Masques De Cristal. Terry Salvini
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–Donc, il n'avait pas compris que vous vous efforciez d'avoir des bons points uniquement pour vous venger de lui.
–Non, je ne pense pas, il ne m'a jamais rien dit à ce propos.
–Peter n'a pas voulu aller à l'université: qu'est-ce qu'il faisait alors?
–Mon frère avait un talent artistique et il peignait. Et pas seulement sur toile, aussi sur les trottoirs et les murs des immeubles. Mais c'est rare que la peinture permette de gagner sa croute immédiatement: maman et papa le lui répétaient sans cesse, mais il s'en fichait et n'a jamais essayé de changer les choses. Il disait que ça lui convenait en un sens: je lui servais pour concentrer toutes leurs attentes, et il pouvait donc choisir sa voie librement.»
S'il est vrai que Peter enfant souffrait d'une jalousie malsaine envers son petit frère, rien ne disait que c'était toujours le cas une fois grand. Elle devait insister sur ce point. Pour l'instant, tout ce qu'elle avait compris de lui était qu'il avait un caractère qui ne collait pas avec la méchanceté et l'instinct violent nécessaires pour frapper une femme à mort.
«D'après ce que vous m'avez dit, Peter ressentait beaucoup de jalousie envers vous, enfant: ça a été pareil les années qui ont suivi? Il vous a déjà frappé? Et, en ce qui concerne les filles, est-ce qu'il a déjà fait preuve d'accès de colère?»
Loreley vit Michael se lever et se diriger vers la pièce à côté. Il disparut derrière une porte et réapparut avec une bouteille de whisky et deux verres. «Vous en voulez? lui demanda-t-il. Peut-être qu'une femme comme vous préférerait une coupe de champagne…
Loreley hésita: elle n'avait pas pour habitude de boire des alcools forts et elle ne pouvait pas non plus se le permettre dans son état.
–Servez-vous, je vous en prie.»
Il ne se le fit pas répéter deux fois. Il versa deux doigts de whisky dans le verre et en but une gorgée; il se rassit ensuite face à elle.
«Je savais que nous arriverions à cette question. Il vida son verre d'un trait et le remplit à nouveau. Je veux être sincère avec vous jusqu'au bout, Maître. Vous voyez, Peter était jaloux et possessif dans ses relations avec les filles, je dois le reconnaître, mais la seule fois où il a été impliqué dans quelque chose de violent à cause de l'une d'elles était pour la défendre, pas pour l'agresser. En ce qui me concerne, il m'a juste donné quelques coups de poing: plus que mérités d'ailleurs. J'avais besoin d'une bonne leçon, mais mon père n'était pas là. C'est donc lui qui y a veillé.
–Et qu'aviez-vous fait de mal?»
Michael détourna le regard. «Peter avait trouvé un sachet de cocaïne dans mon tiroir. Je sais ce que vous pensez, mais je n'étais pas cocaïnomane. Un de mes copains à l'université me l'avait donnée; j'avais peur d'essayer et je l'ai rangée, en attendant de trouver le courage de le faire. J'ai risqué gros: ce garçon espérait que ça me plaise au point d'en devenir esclave et que je l'achète chez lui, comme Peter me l'a expliqué. Mon frère m'a sauvé les fesses en la faisant disparaître et en gardant le silence avec mes parents; mais il n'a pas pu contrôler ses mains cette fois-là… Juste pour mon bien, pour que j'apprenne la leçon.
–Et ça s'est terminé là?
–Oui, bien sûr. C'est pour ça que je ne voulais pas que maman assiste à la conversation: je n'aurais jamais pu être sincère. Vous ne la connaissez pas.
–Je m'en suis fait une vague idée.
–Multipliez cette vague idée par trois.
Loreley acquiesça.
–Revenons à Peter.
–Je n'ai rien d'autre à dire sur lui. Il a rencontré Lindsay peu après et il a quitté la maison.
–Comment étaient les rapports entre eux?
–Bons, pour autant que je sache. Quelques discussions, oui… Qui n'en a pas? Bien sûr, je le voyais un peu tendu ces derniers temps, mais je pense que c'était pour des raisons financières.
–Lindsay avait quelqu'un qui lui tournait autour?
Michael bougea sur sa chaise.
–Je ne crois pas, mais elle était très réservée et parlait peu d'elle. Elle ne m'a jamais semblé du genre à se laisser emporter par la passion.»
Loreley le vit regarder l'horloge à balancier contre le mur, une pièce d'antiquité, et comprit que le moment de prendre congé était venu.
Elle se leva du canapé. «Bien, j'arrête de vous déranger. Merci du temps que vous m'avez consacré.» Elle reprit son sac et sa veste et sortit.
10
Le lendemain matin, Loreley envoya une requête pour un entretien avec Peter Wallace. Elle en savait un peu plus sur lui désormais, mais rien de pertinent pour le procès. Elle avait besoin d'autres informations concernant Lindsay et leur vie ensemble.
Cette fois, elle ne laisserait pas tomber sans avoir d'abord obtenu des réponses plus que satisfaisantes. L'image qu'elle s'était faite de sa personnalité ne reflétait pas celle d'un homme irascible et violent; mais si elle ne parvenait pas à en savoir plus, il faudrait un miracle pour le démontrer.
Quand Sarah lui demanda des nouvelles de Hans, alors qu'elles déjeunaient ensemble, elle se rappela qu'elle devait passer chez lui, comme elle le lui avait promis. Elle sortit du bureau en fin d'après-midi et prit un taxi.
Durant le trajet, elle ne répondit aux tentatives du chauffeur d'établir une conversation par des questions banales que par monosyllabes et une série de marmonnements: elle était trop occupée à réfléchir à ses problèmes avec John pour penser à autre chose. Le chauffeur bavard finit par hausser les épaules en grognant.
Loreley secoua la tête. Elle avait l'impression d'avoir un aimant qui n'attirait que les chauffeurs bizarres. Ou c'était elle qui avait un problème avec eux tous? Elle ne perdit pas de temps à chercher une réponse. Elle haussa les épaules et se remit à regarder par la fenêtre les files de voitures et de passants, et leurs ombres allongées qui disparaissaient, englouties par celles des immeubles de Tribeca.
Chez Hans, par chance, on respirait une atmosphère sereine et accueillante. Les deux jeunes époux s'échangeaient des attentions, chose qui lui provoqua un petit pincement au coeur: Johnny et elle n'avaient jamais été aussi proches, même dans les meilleurs moments.
Ces tristes pensées la poursuivirent durant tout le dîner et se reflétaient sur son visage, parce qu'Ester finit à un certain point par poser une main sur la sienne.
«Qu'est-ce qui ne va pas, Loreley?
–Rien, je suis seulement fatiguée. Elle avait perdu le compte des fois où elle avait utilisé cette excuse pour justifier son état d'âme ces derniers temps.
–Ce n'est pas de la fatigue, intervint son frère. Dis-moi ce qu'il t'arrive; ne tergiverse pas et ne vexe pas mon intelligence avec d'autres excuses du genre» lui dit-il de son ton brutal coutumier.
Hans arrivait à devenir un sacré emmerdeur quand il décidait de jouer les grands frères. Loreley n'avait aucune possibilité de détourner la conversation, il ne le lui permettrait pas. Elle baissa les yeux vers son assiette d'ailes de poulet frites: