Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau

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n’est pas un homme qui parle, me disait-il, j’ai entendu la voix de la patrie elle-même… Maintenant, j’ai bon espoir.

      Et cependant, à trois ou quatre places de moi, j’avais remarqué un auditeur dont la contenance contrastait singulièrement avec l’enthousiasme de tous.

      C’était un très jeune homme, vêtu comme les ouvriers de la plus pauvre condition.

      Il était assis au premier rang, et, chaque fois qu’on prononçait le nom du roi, je voyais parfaitement ses doigts se crisper de rage contre le bois de balustrade.

      Par moments, il bondissait, se levait à demi et se penchait vers la salle comme pour jeter une insulte à la face de l’orateur.

      D’autre fois, il portait la main droite sous ses habits, d’un geste si convulsif, qu’on eût dit qu’il y cherchait une arme.

      Si extraordinaire était son manége que, malgré moi-même, je me pris à l’examiner avec toute l’attention dont j’étais capable.

      Évidemment les habits misérables qu’il portait n’étaient pas ses habits ordinaires. La blancheur de ses mains, les soins que trahissaient ses cheveux blonds, la finesse du peu qu’on apercevait de son linge, tout en lui trahissait l’aristocrate.

      Mais qu’était-il venu faire là? Pourquoi ce déguisement et ces gestes désordonnés?

      A une époque où les plus noires défiances empoisonnaient toutes les relations, où il n’était question que de trahisons et de complots, où on ne parlait que d’ennemis du peuple, d’espions de l’étranger et d’émissaires des émigrés, il y avait là de quoi me faire travailler prodigieusement l’esprit.

      J’allais peut-être faire part de mes soupçons à mon père, quand le jeune homme se retourna. Sa figure qui respirait l’audace et l’énergie, était de celles qu’on n’oublie pas. Nos yeux se rencontrèrent, et il me semble éprouver encore l’étrange sensation que je ressentis au choc de son regard. J’eus comme la certitude que cet individu se trouverait mêlé à ma vie, et serait pour quelque chose dans ma destinée.

      Si forte fut la sensation que je me tus.

      D’ailleurs les galeries se vidaient.

      Vergniaud venait de descendre de la tribune et de quitter la salle, et tout le monde se précipitait dehors pour l’attendre et l’acclamer au passage. Mon père m’entraîna.

      Mais c’est en vain qu’à l’exemple de plusieurs milliers de personnes, nous restâmes plantés sur nos jambes devant la grande porte, l’orateur de la Gironde avait dû s’échapper par quelque porte latérale.

      Beaucoup pour se dédommager de ce contre-temps, se donnèrent rendez-vous à la comédie française, où on fit une ovation à mademoiselle Candeille, qui était la maîtresse de Vergniaud.

      Le lendemain, 4 juillet, l’Assemblée décréta:

      Que dès que le péril deviendrait extrême, le Corps législatif le déclarerait lui-même, par cette formule solennelle: La patrie est en danger.

      Qu’à cette déclaration tous les citoyens seraient tenus de remettre aux autorités les armes par eux possédées, pour qu’il en fût fait une distribution convenable.

      Que tous les hommes, jeunes ou vieux, en état de servir, seraient enrôlés…

      Une immense acclamation de Paris entier salua le décret de l’Assemblée.

      La nouvelle s’en était répandue avec la rapidité d’une traînée de poudre jusqu’à l’extrémité des faubourgs. Le soir, au coin des rues, les groupes étaient plus animés que de coutume, et les marchands de journaux chargés de leurs feuilles encore humides, partaient en criant:

      «Achetez, pour lire le décret qui sauve la patrie!..»

      Était-elle donc sauvée, en effet? Il y en avait qui le croyaient, attribuant ainsi à l’Assemblée le pouvoir de changer, par la seule manifestation de sa volonté, une situation terrible.

      Comme il arrive dans toutes les crises violentes, je voyais, non sans un étonnement profond, les gens passer soudainement de l’abattement le plus extrême à une confiance presque sans bornes.

      Mon père ne se possédait pas de contentement.

      – Il faudra mettre un gigot au four, commanda-t-il à ma mère, j’amènerai souper quelques bons patriotes, et nous viderons une bouteille au bonheur de la nation…

      Le soir, en effet, il arriva avec trois de ses amis, dont le grand Fortier, le marchand de toiles, qui fut tué un mois plus tard, à la prise des Tuileries, le 10 août.

      Leur persuasion était que les Prussiens, quand ils sauraient la ferme attitude de l’Assemblée, et l’impossibilité où serait le roi de favoriser leur invasion, s’arrêteraient.

      C’est ce dont ne semblait nullement convaincu M. Goguereau, le représentant, qui était de ce souper.

      – Ne nous hâtons pas de chanter victoire, disait-il, de peur d’être obligés de déchanter.

      Cependant tout ce qu’il nous apprit n’était pas fait pour diminuer notre assurance.

      C’est de lui que nous sûmes positivement que, de tous les points de la province, des gardes nationaux fédérés se mettaient en marche, en armes et avec du canon, pour aller former un camp aux environs de Soissons.

      On en attendait cinq cents de Marseille et trois cents de Brest, qui devaient déjà être en route.

      Tous devaient passer par Paris et y assister à la grande fête patriotique qui se préparait pour le 14 juillet, anniversaire de la prise de la Bastille.

      – Vous voyez donc bien, disait mon père, que tout s’arrangera… Allons, allons, le commerce va reprendre et l’argent va reparaître… et ma foi! je n’en serai pas fâché, car j’ai des pratiques dont la «taille» s’allonge à faire trembler.

      A l’air dont M. Goguereau secouait la tête, je voyais bien qu’il ne disait pas tout ce qu’il pensait, lui qui connaissait le dessous des cartes.

      Mais à quoi bon désoler les gens à l’avance!..

      L’aveuglement de mon père était si obstiné, qu’il nous annonça la résolution où il était de partir en tournée pour acheter du blé, comme il faisait tous les ans à l’époque de la moisson.

      Et, en effet, le lendemain, quoi que pût lui dire ma mère, il voulut se mettre en route, et je l’accompagnai jusqu’à la rue du Coq, où était le bureau de la voiture qui faisait le service entre Paris et Chartres, où il se rendait.

      Je puis vous affirmer, mes amis, que vous ririez bien si j’avais le pouvoir de vous mettre tout à coup en présence de cette diligence, qui excitait alors mon admiration, et dont on disait qu’il ne se ferait rien de mieux, ni de plus commode, ni de plus rapide.

      C’était un grand coffre carré, haut huché sur roues, peint en bleu clair et percé de petits guichets larges comme les deux mains.

      Cela mettait quatorze heures à faire le trajet. On partait de la rue du Coq à trois heures de l’après-midi, et on arrivait à Chartres sur les

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