Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau

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père, je l’ai compris depuis, ne se rendait pas bien compte de l’énorme gravité des débats; il s’indignait de ces lenteurs.

      – A chaque jour qu’on perd, grondait-il, les Prussiens peuvent faire une étape.

      Voilà où en étaient les choses, lorsque, le soir du 2 juillet, juste comme j’aidais nos garçons à mettre les volets de la boutique, je vis arriver le vieil ami de mes parents, M. Goguereau, le député.

      – Mon cher Coutanceau, dit-il à mon père, je sais que depuis longtemps vous désirez entendre Vergniaud; il doit prendre la parole demain; si vous le voulez, je viendrai vous chercher, ainsi que le jeune citoyen qui est là, – et il me montrait, – et je vous ferai placer.

      Si mon père fut content, et remercia, il ne faut pas le demander.

      Dès huit heures, le lendemain, il avait fait faire sa barbe et avait passé son plus bel habit. J’avais mis pareillement mes plus beaux effets, avec une chemise à gros jabot selon la mode d’alors.

      A l’heure dite M. Goguereau arriva, et nous partîmes.

      Ah! bien nous en prit, d’être avec un député. Jamais je n’ai vu affluence de monde comme celle qui se pressait autour de l’Assemblée. Le bruit s’était répandu la veille que Vergniaud devait prononcer un discours, et c’était à qui pourrait entendre le grand orateur de la Gironde. Mais il y avait des gardes à toutes les portes, qui barraient le passage…

      La consigne n’était pas pour nous. M. Goguereau se nommait, en disant: «Ces citoyens sont avec moi,» et on s’empressait de nous laisser passer.

      Ainsi il nous guida le long des couloirs, puis il nous ouvrit la porte d’un petit escalier, et finalement il nous introduisit dans les tribunes.

      Elles étaient pleines à crouler d’auditeurs – de femmes surtout – et ce n’est pas sans soulever une tempête de récriminations, que nous réussîmes, mon père et moi, à conquérir – c’est bien l’expression – deux pauvres petites places au bout d’une banquette.

      J’étais horriblement mal à l’aise, et surtout martyrisé par un chapiteau de colonne qui me meurtrissait les reins dès que je me dressais. Mais je ne souffrais de rien, tant j’étais saisi de la majesté du spectacle que j’avais sous les yeux pour la première fois.

      Quels hommes siégeaient dans cette assemblée, mes amis, il est inutile, n’est-ce pas, que je vous le dise. Leurs noms sont dans toutes les mémoires, et ils vivront autant que leur œuvre, – œuvre immense, qui nous a fait ce que nous sommes, et que presque tous, hélas! ont scellée de leur sang.

      De ma place, je planais au-dessus d’eux tous.

      Je voyais les députés de la gauche – de la Montagne – échanger des regards enflammés, des paroles irritées et des gestes menaçants, avec ceux de la droite. Je voyais ceux du centre – du Marais, comme on disait alors – essayer de s’interposer entre des rancunes implacables.

      Je n’avais pas assez d’yeux pour regarder le président, immobile sur son fauteuil comme une statue, la main sur le manche d’ébène de sa sonnette.

      Derrière lui, dans un réduit grillé d’une douzaine de pieds carrés il me semblait apercevoir des ombres qui s’agitaient. Là, se tenaient des journalistes qui venaient de trouver le secret d’écrire aussi vite que l’on parle et qu’on appelait, pour cette raison, des logotachygraphes.

      C’est dans cette loge que quelques jours plus tard, le 10 août, Louis XVI, chassé des Tuileries, devait venir chercher un refuge.

      A la tribune où on montait par un escalier assez roide, était alors un petit homme maigre, qui parlait avec des gestes de convulsionnaire du salut public, l’unique et la suprême loi, disait-il.

      On ne l’écoutait guère.

      A tout bout de phrases les autres députés l’interrompaient, et dans les tribunes les conversations continuaient tout haut, comme à la Halle… Même, non loin de mon père et de moi, il y avait des gens qui buvaient et mangeaient, sans façon, comme s’ils eussent été chez eux.

      A la fin, cependant, cet orateur si peu écouté descendit de la tribune.

      Et je vis s’avancer pour le remplacer, un homme tout jeune encore, au regard doux, à la physionomie pensive.

      Autour de moi on chuchotait:

      Vergniaud! Vergniaud!..

      Ce qui me frappait en lui, c’était la grâce familière de sa démarche, une certaine nonchalance d’attitude et je ne sais quel inexprimable charme qui vous attirait vers lui et faisait qu’on l’aimait et qu’on souhaitait d’être son ami.

      Mais quand son pied frappa le parquet de la tribune, comme pour en prendre possession, il fut transfiguré… L’orateur surgissait de l’homme… Il m’apparut tel qu’un dieu, sur le Sinaï de la liberté, le front éblouissant d’éclairs.

      Le silence s’était fait, profond, intense.

      Au-dehors, même, les grondements sourds de la foule se taisaient.

      Lui, un peu pâle d’abord, et violemment ému d’une virile émotion, il promena son regard autour de la salle… son bras se leva d’un geste impérieux, ses lèvres s’entr’ouvrirent… Il parla.

      Le discours qu’il prononça ce jour-là, mes amis, marque une date dans les fastes de l’éloquence humaine – une date dans l’histoire de notre Révolution.

      Vous le trouverez, ce discours, dans tous les livres.

      Mais ce que les livres ne vous diront pas, c’est cette parole inspirée, cette voix puissante et grave, qui avait des caresses divines, quand il adjurait ses collègues de s’unir pour le salut de la patrie, et qui vibrait comme le métal des cloches quand montait son indignation.

      Dédaigneux des ménagements de la prudence, il alla droit au fait.

      Ce que la France pensait et disait tout bas, il le cria d’une voix si forte que le trône chancelant de Louis XVI en fut renversé…

      Après avoir déroulé l’effrayant tableau des calamités de la France, il disait l’immensité et l’imminence du péril, et aussi l’incurie criminelle du pouvoir. Il montrait l’ennemi à nos portes, les émigrés en armes à la frontière, l’invasion menaçante, et le roi paralysant de son veto toutes les mesures de salut public, le roi n’osant défendre formellement à ses généraux de vaincre, mais leur enlevant hypocritement les moyens de vaincre.

      «Appelez, ô mes collègues, disait-il, appelez, tous les Français à sauver la patrie… Montrez leur l’immensité du gouffre… Ce n’est que par un effort extraordinaire qu’ils pourront le franchir!..»

      Un frisson électrique parcourait l’Assemblée, à ces accents inspirés du grand orateur… Chacun avait cru entendre sonner le glas de la patrie agonisante.

      Alors il me fut donné de connaître l’empire de la parole humaine.

      Dans cette assemblée, l’instant d’avant si divisée, et agitée de tant de passions contraires, on eût dit que tous les cœurs battaient à l’unisson pour un même désir, pour une seule pensée.

      Sur

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