La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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là que j’ai entrevu pour la première fois celui qui maintenant est mon unique ami en ce monde. Il ne m’avait pas adressé la parole, mais à la commotion que je ressentis là, dans la poitrine, quand nos yeux se rencontrèrent, je compris qu’il aurait sur ma vie une influence décisive.

      L’événement m’a prouvé que je ne m’étais pas trompée.

      Dans le moment, cependant, je ne sus rien de lui. Pour rien au monde je n’eusse questionné. Et c’est par hasard que j’appris qu’il habitait Paris, qu’il était avocat, qu’il se nommait Pascal, et qu’il était venu dans le Midi pour accompagner un de ses amis malade…

      D’un seul mot, à cette époque, le comte de Chalusse pouvait assurer le bonheur de ma vie et de la sienne… ce mot, il ne le prononça pas.

      Il fut pour moi le meilleur et le plus indulgent des pères, et souvent j’ai été touchée jusqu’aux larmes de son ingénieuse tendresse.

      Mais s’il était à genoux devant le moindre de mes désirs, il ne m’accordait pas sa confiance.

      Il y avait entre nous un secret qui était comme un mur de glace.

      Je m’accoutumais cependant à ma nouvelle vie, et mon esprit reprenait son équilibre, quand un soir, le comte rentra plus bouleversé, s’il est possible, que le jour de ma sortie de l’hospice.

      Il appela son valet de chambre, et d’un ton qui n’admettait pas de réplique:

      – Je veux partir, dit-il, je veux être parti avant une heure, procurez-vous des chevaux de poste à l’instant.

      Et comme mes yeux, à défaut de ma bouche, interrogeaient:

      – Il le faut, ajouta-t-il, hésiter serait folie, chaque minute ajoute pour ainsi dire au péril qui nous menace.

      J’étais bien jeune, monsieur, inexpérimentée, toute ignorante de la vie; mais la souffrance, l’isolement, la certitude de n’avoir à compter que sur moi avaient donné à mon intelligence cette maturité précoce qui est le lot des enfants des pauvres.

      Prévenue, aussitôt admise près de M. de Chalusse, qu’il me faisait mystère d’une certaine chose, je m’étais mise à l’étudier avec cette patiente sagacité de l’enfant, redoutable parce qu’on ne la soupçonne pas, et j’en étais arrivée à cette conviction qu’une perpétuelle terreur troublait sa vie.

      Était-ce donc pour lui qu’il tremblait, ce grand seigneur que son titre, ses relations et sa fortune faisaient si puissant? Évidemment non. C’était donc pour moi? Sans doute! Mais pourquoi?..

      Bientôt il me fut prouvé qu’il me cachait, ou que du moins il empêchait par tous les moyens en son pouvoir, que ma présence près de lui ne fût connue hors d’un cercle très-restreint.

      Notre brusque départ de Cannes devait justifier toutes mes conjectures.

      Ce fut à proprement parler une fuite.

      Nous nous mîmes en route à onze heures du soir, par une pluie battante, avec les premiers chevaux qu’on pût se procurer.

      Le seul valet de chambre de M. de Chalusse nous accompagnait; non Casimir, celui qui m’accusait, il n’y a qu’un instant, mais un autre, un vieux et digne serviteur, mort depuis, malheureusement, et qui avait toute la confiance de son maître.

      Les autres domestiques, congédiés avec une gratification princière, devaient se disperser le lendemain.

      Nous ne revenions pas sur Paris; nous nous dirigions vers la frontière italienne.

      Il faisait encore nuit noire quand nous arrivâmes à Nice, devenue depuis peu une ville française. Notre voiture s’arrêta sur le port, le postillon détela ses chevaux, et nous restâmes là…

      Le valet de chambre s’était éloigné en courant. Il ne reparut que deux heures plus tard, annonçant qu’il avait eu bien de la peine à se procurer ce que souhaitait M. le comte, mais qu’enfin, en prodiguant l’argent il avait levé toutes les difficultés.

      Ce que voulait M. de Chalusse, c’était un navire prêt à prendre la mer. Bientôt celui qu’avait arrêté le valet de chambre vint se ranger le long du quai. Notre berline fut hissée sur le pont et nous mîmes à la voile… le jour se levait.

      Le surlendemain, nous étions à Gênes, cachés sous un faux nom dans une hôtellerie du dernier ordre.

      Depuis l’instant où le comte avait senti la mer sous ses pieds, il m’avait paru moins violemment agité, mais il était loin d’être calme. Il tremblait d’être poursuivi et rejoint, les précautions dont il s’entourait le prouvaient. Un malfaiteur ne prend pas plus de peine pour dépister la police lancée sur ses traces.

      Un fait positif aussi, c’est que, seule, je causais les transes incessantes de M. de Chalusse. Même, une fois je l’entendis délibérer avec son valet de chambre si on ne m’habillerait pas en homme. La difficulté de se procurer un costume empêcha surtout l’exécution de ce projet.

      Pour ne négliger aucune circonstance, je dois dire que le domestique ne partageait pas les inquiétudes de son maître.

      A trois ou quatre reprises, je l’entendis qui disait:

      – M. le comte est trop bon de se faire ainsi du mauvais sang… Elle ne nous rattrapera pas… Nous a-t-elle seulement suivis?.. Sait-elle même quelque chose?.. Et, à tout mettre au pis, que peut-elle?..

      Elle!.. qui, elle?.. Voilà ce que je m’épuisais à chercher.

      Je dois, du reste, vous l’avouer, monsieur: positive de ma nature et peu accessible aux imaginations romanesques, je finissais par me persuader que le péril existait surtout dans l’esprit du comte, et qu’il se l’exagérait singulièrement s’il ne le créait pas.

      Il n’en souffrait pas moins, et la preuve c’est que le mois qui suivit fut employé en courses haletantes d’un bout à l’autre de l’Italie.

      Le mois de mai finissait quand M. de Chalusse crut pouvoir rentrer en France. Nous rentrâmes par le Mont-Cenis, et tout d’une traite nous allâmes jusqu’à Lyon.

      C’est là qu’après un séjour de quarante-huit heures employées en courses, le comte m’apprit que nous allions nous séparer pour un temps, que la prudence exigeait ce sacrifice…

      Et aussitôt, sans me laisser placer une parole, il entreprit de me démontrer les avantages de ce parti.

      J’étais d’une ignorance extrême, et il comptait que je profiterais de notre séparation pour hausser mon éducation au niveau de ma position sociale.

      Il avait donc arrangé, me dit-il, que j’entrerais comme pensionnaire aux dames de Sainte-Marthe, une maison d’éducation qui a dans le Rhône la célébrité du couvent des Oiseaux à Paris.

      Il ajouta que par prudence encore il se priverait de me venir visiter. Il me fit jurer de ne jamais prononcer son nom. Je devais envoyer les lettres que je lui écrirais à une adresse qu’il me donna, et lui-même signerait d’un nom supposé celles qu’il m’adresserait. Enfin, il me dit encore que la directrice de Sainte-Marthe avait son secret, et que je pouvais me fier à elle…

      Il était si inquiet, si agité, si visiblement

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