La clique dorée. Emile Gaboriau
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La clique dorée - Emile Gaboriau страница 29
VII
M. de la Ville-Handry n'avait pas refermé la porte que déjà M. de Brévan s'élançait hors de la chambre où il s'était caché.
– Avais-je raison? s'écria-t-il.
Mais Daniel ne l'entendit pas… Daniel avait oublié jusqu'à sa présence.
Brisé par les efforts extraordinaires qu'il avait faits pour garder le secret de ses impressions, il s'était laissé tomber sur un fauteuil, le visage caché entre ses mains, et d'une voix morne, comme pour se convaincre lui-même de la désolante réalité:
– Le comte est devenu fou, répétait-il, absolument fou, et nous sommes perdus…
La douleur de cet homme de cœur avait quelque chose de si poignant que M. de Brévan parut ému…
Il le considéra un moment d'un air de commisération, puis tout à coup et comme s'il eût cédé à un bon mouvement, il lui toucha l'épaule en disant:
– Daniel!..
Le malheureux se dressa en sursaut, pareil au dormeur brusquement éveillé, et le sentiment de la situation revenant:
– Vous avez entendu, Maxime!.. prononça-t-il.
– Tout!.. Je n'ai perdu ni un mot ni un geste… Mais ne me reprochez pas mon indiscrétion; elle me permet de vous donner un conseil… d'un ami sincère qui a payé cher l'expérience qui vous manque.
Il s'arrêta, cherchant l'expression de sa pensée; puis, d'un ton âpre et bref:
– Vous aimez Mlle de la Ville-Handry? demanda-t-il.
– Plus que la vie, ne le savez-vous pas!..
– Eh bien! s'il en est ainsi, renoncez à une résistance inutile… Décidez Mlle Henriette à ce que désire son père et obtenez de miss Sarah que votre mariage ait lieu un mois après le sien… et exigez des garanties surtout!.. Mlle de la Ville-Handry souffrira peut-être un peu pendant ce mois, mais le lendemain du jour où elle sera votre femme, vous l'emmènerez où bon vous semblera, abandonnant le bonhomme à sa folie amoureuse…
La contraction des traits de Daniel disait l'effort de son esprit:
– Cette idée m'était venue, murmura-t-il.
– C'est le seul parti raisonnable.
– Oui, peut-être est-ce celui que conseille la prudence… mais est-ce bien celui que commande le devoir?..
– Oh! le devoir, le devoir…
– Ne serait-ce pas une lâcheté que d'abandonner ce vieillard à miss Brandon et à ses complices…
– Vous ne le tirerez pas de leurs griffes, mon cher…
– Du moins dois-je l'essayer… C'était votre avis hier soir, et ce matin encore, il n'y a pas deux heures…
M. de Brévan dissimula mal un geste d'impatience.
– Je ne savais pas ce que je sais, fit-il.
Daniel s'était levé, et il arpentait son petit salon, répondant aux objections de son esprit bien plus qu'à celles de M. de Brévan.
– Si j'étais le seul maître, disait-il, je me résignerais peut-être à une capitulation. Mais Henriette l'accepterait-elle?.. Non, jamais!.. Son père la connaît bien… Sa faiblesse est celle d'un enfant, mais à un moment donné elle est capable d'une énergie virile et d'une volonté de fer…
– Qui vous force à lui dire ce qu'est miss Brandon?
– Je lui ai promis l'entière vérité… sur mon honneur.
Il n'y avait pas à se méprendre au haussement d'épaules de M. de Brévan: c'était aussi clair que s'il se fût écrié: «On n'est pas naïf à ce point!»
– Renoncez donc à votre Henriette, mon pauvre ami, dit-il.
Mais l'accès de découragement de Daniel était passé.
– Oh! pas encore, fit-il, les dents serrées par la colère, pas encore… Un honnête homme qui défend son bonheur et sa vie est bien fort… L'expérience me manque, il est vrai, mais vous êtes là, Maxime, et je sais que je puis toujours compter sur vous…
Ce que ne remarquait pas assez Daniel, c'est que M. de Brévan, si ardent à la lutte d'abord, se refroidissait peu à peu, tel qu'un homme qui, s'étant beaucoup avancé, juge qu'il a eu tort et, prudemment, se retire.
– Certes, je suis tout à vous, répondit-il; mais que faire?..
– Eh! ce que vous disiez… Je verrai miss Brandon et j'observerai… je dissimulerai, je gagnerai du temps… j'emploierai des espions s'il le faut, pour fouiller son passé… Je tâcherai d'intéresser à ma cause quelque personnage influent, mon ministre, par exemple, qui me veut du bien… Enfin, j'ai une idée…
– Ah!
– Ce malheureux caissier, dont vous m'avez conté l'histoire, et qui n'est pas mort, croyez-vous… si on le retrouvait!.. Comment l'appelez-vous? Malgat. Un avis inséré dans tous les journaux de l'Europe lui parviendrait sans doute, et l'espoir de se venger le déciderait…
Une rougeur furtive montait aux joues de M. de Brévan…
– Quelle folie!.. interrompit-il avec une étrange vivacité.
Puis, plus posément:
– Vous oubliez, ajouta-t-il, que Malgat a été condamné à je ne sais combien d'années de réclusion, qu'il prendrait votre avis pour un piége de la police, et que loin de se découvrir il se cacherait plus soigneusement que jamais…
Mais Daniel ne semblait pas ébranlé.
– Je réfléchirai, dit-il, je verrai, je chercherai… Peut-être y aurait-il quelque parti à tirer de ce jeune homme dont le comte nous parlait, M. Wilkie de Gordon-Chalusse. Si je pouvais croire que véritablement il a demandé la main de miss Sarah…
– Je l'ai entendu dire, et je l'affirmerais. Ce garçon est un de ces idiots que la vanité rend fou, et qui ne savent qu'imaginer pour faire parler d'eux… Miss Brandon étant très en vue, il l'épouserait comme il achèterait un cheval de courses cent mille francs…
– Et comment expliquez-vous le refus de miss Sarah?..
– Par la connaissance qu'elle a du caractère du particulier… Elle n'ignore pas que trois mois après la noce il la camperait là, et qu'au bout d'un an il lui faudrait plaider en séparation… Puis il y a autre chose: Wilkie n'a que vingt-cinq ans, et dame, un gaillard de cet âge a la vie plus dure qu'un galant qui a passé la soixantaine…
Son accent donnait à ses paroles une si terrible signification que Daniel pâlit:
– Grand Dieu! balbutia-t-il, croyez-vous donc miss Brandon capable…
– De