La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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frissonnement de la soie et le moelleux du cachemire… J’essayai aussi de mettre des gants… je dis j’essayai, car jamais je n’y pus parvenir.

      Tout en parlant ainsi, sans arrière-pensée de coquetterie, certes, la jeune fille agitait ses mains mignonnes et exquises sans exiguité, rondes, pleines, blanches, avec des ongles qui avaient des reflets nacrés…

      Et le juge de paix se demandait s’il était bien possible que ces mains de duchesse, faites pour le désespoir de la statuaire, eussent été condamnées aux plus grossiers ouvrages.

      – Ah!.. ma toilette ne fut pas une petite affaire, reprit-elle avec un sourire qui empruntait aux circonstances quelque chose de navrant. Toutes les bonnes sœurs réunies autour de moi mettaient à me faire belle autant de soins et de patience qu’elles en déployaient à parer, les jours de fête, la vierge de notre chapelle.

      Un secret instinct me disait qu’elles se fourvoyaient, que leur goût n’était pas le goût; qu’elles m’habillaient ridiculement… n’importe… je les laissais se contenter sans mot dire. J’avais le cœur horriblement serré… jamais attention faite pour rendre joyeuse n’apporta tant de tristesse.

      Je croyais sentir encore sur ma main les larmes de Mme Greloux, et ces parures criardes me paraissaient aussi funèbres que la dernière toilette du condamné…

      Enfin, elles trouvèrent leur œuvre parfaite, et alors j’entendis autour de moi comme une clameur d’admiration… Jamais les sœurs, à les entendre, n’avaient contemplé rien de si merveilleux… Celles qui étaient à la classe ou à la couture furent mandées pour juger, et même les plus sages d’entre les orphelines furent admises… Peut-être, pour ces dernières, devais-je être un exemple destiné à rendre les bons conseils palpables, car Mme la supérieure disait à toutes:

      – Vous voyez, mes chères filles, où mène une bonne conduite… Soyez sages autant que notre chère Marguerite, et Dieu vous récompensera comme elle…

      Et moi, roide sous mes superbes atours, plus qu’une momie sous ses bandelettes, les bras écartés du corps, pâle d’appréhension, j’attendais.

      J’attendais M. de Chalusse, qui devait venir me prendre après avoir terminé toutes les formalités qui allaient substituer son autorité à l’autorité de la commission administrative de l’hospice.

      Une heure sonna, M. le comte de Chalusse parut…

      C’était bien lui, tel que je l’avais entrevu, tel qu’il assiégeait ma mémoire. C’était ce même flegme hautain qui m’avait glacée, ce même œil impassible…

      A peine daigna-t-il me regarder, et moi, qui l’observais avec une anxiété poignante, je ne pus lire sur son visage ni approbation ni blâme.

      – Vous voyez, monsieur le comte, dit Mme la supérieure en me montrant, que vos intentions ont été scrupuleusement suivies.

      – Je vous en remercie, ma sœur, dit-il, et c’est à vos pauvres que je prouverai l’étendue de ma reconnaissance.

      Puis, se retournant vers moi:

      – Marguerite, me dit-il, prenez congé de… vos mères, et dites-leur bien que vous ne les oublierez jamais…

      Elle s’interrompit, les larmes rendaient sa voix presque inintelligible…

      Mais dominant aussitôt son attendrissement:

      – A ce moment seulement monsieur, poursuivit-elle, je compris combien j’aimais ces pauvres sœurs que parfois j’avais presque maudites… Je sentis par combien d’affections je tenais à cette hospitalière maison, et toutes ces petites infortunées, mes compagnes de misère et d’abandon…

      Mon cœur se brisait, et Mme la supérieure, toujours si impassible, ne semblait guère moins émue que moi… Elle l’était… N’emportais-je pas, et pour quels hasards, cette fraction de son cœur qu’elle m’avait donnée!..

      Enfin, M. de Chalusse me prit le bras et m’entraîna.

      Dans la rue, nous attendait une voiture moins belle que celle qui était venue me prendre à mon atelier, mais beaucoup plus vaste et chargée de malles et de coffres.

      Elle était attelée de quatre chevaux gris conduits par des postillons portant l’uniforme de la poste de Paris.

      – Montez, mon enfant, me dit M. de Chalusse.

      J’obéis, plus morte que vive, et je me plaçai, comme il me l’indiquait, sur la banquette du fond.

      Lui-même, alors, monta et se plaça en face de moi.

      Ah!.. ce fut là, monsieur, une de ces émotions dont la seule pensée, bien des années après, remue l’âme jusqu’en ses plus intimes profondeurs…

      Sur la porte de l’hospice, toutes les sœurs se pressaient, fondant en larmes; Mme la supérieure même pleurait sans chercher à se cacher.

      – Adieu!.. me criaient-elles, adieu, chère fille aimée, adieu, chère petite… souvenez-vous de vos vieilles amies… nous prierons Dieu pour votre bonheur.

      Dieu ne devait pas les entendre.

      Sur un signe de M. de Chalusse, un laquais ferma la portière, les postillons firent claquer leur fouet et la lourde berline partit à fond de train.

      Le sort en était jeté… Il y avait comme un abîme désormais entre moi et cet hospice, où à peine née j’avais été apportée à demi morte, enveloppée de langes dont les angles chiffrés avaient été coupés.

      Je sentais que mon passé m’échappait, quel serait l’avenir? Mais j’étais trop hors de moi pour réfléchir, et blottie dans un angle de la voiture, j’épiais M. de Chalusse avec la poignante angoisse de l’esclave qui étudie son nouveau maître.

      Ah!.. monsieur, quelle stupeur tout à coup!..

      La physionomie du comte changea comme s’il eût laissé tomber un masque, ses lèvres tremblèrent, des éclairs de tendresse jaillirent de ses yeux et il m’attira à lui en s’écriant:

      – Oh! Marguerite!.. Ma Marguerite adorée!.. Enfin, enfin!..

      Il sanglotait ce vieux homme, que dans mon ignorance j’avais jugé plus froid et plus insensible que le marbre, il m’étreignait entre ses bras, il me meurtrissait de ses baisers.

      Et moi, je me sentais affreusement bouleversée par des sentiments étranges, inconnus, indéfinissables… Mais je ne tremblais plus…

      Une voix au dedans de moi me criait que c’était comme une chaîne mystérieuse brusquement rompue, qui tout à coup se renouait entre M. de Chalusse et moi.

      Et cependant, je me rappelais les explications de la supérieure de l’hospice; ce miracle en ma faveur, cette admirable intervention de la Providence, dont elle m’avait parlé.

      – Ce n’est donc pas le hasard, monsieur le comte, demandai-je, qui a décidé votre choix entre toutes les orphelines?

      Ma question parut le confondre.

      – Pauvre Marguerite, murmura-t-il, chère fille adorée, voici des années que je prépare ce hasard!..

      A

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