Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau

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que la Prusse, rompant sa neutralité, s’ébranlait pour marcher contre nous.

      Ce fut mon père qui nous apporta cette nouvelle, en sortant d’un club où on avait lu une lettre apportée de Coblentz, quartier général de l’armée prussienne.

      Ma mère parut consternée.

      – Est-ce bien possible, s’écria-t-elle. Quelle raison auraient ces gens de nous faire la guerre?

      – Aucune.

      – Alors… pourquoi viendraient-ils?

      – Pourquoi! parce qu’ils savent notre frontière dégarnie, parce qu’ils croient que le dur enfantement de notre liberté nous met à leur merci… Parce que la Prusse est une nation de proie et qu’elle espère tirer quelque chose de nous: une forteresse, une ville, une province peut-être!..

      Durant quelques jours, on douta, on voulut douter de cette nouvelle. On avait tant besoin qu’elle ne fût pas vraie!

      D’un autre côté, beaucoup de gens plus honnêtes que clairvoyants, pensaient que les Prussiens hésiteraient ou même seraient arrêtés par l’impossibilité de justifier leur agression.

      L’anxiété n’en allait pas moins grandissant.

      Il me semblait sentir Paris bouillonner et frémir comme une chaudière immense dont la vapeur cherche une issue.

      C’est à peine, désormais, si je voyais mon père. Il prenait ses repas dehors, ou bien j’étais couché quand il rentrait. Puis c’étaient des patriotes qui venaient le voir. Ils s’enfermaient dans l’arrière boutique pour tenir conseil, et si je prêtais l’oreille, je les entendais répéter d’un ton de fureur concentrée:

      – Il faut aviser au moyen de nous sauver nous-mêmes, car le roi et la reine s’entendent avec l’étranger pour nous livrer.

      C’était là ce que j’entendais dire partout…

      Or, j’en étais venu insensiblement à passer mes journées dehors. Mon vieux professeur avait suspendu ses leçons, ma mère ne me demandait plus compte de mes sorties, j’avais tout mon temps à moi, j’étais mon maître, j’en profitais insoucieusement comme un enfant que j’étais.

      Je m’en allais au hasard par la ville, me mêlant aux groupes, suivant les manifestations qui se succédaient à propos de tout et à propos de rien, écoutant, interrogeant, glanant les on-dit.

      Mais c’est au Palais-Royal que je finissais toujours par revenir.

      Là, sous ces mêmes arbres dont les feuilles, arrachées par Camille Desmoulins, avaient été le premier signe de ralliement de la Révolution, là se pressait, autour des nouvellistes et des politiques en plein vent, une foule haletante de curiosité.

      Alors, mes amis, nous n’avions ni les chemins de fer, ni le télégraphe. Alors les dépêches étaient apportées à franc étrier, et il fallait bien des jours et bien des relais à un courrier pour venir de la frontière.

      C’est vous dire l’impatience dont on était dévoré, le travail des imaginations et par contre le déluge de nouvelles fausses dont on était inondé.

      Fabriquer des nouvelles était une manie. Il y avait des gens qui s’en faisaient une renommée et presque un état. Les plus habiles exerçaient au Palais-Royal, on les connaissait, et dès qu’ils paraissaient, on les hissait sur un banc et on les écoutait.

      Et suivant que c’était tel ou tel qui pérorait, on croyait tout perdu ou tout sauvé, et c’était des cris de joie absurdes ou des paniques plus ridicules encore.

      Parmi ces beaux donneurs de renseignements, il en est un qu’il me semble voir encore.

      C’était un certain Mouchet, haut comme ma botte, bancroche et bossu, noir de peau et le nez en vrille qu’on avait surnommé le Diable boîteux. Il avait une voix si aigre et si perçante qu’on l’entendait sous les galeries de bois et qu’il faisait taire tous les autres. Il ne manquait pas d’une certaine faconde, s’étant exercé longtemps au club des Minimes.

      Ce Mouchet avait la spécialité des nouvelles désastreuses.

      Il n’était guère d’après-midi qu’il ne nous annonçât que nos soldats venaient d’être mis en pleine déroute. Et si quelqu’un faisait seulement mine de douter, tout de suite il tirait de sa poche et lisait une lettre qu’il venait, jurait-il, de recevoir de l’armée, à l’instant même.

      Il s’était, par surcroit, donné l’emploi de dénoncer quotidiennement le général La Fayette, lequel n’était guère en odeur de patriotisme, et qui était bien loin déjà du temps où on arrachait pour s’en faire des reliques les crins de son cheval blanc.

      Le malheur est que cet intarissable parleur n’inventait pas toujours.

      Il disait vrai, par exemple, en annonçant que le duc de Bade avait mis les Autrichiens dans Kehl, et qu’on craignait un complot pour livrer Strasbourg. Il disait vrai en affirmant que l’Alsace, debout et frémissante, demandait en vain des armes pour marcher à l’ennemi.

      C’est de même par Mouchet que j’appris les trop réels malheurs des Flandres.

      Là, le vieux Luckner, le général de la Révolution, n’était pas à la hauteur de son rôle. Poussé par Dumouriez, il s’était d’abord avancé et avait pris Courtrai et deux places fortes. Puis, tout à coup, comme s’il eût été effrayé de sa témérité et de son succès, il s’était replié en hâte jusque sous le canon de Lille, après en avoir fait juste assez pour compromettre les amis et les partisans de la France.

      – Or, concluait Mouchet, de sa voix glapissante, or, je le demande aux braves sans-culottes qui m’écoutent, pourquoi cette retraite?.. Parce que M. Véto l’a ordonnée. La trahison est visible, on veut donner aux Prussiens le temps d’arriver.

      Ce qu’il ne disait pas, ce Mouchet, c’est que, pour tenir tête à tête à l’armée autrichienne, Luckner n’avait pas quarante mille hommes, brûlants d’enthousiasme, c’est vrai, mais sans aucune instruction militaire, à peine organisés, sans vivres, presque sans munitions.

      C’est l’objection qui me vint, et le soir, je la soumis à mon père, mais lui, pourpre d’indignation, et les poings crispés.

      – Et à qui donc s’en prendre, s’écria-t-il, si notre frontière est ouverte, si les cadres de nos armées sont vides, si nos soldats manquent de tout, si nos généraux sont des poltrons ou des incapables, à qui donc s’en prendre, sinon à celui qui a juré de défendre la France, qui en a les moyens, et qui ne le fait pas?..

      C’est pourtant juste, pensais-je, mon père a raison.

      Mais lui, s’animant poursuivait:

      – On devait établir un camp entre la frontière et Paris. Où est-il ce camp? Ce ne sont cependant pas les soldats qui manquent.

      Ah! ce n’était que trop évident; la France était en péril, les plus simples ne s’y trompaient pas. Mais ce péril, comment le prévenir?..

      Hélas! comment eût-on été d’accord sur les moyens, quand on ne l’était pas sur les causes, chaque parti accusant l’autre de trahison.

      Enfin, le

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