Nana. Emile Zola

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Nana - Emile Zola

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allaient. Il était près de minuit. Deux valets enlevaient sans bruit les tasses vides et les assiettes de gâteaux. Devant la cheminée, ces dames avaient reformé et rétréci leur cercle, causant avec plus d'abandon dans la langueur de cette fin de soirée. Le salon lui-même s'ensommeillait, des ombres lentes tombaient des murs. Alors, Fauchery parla de se retirer. Pourtant, il s'oubliait de nouveau à regarder la comtesse Sabine. Elle se reposait de ses soins de maîtresse de maison, à sa place accoutumée, muette, les yeux sur un tison qui se consumait en braise, le visage si blanc et si fermé, qu'il était repris de doute. Dans la lueur du foyer, les poils noirs du signe qu'elle avait au coin des lèvres blondissaient. Absolument le signe de Nana, jusqu'à la couleur. Il ne put s'empêcher d'en dire un mot à l'oreille de Vandeuvres. C'était ma foi vrai; jamais celui-ci ne l'avait remarqué. Et tous les deux continuèrent le parallèle entre Nana et la comtesse. Ils leur trouvaient une vague ressemblance dans le menton et dans la bouche; mais les yeux n'étaient pas du tout pareils. Puis, Nana avait l'air bonne fille; tandis qu'on ne savait pas avec la comtesse, on aurait dit une chatte qui dormait, les griffes rentrées, les pattes à peine agitées d'un frisson nerveux.

      – Tout de même on coucherait avec, déclara Fauchery.

      Vandeuvres la déshabillait du regard.

      – Oui, tout de même, dit-il. Mais, vous savez, je me défie des cuisses. Elle n'a pas de cuisses, voulez-vous parier!

      Il se tut. Fauchery lui touchait vivement le coude, en montrant d'un signe Estelle, assise sur son tabouret, devant eux. Ils venaient de hausser le ton sans la remarquer, et elle devait les avoir entendus. Cependant, elle restait raide, immobile, avec son cou maigre de fille poussée trop vite, où pas un petit cheveu n'avait bougé. Alors, ils s'éloignèrent de trois ou quatre pas. Vandeuvres jurait que la comtesse était une très honnête femme.

      A ce moment, les voix s'élevèrent devant la cheminée. Madame Du Joncquoy disait:

      – Je vous ai accordé que monsieur de Bismarck était peut-être un homme d'esprit… Seulement, si vous allez jusqu'au génie…

      Ces dames en étaient revenues à leur premier sujet de conversation.

      – Comment! encore monsieur de Bismarck! murmura Fauchery.

      Cette fois, je me sauve pour tout de bon.

      – Attendez, dit Vandeuvres, il nous faut un non définitif du comte.

      Le comte Muffat causait avec son beau-père et quelques hommes graves. Vandeuvres l'emmena, renouvela l'invitation, en l'appuyant, en disant qu'il était lui-même du souper. Un homme pouvait aller partout; personne ne songerait à voir du mal où il y aurait au plus de la curiosité. Le comte écoutait ces arguments, les yeux baissés, la face muette. Vandeuvres sentait en lui une hésitation, lorsque le marquis de Chouard s'approcha d'un air interrogateur. Et quand ce dernier sut de quoi il s'agissait, quand Fauchery l'invita à son tour, il regarda furtivement son gendre. Il y eut un silence, une gêne; mais tous deux s'encourageaient, ils auraient sans doute fini par accepter, si le comte Muffat n'avait aperçu M. Venot, qui le regardait fixement. Le petit vieillard ne souriait plus, il avait un visage terreux, des yeux d'acier, clairs et aigus.

      – Non, répondit le comte aussitôt, d'un ton si net, qu'il n'y avait pas à insister.

      Alors, le marquis refusa avec plus de sévérité encore. Il parla morale. Les hautes classes devaient l'exemple. Fauchery eut un sourire et donna une poignée de main à Vandeuvres. Il ne l'attendait pas, il partait tout de suite, car il devait passer à son journal.

      – Chez Nana, à minuit, n'est-ce pas?

