La vie infernale. Emile Gaboriau
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Mon orgueil se révoltait à cette idée, mais mon esprit ne me fournissait pas une parole pour traduire ma colère. Rouge, confuse, furieuse, je me demandais comment intervenir quand tout à coup la délibération cessa et je fus entourée de tous ces messieurs.
L’un d’eux, un petit vieux, qui avait un sourire béat et des yeux étincelants, me tapa doucement sur la joue en disant:
– Et elle est aussi sage que jolie!
Je l’aurais battu ce petit vieux, mais les autres approuvèrent, sauf pourtant M. de Chalusse, dont l’attitude devenait de plus en plus glaciale, et qui avait aux lèvres ce sourire contraint de l’homme bien élevé résolu à ne se froisser de rien.
Il me parut qu’il souffrait, et je sus plus tard que je ne m’étais pas trompée.
Loin d’imiter la familiarité du vieux monsieur, il me salua gravement avec une sorte de respect qui me confondit, et sortit en déclarant qu’il reviendrait le lendemain pour en finir.
J’étais enfin seule avec Mme la supérieure, j’allais pouvoir l’interroger; elle ne m’en laissa pas le temps, et la première, avec une volubilité extraordinaire, elle se mit à m’expliquer mon bonheur inouï, preuve irrécusable et manifeste de la protection de la Providence.
Le comte, me dit-elle, allait devenir mon tuteur, il me doterait certainement, et plus tard, si je savais reconnaître ses bontés, il m’adopterait, moi, pauvre fille sans père ni mère, je porterais ce grand nom de Durtal de Chalusse, et je recueillerais une fortune immense…
Elle ajoutait que là ne se bornait pas la bienfaisance du comte, qu’il consentait à rembourser tout ce que j’avais coûté, qu’il se proposait de doter on ne savait combien de pauvres filles, et qu’enfin il avait promis des fonds pour faire bâtir une chapelle.
Comment cela était arrivé, c’était à n’y pas croire.
Le matin même, M. de Chalusse s’était présenté, déclarant que vieux, célibataire, sans enfants, sans famille, il prétendait se charger de l’avenir d’une pauvre orpheline.
On lui avait présenté la liste de toutes les orphelines de l’hospice, et c’était moi qu’il avait choisie…
– Et au hasard, ma chère Marguerite, répétait Mme la supérieure; au hasard… c’est un véritable miracle…
Cela me semblait tenir du miracle, en effet; mais j’étais bien plus étourdie encore que joyeuse.
Je sentais le vertige envahir mon cerveau, et j’aurais voulu demeurer seule pour me recueillir, pour réfléchir, car j’étais libre, je le savais, de refuser ces éblouissantes perspectives…
Timidement je demandai la permission de retourner chez mes patrons, pour les prévenir, pour les consulter… Cette permission me fut refusée.
Il me fut dit que je délibérerais et que je me déciderais seule, et que ma résolution prise, il n’y aurait plus à revenir…
Je restai donc à l’hospice, et je dînai à la table de Mme la supérieure.
Pour la nuit, on me donna la chambre d’une sœur qui était absente.
Ce qui m’étonnait le plus, c’est qu’on me traitait avec une visible déférence, comme une personne appelée à de hautes destinées, et dont sans doute on attendait beaucoup…
Et cependant, j’hésitais à me décider…
Mon indécision dut paraître une ridicule hypocrisie; elle était sincère et réelle…
Assurément, je n’avais pas à regretter beaucoup ma situation chez mes patrons, mais enfin je la connaissais, cette situation; je l’avais expérimentée, le plus pénible était fait, j’arrivais à la fin de mon apprentissage, j’avais pour ainsi dire arrangé ma vie, l’avenir me paraissait sûr…
L’avenir! que serait-il avec le comte de Chalusse?.. On me le faisait si beau, si éblouissant, que j’en étais épouvantée. Pourquoi le comte m’avait-il choisie de préférence à toute autre?.. Était-ce vraiment le hasard qui avait déterminé son choix?.. Le miracle, en y réfléchissant, me paraissait préparé de longue main, et devait, pensais-je, cacher quelque mystère…
Enfin, plus que tout, l’idée de m’abandonner à un inconnu, d’abdiquer ma volonté, de lui confier ma vie, me répugnait.
On m’avait accordé quarante-huit heures pour prendre un parti; jusqu’à la dernière seconde, je demeurai en suspens.
Qui sait?.. C’eût été un bonheur peut-être si j’eusse su me résigner à l’humilité de ma condition… Je me serais épargné bien des souffrances que je ne pouvais même pas concevoir…
Je n’eus pas ce courage, et, le délai expiré, je répondis que je consentais à tout.
Mlle Marguerite se hâtait.
Après avoir trouvé une sorte de douceur triste à s’attarder parmi les lointaines impressions de sa première enfance, elle souffrait davantage à mesure que son récit se rapprochait du moment présent…
– Je vivrais des milliers d’années, reprit-elle, que je n’oublierais jamais le jour où j’abandonnai l’hospice des Enfants-Trouvés, pour devenir la pupille de M. de Chalusse. C’était un samedi… La veille, j’avais rendu ma réponse à Mme la supérieure. Dès le matin, je vis arriver mes anciens patrons. On était allé les prévenir et ils venaient me faire leurs adieux… La rupture de mon contrat d’apprentissage avait présenté quelques difficultés, mais le comte avait tout aplani avec de l’argent.
N’importe!.. Ils me regrettaient, je le vis bien… leurs yeux étaient humides… Ils regrettaient l’humble petite servante qui leur avait été si dévouée…
Mais en même temps je remarquai dans leurs manières une visible contrainte… Plus de tutoiement, plus de voix rude… ils me disaient: vous, ils m’appelaient: mademoiselle… Pauvres gens! ils s’excusaient avec des paroles grotesques et attendrissantes d’avoir osé accepter mes services, déclarant en même temps qu’ils ne me remplaceraient jamais pour le même prix…
La femme surtout me jurait qu’elle ne se consolerait jamais de n’avoir pas remis vertement à sa place son frère, un mauvais gars, comme la suite l’avait bien prouvé, lorsqu’il avait osé hausser son caprice jusqu’à moi…
Pour la première fois, ce jour-là, je me sentis sincèrement aimée, si véritablement que si ma réponse n’eût pas été donnée et signée, je serais retournée chez ces braves relieurs…
Mais il n’était plus temps.
Une converse vint me dire de descendre, que Mme la supérieure me demandait.
Une dernière fois j’embrassai le père et la mère Greloux, comme nous disions à l’atelier, et je descendis.
Chez Mme la supérieure, une dame et deux ouvrières chargées de cartons m’attendaient.
C’était une couturière qui arrivait avec les