La clique dorée. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La clique dorée - Emile Gaboriau страница 28
Daniel était abasourdi.
Qu'un homme, tel que le comte ne vit rien de l'intrigue ourdie autour de lui, cela le surpassait.
Le comte, cependant, n'était pas aveugle, à ce point de ne pas discerner quelque chose des impressions de Daniel.
Son amour-propre en fut froissé, car il fronça le sourcil, et brusquement:
– Que ruminez-vous ainsi? demanda-t-il… Voyons, ayez le courage de vos opinions: vous soupçonnez miss Brandon de calculs honteux ou de vues intéressées, à tout le moins…
– Je ne dis pas cela, monsieur, balbutia Daniel.
– Non, mais vous le pensez, ce qui est bien pis… Eh bien! moi, je puis dissiper vos injurieuses préventions… Que viserait, selon vous, miss Brandon, en m'épousant? Ma fortune, n'est-ce pas? A cela, je n'ai qu'un mot à répondre, mais il est décisif: Sarah est plus riche que moi…
Comment et à quel prix miss Brandon avait-elle su se procurer une fortune, Daniel le savait ou croyait le savoir par M. de Brévan… Aussi, ne fut-il pas maître d'un tressaillement que le comte surprit et qui l'irrita.
– Oui, plus riche que moi… insista-t-il. Les puits de pétrole dont elle a hérité de son père rapportent, bon an, mal an, de trente à quarante mille dollars. Et encore sont-ils très-négligés… Mieux exploités, ils rendraient le double, le triple, le sextuple, que sais-je? C'est une mine en quelque sorte inépuisable, ainsi que me le démontrait sir Thomas Elgin… Si le pétrole ne donnait pas des bénéfices inouïs, comment expliqueriez-vous cette fureur soudaine dont la positive Amérique a été saisie, qu'on a appelée «la fièvre de l'huile» et qui a enrichi plus de gens que la Californie et «la fièvre de l'or!..» Ah! il y a quelque chose à tenter de ce côté, quelque chose de grand, et pour peu qu'on dispose de capitaux considérables…
Il s'animait, il s'échauffait, il s'oubliait, lorsque brusquement il s'arrêta court.
Evidemment il avait failli se trahir, laisser voir sa pensée tout entière… Aussi reprit-il vivement:
– Mais en voilà assez, je suppose, pour écarter tout soupçon de cupidité… Maintenant, vous me direz peut-être que je suis pour miss Brandon un pis-aller… Eh bien! non! En ce moment même, elle a à choisir entre moi et un prétendant bien plus jeune que moi et dont la fortune est de beaucoup supérieure à la mienne, M. Wilkie de Gordon-Chalusse…
D'où venait que M. de la Ville-Handry semblait le prendre pour juge de sa conduite, et paraissait plaider sa cause devant lui?..
Voilà ce que Daniel ne songeait même pas à se demander, tant était grand le désordre de son esprit.
Cependant, comme le comte insistait pour avoir son avis, comme il le pressait, comme il s'obstinait à lui répéter:
– Eh bien? voyez-vous encore une objection?..
Il oublia les prudentes recommandations de M. de Brévan, et d'une voix troublée:
– Sans doute, M. le comte, fit-il, vous connaissez la famille de miss Brandon?..
– Certes!.. Me croyez-vous donc homme à prendre chat en poche… Son digne père était l'honneur même…
– Et… son passé?..
Le comte bondit sur son fauteuil, et enveloppant Daniel d'un regard méchant:
– Oh! oh!.. fit-il; est-ce que déjà quelque vil gredin se serait fait l'écho des calomnies infâmes dont on a essayé de ternir l'honneur de la plus noble et de la plus chaste des créatures!.. Ah! nommez-moi le misérable…
Involontairement Daniel se tourna vers la porte derrière laquelle écoutait M. de Brévan… Peut-être s'attendait-il à le voir apparaître… Mais M. de Brévan ne bougea pas.
– Le passé de Sarah! continuait le comte, je le connais heure par heure, et j'en réponds comme du mien… Chère adorée! Avant que de consentir à devenir ma femme, elle a voulu tout me dire, oui, tout, sans forfanterie ni fausse pudeur, et je sais ce qu'elle a souffert. N'a-t-on pas prétendu qu'elle avait été la complice d'un lâche coquin, d'un caissier qui avait volé sa caisse! N'a-t-on pas dit qu'elle avait poussé au suicide un jeune sot, un joueur, et qu'elle avait assisté impassible aux tortures de son agonie… Ah! il ne faut que voir Sarah pour être sûr que ce sont là d'indignes et stupides inventions de la haine… Et tenez, Daniel, croyez-moi: dès que vous verrez la calomnie s'acharner après un homme ou après une femme, dites-vous que cet homme ou cette femme ont blessé, humilié le vulgaire, la tourbe des lâches, des envieux et des sots, par une supériorité quelconque, de situation ou de fortune, de talent ou de beauté…
Pour défendre miss Brandon, il avait véritablement retrouvé l'énergie de la jeunesse. Son œil s'emplissait d'éclairs, sa voix vibrait, son geste menaçait…
– Mais laissons ce sujet pénible, fit-il, et causons sérieusement.
Il se leva et alla s'adosser à la cheminée, bien en face de Daniel.
– Je vous ai dit, mon cher, commença-t-il, que sir Tom et mistress Brian ont mis à mon mariage certaines conditions… La première est que miss Brandon sera accueillie par ma famille comme elle mérite de l'être, non seulement honorablement, mais affectueusement, tendrement même…
De ma famille, je m'en moque… Il ne me reste que des arrière-cousins qui, n'ayant rien à prétendre à ma succession, se soucient de moi aussi peu que je me soucie d'eux…
Mais j'ai une fille, et là est le danger.
La certitude que je vais me remarier la désole, je l'ai vu… Elle se révolte à la seule idée qu'une autre femme va prendre la place de sa mère, porter mon nom et régner dans ma maison…
Daniel, maintenant, commençait à comprendre ce qu'il devait penser du rendez-vous manqué qui lui avait valu la visite de M. de la Ville-Handry.
– Or, disait le comte, je connais mon Henriette, c'est sa mère elle-même, faible, mais entêtée jusqu'à la démence… Si elle s'est mise en tête de mal recevoir miss Sarah, elle la recevra mal, quoi qu'elle m'ait promis, et trouvera le moyen de lui faire quelque abominable avanie… Et si néanmoins Sarah consent à passer outre, ma maison deviendra un enfer, et ma femme sera malheureuse… Ai-je sur Henriette assez d'empire pour la ramener à la raison? Je ne le crois pas… Mais cette influence que je n'ai pas, je sais un charmant garçon qui l'a, et c'est vous…
Daniel était devenu pourpre.
C'était la première fois que le comte s'exprimait si clairement.
– Je n'ai jamais désapprouvé, continuait-il, les projets de ma pauvre femme, et la preuve c'est que j'autorisais vos assiduités… Aujourd'hui, voici mes conditions: Que ma fille soit pour Sarah ce que je veux qu'elle soit, une sœur tendre et dévouée, et six mois après mon mariage, il y aura une autre noce à l'hôtel de la Ville-Handry…
Daniel voulait parler, il l'arrêta.
– Non, rien, fit-il. Je vous ai démontré