Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune. H. de Graffigny

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Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune - H. de Graffigny

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      Impressionné malgré lui par l'enthousiasme du vieillard, Gontran demeurait immobile, intéressé, subjugué par ces révélations étonnantes sur un monde dont il entendait parler pour la première fois.

      —Et après Jupiter, continua Ossipoff sur le même ton, nous trouvons Saturne, le gigantesque Saturne, éloigné de trois cent cinquante-cinq millions de lieues de l'astre central et qui tourne sur lui-même au milieu de ses sept anneaux, presque aussi rapidement que Jupiter.

      Le savant s'arrêta fixant sur le comte de Flammermont un regard qui fit pressentir à Séléna une question embarrassante pour le jeune homme; aussi prit-elle la parole.

      —N'est-ce pas cette planète-là dont le calendrier compte, m'avez-vous dit, mon père, dix mille de nos jours, soit vingt-neuf ans et trois mois?

      —En effet, mais...

      —Saturne mesure plus de cent mille lieues de tour, continua la jeune fille, et entraîne dans son mouvement autour du soleil ses anneaux cosmiques et huit satellites...

      Elle s'arrêta, et, saisissant à deux mains la tête du vieux savant la renversa en arrière pour l'embrasser sur le front.

      —Hein! dit-elle, monsieur mon père, suis-je une élève hors ligne et fais-je honneur à mon professeur?

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      Mickhaïl Ossipoff était radieux; il enveloppa sa fille d'un regard attendri et s'écria, en s'adressant à Gontran:

      —Et vous croyez que je pourrais donner cette enfant-là au premier venu, à un de ces êtres oisifs et terre à terre, indifférents aux merveilles célestes qui nous environnent!... mais ce serait un crime, mon cher monsieur, et je préférerais cent fois voir Séléna rester fille que d'avoir un gendre de l'instruction duquel je ne me serais pas assuré auparavant.

      Le comte de Flammermont frémit jusqu'aux moelles en entendant ces paroles dont l'énergie prouvait la sincérité.

      —Et puis, ajouta le vieillard d'un ton mystérieux, j'ai en tête, depuis bien des années, un grand projet pour l'exécution duquel je compte sur le concours de mon gendre—car un gendre, c'est presque un fils et en lui je pourrai avoir confiance... tandis qu'un étranger me tromperait... me volerait, et je courrais risque d'avoir épuisé ma vie dans les veilles et les études pour qu'un misérable vienne me dépouiller non pas de l'honneur du succès, mais de l'honneur de la tentative seule.

      Il y avait dans ces derniers mots tant d'amertume, que Gontran, ému malgré lui, se leva et vint serrer la main du vieux savant.

      —Monsieur Ossipoff, dit-il, soyez persuadé que vous aurez en moi, sinon un collaborateur bien utile, tout au moins un fils plein de respect et de dévouement.

      —Merci, mon ami, mon enfant, balbutia le vieillard en faisant des efforts pour garder une larme qui roulait au bord de sa paupière... je retiens votre proposition, je retiens votre demande... mais, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je me réserve de causer de cela plus tard avec vous... pour l'instant...

      Séléna, elle, avait continué à crayonner sur le tableau noir et, rapidement, en quelques coups de craie, elle avait complété la carte sidérale.

      Aussi, Gontran désireux d'étaler aux yeux de son futur beau-père l'érudition instantanée qu'il devait au subterfuge de la jeune fille, s'écria:

      —Et quand on pense que derrière ces mondes géants dont le rapprochement relatif nous permet d'apprécier les dimensions, il en est d'autres, et puis d'autres, et d'autres encore!...

      Il jeta un coup d'œil rapide sur le tableau et ajouta:

      —Ainsi, l'on ne saura jamais ce que sont véritablement les dernières planètes du système solaire, Uranus et Neptune, que plus d'un milliard de lieues éloignent du soleil... à une semblable distance du flambeau de l'univers, ces mondes doivent être inertes et glacés...

      —Permettez, permettez, s'écria Mickhaïl Ossipoff, qu'est-ce que ce milliard de lieues où l'on rencontre l'orbite de la planète Neptune, en le comparant au désert sidéral dans lequel le système solaire se meut tout d'une pièce, emporté par l'étoile centrale?

      —Le désert sidéral, répéta machinalement le comte de Flammermont.

      Croyant deviner une question dans le ton dont avaient été prononcés ces trois mots, le vieux savant reprit:

      —Représentez par un mètre la distance de trente-sept millions de lieues qui sépare notre terre du Soleil, la dernière planète, ce Neptune dont nous parlions, qui voyage à un milliard de lieues d'Apollon, sera à trente mètres; or, pour arriver à la zone du premier soleil, de l'étoile la plus proche de nous, il faudrait répéter 7,400 fois ce chemin, ce qui représente, à l'échelle de un mètre pour 37 millions de lieues, 222 kilomètres, c'est-à-dire la distance de Pétersbourg à Moscou... Tel est le désert sidéral, et notez que ces 222 kilomètres forment en réalité plusieurs trillions de lieues, c'est-à-dire un chiffre tellement colossal qu'il ne dit plus rien à la pensée...

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      Gontran, immobilisé par la stupéfaction en laquelle le jetaient ces chiffres, fixait sur le vieillard des yeux tout ronds.

      Ossipoff poursuivit:

      —Vous savez que la lumière franchit 77,000 lieues ou 304,000 kilomètres en une seconde; eh bien, elle met trois ans et demi à venir de l'étoile la plus rapprochée de nous; quant au son, il ne parcourt que 330 mètres à la seconde; en sorte que,—si cette même étoile éclatait—le bruit de l'explosion ne nous parviendrait qu'au bout de trois millions d'années.

      —Mais alors, fit le comte tout abasourdi, un train ne faisant que 60 kilomètres à l'heure, il lui faudrait...

      —... Rouler sans interruption pendant 60 millions d'années, avant d'arriver au terme de son voyage, c'est-à-dire à cette étoile.

      —En ce cas, dit ingénument Gontran, ces astres dont nous apercevons le scintillement dans l'immensité des cieux, ces astres peuvent être éteints depuis longtemps et cependant continuer à nous éclairer, puisque leur lumière met des siècles à nous parvenir.

      —Assurément...

      En prononçant ce mot, Mickhaïl Ossipoff, dont les yeux s'étaient machinalement dirigés vers l'horloge, se leva en murmurant:

      —Déjà neuf heures! Il est temps de partir.

      Puis, se tournant vers Gontran:

      —Mon ami, dit-il, présentez vos respects à ma fille qui va se retirer chez elle.

      —Oh! père, murmura la jeune fille d'un ton suppliant... ne sortez pas ce soir.

      —Le devoir m'appelle, mon enfant, répondit le vieillard.

      —Pour ce soir seulement, et en faveur de monsieur, faites une exception et demeurez ici...

      —Monsieur m'accompagne, répondit Ossipoff... aussi bien, je ne veux pas retarder l'entretien

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