Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney
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Après l'exposé que nous venons de faire des preuves positives fournies par divers passages du Pentateuque d'une part, et des présomptions et indices tirés des faits historiques et de leurs accessoires d'autre part, nous croyons pouvoir conclure impartialement:
1° Que le Pentateuque, tel qu'il est en nos mains, ne saurait être l'ouvrage immédiat, ni la composition autographe de Moïse;
2° Que le livre soi-disant trouvé par le grand-prêtre Helqiah, l'an 18 du roi Josiah, est réellement notre Pentateuque actuel;
3° Que la partie de ce livre lue devant Josiah, se rapporte aux chapitres 27 et 28 du Deutéronome;
4° Que le grand-prêtre Helqiah, qui dit avoir trouvé ce livre, et qui l'a possédé seul et sans témoins; qui en a été le maître absolu et sans contrôle, est fortement prévenu, par toutes les circonstances du fait, d'en être l'auteur, et de l'être en ce sens, qu'il a recueilli et rassemblé des matériaux dont quelques-uns paraissent venir directement de Moïse; mais qu'il les a fondus, rédigés et mis dans l'ordre qu'il lui a convenu, et que nous voyons aujourd'hui.
CHAPITRE IX.
Problèmes résolus par l'époque citée
CES propositions étant admises, l'on peut résoudre d'une manière satisfaisante presque toutes les difficultés chronologiques, géographiques et historiques contenues dans le Pentateuque. Et d'abord en considérant que son apparition ou promulgation l'an 18 de Josiah, correspond à l'an 621 avant notre ère, on voit la raison de tous les faits disparates dont ce livre offre les citations. Par exemple, on conçoit que Helquiah écrivant dans Jérusalem, à l'occident et en deçà du Jourdain, a dû dire «que Moïse parla et mourut au delà du Jourdain, du coté du soleil levant;» et il a pu ajouter avec convenance «que personne n'avait connu le lieu de sa sépulture jusqu'à ce jour,» puisque 8 siècles étaient écoulés; et encore, «qu'aucun prophète égal à Moïse ne s'était élevé en Israël:» un tel prononcé a de la dignité et de la modestie dans la bouche d'un grand-prêtre successeur de Moïse.
On conçoit aussi comment Helquiah a pu employer, au temps d'Abraham, les mots Iahouh et Dan, qui ne furent usités que long-temps après; comment il a fait des notes explicatives sur le lit d'Og, roi de Basan, sur les rois qui régnèrent en Edom, avant qu'il y eût des rois en Israël, comment il a cité le livre des Guerres du Seigneur, celui de Moshalim, ou traditions, etc., et employé le terme de nabia pour prophète, au lieu de raï, voyant, qui fut usité jusqu'après David; enfin, comment il a pu dire: «de la terre de Sennar est sorti l'Assyrien qui a bâti Ninive,» événement qui date de l'an 1218, ainsi que nous le prouverons. Cette remarque avait alors de l'intérêt pour les Juifs, à qui 150 ans de guerres avaient fait connaître les Assyriens, tandis qu'auparavant, soit sous Moïse, soit sous David, ils n'avaient aucun rapport avec ce peuple lointain, et ne le connaissaient que vaguement.
Le mérite de cette date tardive du Pentateuque ne se borne pas là. Elle a encore l'avantage d'expliquer plusieurs énigmes de la Genèse et du livre des Nombres, qui sont restées inintelligibles jusqu'à ce jour. Par explique, elle explique les bénédictions supposées que Jacob mourant est censé donner à ses enfants..... Nous disons supposées, parce qu'il est inconcevable qu'il y ait eu là un sténographe pour les recueillir,58 et qu'en les examinant avec critique, l'on y découvre un résumé allégorique de l'historique de chaque tribu, présenté, selon l'usage oriental, sous une forme prophétique.
«Zabulon habitera aux bords de la mer, près des ports, appuyé contre Sidon: Issachar, âne robuste, voyant que sa terre est bonne, baissera59 l'épaule sous le fardeau, et paiera le tribut. Le pain d'Aser est excellent… Je diviserai Siméon et Lévi: je le disperserai en Israël (les lévites n'eurent point de lot spécial…); le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le trône d'entre ses pieds; jusqu'à ce que vienne celui à qui appartient le sceptre et l'obéissance…» Remarquez qu'au temps de Josiah le sceptre avait été ôté d'Israël, c'est-à-dire des tribus, et qu'il restait en Juda, mais avec l'incertitude d'y persister s'il venait un puissant à qui appartînt l'obéissance.
Un second passage énigmatique qui s'explique également bien, est la prophétie de Nohé à ses trois (prétendus) enfants: «Maudit soit Kanaan60; il sera l'esclave des serviteurs de ses frères.» Kanaan, comme on sait, est le peuple phénicien. Ici, les serviteurs de ses frères sont les Hébreux, devenus tributaires des Assyriens, issus de Sem, et même des Mèdes et des Scythes (en 621), issus de Iaphet.
«Béni soit le Dieu de Sem, Kanaan sera son esclave.... Dieu dilatera Iaphet61 qui habitera les tentes de Sem...., et Kanaan sera son esclave.»
On n'a jamais compris ce verset; mais dans la géographie hébraïque, Iaphet désigne les races scythiques qui parlent l'idiome sanscrit. Sem désigne les nations arabiques-chaldéennes, et la prophétie eut son accomplissement lorsque les Mèdes, race de Iaphet, eurent envahi Ninive, c'est-à-dire, l'habitation guerrière des Assyriens, race de Sem. Cet événement avait eu lieu 100 ans avant Helquiah, au temps de Sardanapale et d'Arbak; mais l'invasion des Scythes, qui, en 625, s'emparèrent de tous les pays sémitiques, nous paraît être l'application la plus directe et l'objet le plus immédiat de l'oracle: cet article semble nous révéler positivement le secret du rédacteur Helqiah.
Enfin Kanaan, c'est-à-dire les peuples phéniciens se trouvaient alors exactement les esclaves et les tributaires des peuples sémitiques et iaphétiques, puisqu'ils payaient le tribut aux Assyriens et aux Scythes. Aucune explication n'avait, jusqu'à ce jour, rempli toutes les conditions de celle-ci. En cette circonstance nous avons un exemple remarquable de l'observation critique de M. John Bentley, qui, à l'occasion de prophéties semblables insérées dans les livres indiens, soit Pouranas, soit Shastras, nous avertit que, «de l'aveu des plus savants et des plus honnêtes brahmes62, les écrivains
58
Genèse, ch. 49.
59
Les interprètes traduisent ce mot
60
Genèse, chap. 9.
61
C'est un jeu de mots, car Iaphet signifie
62
Asiatick researches, tome IV.