LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
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Le même bruit encore, le même chuchotement nasillard.
Lupin éclata de rire, et rapidement, il saisit le cadavre et le déplaça.
– Parfait dit-il en apercevant un objet de métal brillant… Parfait nous y sommes… Eh bien, vrai, j’y ai mis le temps !
C’était, à la place même qu’il avait découverte, le cornet récepteur d’un appareil téléphonique dont le fil remontait jusqu’au poste fixé dans le mur, à la hauteur habituelle.
Lupin appliqua ce récepteur contre son oreille. Presque aussitôt le bruit recommença, mais un bruit multiple, composé d’appels divers, d’interjections, de clameurs entrecroisées, le bruit que font plusieurs personnes qui s’interpellent.
– Êtes-vous là ?… Il ne répond plus… C’est horrible… On l’aura tué… Êtes-vous là ?… Qu’y a-t-il ?… Du courage… Le secours est en marche… des agents… des soldats…
– Crédieu ! fit Lupin, qui lâcha le récepteur.
En une vision effrayante, la vérité lui apparaissait. Tout au début, et tandis que le déménagement s’effectuait, Léonard, dont les liens n’étaient pas rigides, avait réussi à se dresser, à décrocher le récepteur, probablement avec ses dents, à le faire tomber et à demander du secours au bureau téléphonique d’Enghien.
Et c’était là les paroles que Lupin avait surprises une fois déjà, après le départ de la première barque « Au secours… à l’assassin ! On va me tuer… »
Et c’était là maintenant la réponse du bureau téléphonique. La police accourait. Et Lupin se rappelait les rumeurs qu’il avait perçues du jardin, quatre ou cinq minutes auparavant tout au plus.
– La police… sauve qui peut, proféra-t-il en se ruant à travers la salle à manger.
Gilbert objecta :
– Et Vaucheray ?
– Tant pis pour lui.
Mais Vaucheray, sorti de sa torpeur, le supplia au passage :
– Patron, vous n’allez pas me lâcher comme ça !
Lupin s’arrêta, malgré le péril, et, avec l’assistance de Gilbert, il soulevait le blessé, quand un tumulte se produisit dehors.
– Trop tard ! dit-il.
À ce moment, des coups ébranlèrent la porte du vestibule qui donnait sur la façade postérieure. Il courut à la porte du perron : des hommes avaient déjà contourné la maison et se précipitaient. Peut-être aurait-il réussi à prendre de l’avance et à gagner le bord de l’eau ainsi que Gilbert. Mais comment s’embarquer et fuir sous le feu de l’ennemi ?
Il ferma et mit le verrou.
– Nous sommes cernés… fichus… bredouilla Gilbert.
– Tais-toi, dit Lupin.
– Mais ils nous ont vus, patron. Tenez les voilà qui frappent.
– Tais-toi, répéta Lupin… Pas un mot… Pas un geste.
Lui-même demeurait impassible, le visage absolument calme, l’attitude pensive de quelqu’un qui a tous les loisirs nécessaires pour examiner une situation délicate sous toutes ses faces. Il se trouvait à l’un de ces instants qu’il appelait les minutes supérieures de la vie, celles qui seulement donnent à l’existence sa valeur et son prix. En cette occurrence, et quelle que fût la menace du danger, il commençait toujours par compter en lui-même et lentement : « un… deux… trois… quatre… cinq… six », jusqu’à ce que le battement de son cœur redevînt normal et régulier. Alors seulement, il réfléchissait, mais avec quelle acuité ! Avec quelle puissance formidable ! Avec quelle intuition profonde des événements possibles ! Toutes les données du problème se présentaient à son esprit. Il prévoyait tout, il admettait tout. Et il prenait sa résolution en toute logique et en toute certitude.
Après trente ou quarante secondes, tandis que l’on cognait aux portes et que l’on crochetait les serrures, il dit à son compagnon :
– Suis-moi.
Il rentra dans le salon et poussa doucement la croisée et les persiennes d’une fenêtre qui s’ouvrait sur le côté. Des gens allaient et venaient, rendant la fuite impraticable. Alors il se mit à crier de toutes ses forces et d’une voix essoufflée :
– Par ici !… À l’aide !… Je les tiens… Par ici !
Il braqua son revolver et tira deux coups dans les branches des arbres. Puis il revint à Vaucheray, se pencha sur lui et se barbouilla les mains et le visage avec le sang de la blessure. Enfin se retournant contre Gilbert brutalement, il le saisit aux épaules et le renversa.
– Qu’est-ce que vous voulez, patron ? En voilà une idée !
– Laisse-toi faire, scanda Lupin d’un ton impérieux, je réponds de tout… je réponds de vous deux… Laisse-toi faire… Je vous sortirai de prison… Mais, pour cela, il faut que je sois libre.
On s’agitait, on appelait au-dessous de la fenêtre ouverte.
– Par ici, cria-t-il… je les tiens ! à l’aide !
Et, tout bas, tranquillement :
– Réfléchis bien… As-tu quelque chose à me dire ?… une communication qui puisse nous être utile…
Gilbert se débattait, furieux, trop bouleversé pour comprendre le plan de Lupin. Vaucheray, plus perspicace, et qui d’ailleurs à cause de sa blessure avait abandonné tout espoir de fuite, Vaucheray ricana :
– Laisse-toi faire, idiot… Pourvu que le patron se tire des pattes… c’est-y pas l’essentiel ?
Brusquement, Lupin se rappela l’objet que Gilbert avait mis dans sa poche après l’avoir repris à Vaucheray. À son tour, il voulut s’en saisir.
– Ah ça ! Jamais ! grinça Gilbert qui parvint à se dégager.
Lupin le terrassa de nouveau. Mais subitement, comme deux hommes surgissaient à la fenêtre, Gilbert céda et, passant l’objet à Lupin qui l’empocha sans le regarder, murmura :
– Tenez, patron, voilà… je vous expliquerai… vous pouvez être sûr que…
Il n’eut pas le temps d’achever… Deux agents, et d’autres qui les suivaient, et des soldats qui pénétraient par toutes les issues, arrivaient au secours de Lupin.
Gilbert fut aussitôt maintenu et lié solidement. Lupin se releva.
– Ce n’est pas dommage, dit-il, le bougre m’a donné assez de mal j’ai blessé l’autre, mais celui-là…
En hâte le commissaire de police lui demanda :
– Vous avez vu le domestique ? Est-ce qu’ils l’ont tué ?