seule, de me conduire aux offices, et de m’accorder de temps en temps le dimanche une après-midi, pour venir à l’hospice.

      Le monsieur à lunettes, de son côté, rappelait au relieur les devoirs des patrons envers leurs apprentis. Et même, dans un casier, derrière lui, il prit un gros livre où il se mit à lire des passages que j’écoutais sans les comprendre, encore bien que je fusse sûre que c’était du français.

      Enfin, le relieur et sa femme disant: Amen, à tout, le monsieur blême rédigea un acte sur une feuille de papier timbré, et ils signèrent les uns et les autres; Madame, la supérieure signa, et moi de même…

      J’appartenais à un patron!..

      Elle s’arrêta… Là finissait sa première enfance…

      Mais presque aussitôt:

      – Je n’ai pas gardé mauvais souvenir de ces gens-là, reprit-elle…

      Ils

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