Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau

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où j’y retournai, je pus reconnaître combien avaient été chimériques les espérances de mon père et de ses amis.

      La question de savoir en quelles formes la déclaration du danger de la patrie serait faite avait été résolue, c’est vrai.

      Mais il restait à décider s’il y avait ou non lieu de proclamer sur-le-champ la patrie en danger.

      Et sur cette question qui ne me semblait pas à moi, naïf, présenter l’ombre d’un doute, la discussion avait repris avec une âpreté toute nouvelle. Deux députés, surtout, qu’on me dit être, l’un l’évêque du Cher, Torné, l’autre Pastoret, représentant de Paris, faisaient assaut de violence.

      L’irritation grandissait, quand soudain arriva un message du roi annonçant à l’Assemblée que les hostilités de la Prusse étaient imminentes et qu’une armée de cinquante-deux mille Prussiens s’avançait vers notre frontière…

      Je renonce, mes amis, à vous donner une idée de la tempête de ricanements et de huées qui accueillit cette notification.

      – C’est encore un piége, criait un député, l’armée prussienne n’est pas de cinquante-deux mille, mais de cent mille hommes.

      – Sans compter vingt mille émigrés disait un autre.

      – Et c’est quand ils sont à Coblentz que le roi avertit les représentants de la nation!..

      Il est de fait que, dans mon âme et conscience, je ne savais comment qualifier cette communication tardive, d’un fait connu de l’Europe entière, qui était l’unique sujet d’entretien de Paris, qui avait motivé le foudroyant discours de Vergniaud et le décret qui en avait été la suite…

      L’Assemblée ne daigna pas s’en occuper, et les débats continuaient, quand un orateur nouveau parut à la tribune.

      C’était un vieillard de la figure la plus noble, avec cet air de mansuétude que l’imagination prête aux Apôtres.

      Je demandai son nom. On me répondit que ce député n’était autre que Lamourette, ancien grand vicaire de l’évêque d’Arras et alors évêque constitutionnel de Lyon.

      Vénéré de ses collègues, il obtint le silence, et, d’une voix émue:

      «On vous a proposé, commença-t-il, on vous proposera encore des mesures extraordinaires, pour parer aux dangers de la France… A quoi bon! si vous ne savez pas rétablir dans votre propre sein la paix et l’union… J’entends dire que ce rapprochement est impossible… Ces mots me font frémir; ils sont une injure à cette Assemblée… Les honnêtes gens ont beau être divisés d’opinion, il est un terrain de patriotisme et d’honneur où ils se rencontrent toujours… Ah! celui qui réussirait à vous réunir tous, serait le véritable vainqueur de la Prusse et de Coblentz!..»

      Après bientôt un siècle, mes amis, je suis sûr de vous citer textuellement les paroles de cet homme de bien, tant elles se gravèrent profondément dans ma mémoire…

      – Celui-ci a grandement raison, pensais-je, et il songe aux intérêts de la France et non à ceux de ses rancunes ou de son ambition.

      Et l’émotion qui s’était emparée de moi, je voyais bien que tout le monde la partageait.

      Lui, cependant, d’un accent irrésistible poursuivait:

      «Jurons de n’avoir qu’un seul esprit, qu’un seul sentiment; jurons de nous confondre en une seule et même masse d’hommes libres. Le moment où l’étranger verra que ce que nous voulons nous le voulons tous, sera le moment où la liberté triomphera, et où la France sera sauvée!..»

      Il n’avait pas achevé que tous les députés étaient debouts et, la main étendue, prêtaient le serment proposé.

      Toutes les rancunes s’étaient fondues à la chaleur de ce patriotisme.

      Puis, un cri de concorde et de fraternité se fait entendre, et d’un mouvement spontané, tous les partis se mêlent et se confondent. Les hommes des factions les plus opposées se jettent dans les bras de leurs ennemis. Condorcet, en ce moment, entrait dans la salle, Pastoret qui le haïssait, court à lui et l’embrasse. Il n’y a plus de côté gauche, ni de côté droit, ni de centre, il n’y a plus que l’Assemblée nationale…

      Cependant, une députation, ayant à sa tête Lamourette, s’était hâtée d’aller porter au roi un extrait du procès-verbal.

      Il se hâta d’accourir et je le vis entrer, précédé de ses ministres, pâle, attendri, ému, pouvant à peine croire à cette incroyable et soudaine réconciliation.

      – Je ne fais qu’un avec vous, balbutia-t-il, notre union sauvera la France…

      Et dans les tribunes publiques et au dehors, mille cris d’allégresse répondaient; tout le monde avait des larmes dans les yeux…

      La séance levée, cependant, lorsque je traversai la terrasse des Feuillants pour regagner la maison paternelle, je fus croisé par deux hommes dont l’un disait à l’autre:

      – On s’embrassait aussi la veille de la Saint-Barthélemy.

      L’exclamation de ces deux hommes me révolta si fort que, pour un peu, je leur aurais cherché querelle.

      – Ceux-là, pensais-je, sont de ces êtres haineux qui jugent les autres d’après eux.

      Et, en effet, comment ne pas se sentir véritablement réjoui après ce que je venais de voir et en présence du spectacle que j’avais sous les yeux.

      Le roi, de retour aux Tuileries, s’est empressé de faire ouvrir le jardin qu’il tenait fermé depuis les scènes du 20 juin, et un peuple immense s’y était précipité et se pressait sous les fenêtres du château en criant à pleins poumons: Vive le roi!..

      Je vous le demande, mes amis, n’était-ce pas à s’y méprendre!

      Et la preuve, c’est que ma mère, à qui je racontai en rentrant ce qui se passait, me dit, la pauvre femme:

      – Il faut écrire à ton père, il verra que la tranquillité va revenir, et il fera des achats plus considérables.

      J’écrivis, en effet, à l’adresse que mon père nous avait assignée, à l’hôtel de la Nation, tenu par un nommé Servan, qui descendait toujours chez nous, quand il venait à Paris faire ses provisions.

      Niais que j’étais!.. Mon père n’avait pas reçu ma lettre que déjà tout était changé et redevenu pire qu’avant.

      Ce beau rêve de concorde avait duré ce que durent les rêves, une nuit.

      Paris, à son réveil, bafoua d’un éclat de rire immense un projet qu’il jugea beaucoup trop beau pour être réalisable.

      Dès le matin, des crieurs s’étaient répandus dans les rues, offrant pour deux sous la Grande Pantalonnade sentimentale de ces Messieurs de l’Assemblée, pamphlet plus injurieux que spirituel, composé par les rédacteurs du Journal du Diable.

      Les chansons ne tardèrent pas à s’en mêler, car en aucun temps on ne rima davantage.

      Il me semble voir encore un grand vieux tout dépenaillé, qui se tenait devant Saint-Roch,

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