      La Faloise se retirait également. Steiner venait de saluer la comtesse. D'autres hommes les suivaient. Et les mêmes mots couraient, chacun répétait: «A minuit, chez Nana», en allant prendre son paletot dans l'antichambre. Georges, qui ne devait partir qu'avec sa mère, s'était placé sur le seuil, où il indiquait l'adresse exacte, troisième étage, la porte à gauche. Cependant, avant de sortir, Fauchery jeta un dernier coup d'oeil. Vandeuvres avait repris sa place au milieu des dames, plaisantant avec Léonide de Chezelles. Le comte Muffat et le marquis de Chouard se mêlaient à la conversation, pendant que la bonne madame Hugon s'endormait les yeux ouverts. Perdu derrière les jupes, M. Venot, redevenu tout petit, avait retrouvé son sourire. Minuit sonnèrent lentement dans la vaste pièce solennelle.

      – Comment! comment! reprenait madame Du Joncquoy, vous supposez que monsieur de Bismarck nous fera la guerre et nous battra… Oh! celle-là dépasse tout!

      On riait, en effet, autour de madame Chantereau, qui venait de répéter ce propos, entendu par elle en Alsace, où son mari possédait une usine.

      – L'empereur est là, heureusement, dit le comte Muffat avec sa gravité officielle.

      Ce fut le dernier mot que Fauchery put entendre. Il refermait la porte, après avoir regardé une fois encore la comtesse Sabine. Elle causait posément avec le chef de bureau et semblait s'intéresser à l'entretien de ce gros homme. Décidément, il devait s'être trompé, il n'y avait point de fêlure. C'était dommage.

      – Eh bien! tu ne descends pas? lui cria la Faloise du vestibule.

      Et, sur le trottoir, en se séparant, on répéta encore:

      – A demain, chez Nana.

      IV

      Depuis le matin, Zoé avait livré l'appartement à un maître d'hôtel, venu de chez Brébant avec un personnel d'aides et de garçons. C'était Brébant qui devait tout fournir, le souper, la vaisselle, les cristaux, le linge, les fleurs, jusqu'à des sièges et à des tabourets. Nana n'aurait pas trouvé une douzaine de serviettes au fond de ses armoires; et, n'ayant pas encore eu le temps de se monter dans son nouveau lançage, dédaignant d'aller au restaurant, elle avait préféré faire venir le restaurant chez elle. Ça lui semblait plus chic. Elle voulait fêter son grand succès d'actrice par un souper, dont on parlerait. Comme la salle à manger était trop petite, le maître d'hôtel avait dressé la table dans le salon, une table où tenaient vingt-cinq couverts, un peu serrés.

      – Tout est prêt? demanda Nana, en rentrant à minuit.

      – Ah! je ne sais pas, répondit brutalement Zoé, qui paraissait hors d'elle. Dieu merci! je ne m'occupe de rien. Ils en font un massacre dans la cuisine et dans tout l'appartement!.. Avec ça, il a fallu me disputer. Les deux autres sont encore venus. Ma foi, je les ai flanqués à la porte.

      Elle parlait des deux anciens messieurs de madame, du négociant et du Valaque, que Nana s'était décidée à congédier, certaine de l'avenir, désirant faire peau neuve, comme elle disait.

      – En voilà des crampons! murmura-t-elle. S'ils reviennent, menacez-les d'aller chez le commissaire.

      Puis, elle appela Daguenet et Georges, restés en arrière dans l'antichambre, où ils accrochaient leurs paletots. Tous deux s'étaient rencontrés à la sortie des artistes, passage des Panoramas, et elle les avait amenés en fiacre. Comme il n'y avait personne encore, elle leur criait d'entrer dans le cabinet de toilette, pendant que Zoé l'arrangerait. En hâte, sans changer de robe, elle se fit relever les cheveux, piqua des roses blanches à son chignon et à son corsage. Le cabinet se trouvait encombré des meubles du salon, qu'on avait dû rouler là, un tas de guéridons, de canapés, de fauteuils, les pieds en l'air; et elle était prête, lorsque sa jupe se prit dans une roulette et se fendit. Alors, elle jura, furieuse; ces choses n'arrivaient qu'à elle. Rageusement, elle ôta sa robe, une robe de foulard blanc, très simple, si souple et si fine, qu'elle l'habillait d'une longue chemise. Mais aussitôt elle

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