L'argent des autres: Les hommes de paille. Emile Gaboriau

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L'argent des autres: Les hommes de paille - Emile Gaboriau

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ce qu'il prétendait, une ou deux fois par mois? Tantôt c'était un emprunt, tantôt une liquidation ou une répartition de dividendes, dont il était chargé. Rentrait-il alors? Non. Il vous disait qu'il dînerait dehors, et qu'il lui serait plus commode de se faire dresser un lit dans son bureau, et vous étiez vingt-quatre ou quarante-huit heures sans le voir. Assurément cette double existence devait lui peser lourdement; mais il lui était défendu de rompre avec vous, sous peine d'être, le lendemain, pris la main dans le sac. C'est l'honorabilité de sa vie officielle, ici, qui lui permettait l'autre, celle que vous ne connaissez pas et qui a dévoré des sommes énormes. Plus il était ici âpre et dur, plus il pouvait ailleurs se montrer magnifique. Son ménage de la rue Saint-Gilles lui était un brevet d'impunité. Le voyant si économe on le croyait riche. On ne se défie pas des gens qui semblent ne rien dépenser. Chacune des privations qu'il vous imposait augmentait son renom de probité austère et l'élevait au-dessus du soupçon...

      De grosses larmes roulaient le long des joues de Mme Favoral.

      —Pourquoi ne pas me dire toute la vérité? balbutia-elle.

      —Parce que je l'ignore, madame, répondit le commissaire, parce que ce ne sont là que des présomptions... J'ai vu bien des exemples de semblables calculs...

      Et regrettant peut-être de s'être tant avancé:

      —Mais je puis me tromper, ajouta-t-il, je n'ai pas la prétention d'être infaillible...

      Il achevait alors l'inventaire sommaire de toutes les paperasses que contenait le bureau. Il ne lui restait plus qu'à examiner le tiroir qui servait de caisse. Il s'y trouvait en or, en petites coupures et en menue monnaie, sept cent dix-huit francs.

      Ayant compté cette somme, le commissaire la tendit à Mme Favoral en disant:

      —Ceci vous revient, madame...

      Mais instinctivement elle retira la main.

      —Jamais! fit-elle.

      Le commissaire eut un geste bienveillant.

      —Je comprends votre scrupule, madame, dit-il, et cependant j'insisterai. Vous pouvez me croire, lorsque je vous dis que cette petite somme vous appartient bien légitimement. Vous n'avez pas de fortune personnelle...

      L'effort que faisait la pauvre femme, pour ne pas éclater en sanglots, n'était que trop visible.

      —Je ne possède rien au monde, monsieur, répondit-elle d'une voix entrecoupée... Mon mari seul s'occupait de nos affaires, il ne m'en disait rien et je n'aurais pas osé le questionner... Seul, il disposait de l'argent... Tous les dimanches, il me remettait ce qu'il jugeait nécessaire pour les dépenses de la semaine et je lui en rendais compte... Quand mes enfants ou moi avions besoin de quelque chose, je le lui disais, et il me donnait ce qu'il croyait utile... Nous sommes aujourd'hui samedi; de ce que j'ai reçu dimanche dernier, il me reste cinq francs... c'est toute notre fortune...

      Positivement le commissaire était ému.

      —Vous voyez donc bien, madame, fit-il, que vous ne devez pas hésiter... Il faut vivre...

      Maxence s'avança.

      —Ne suis-je pas là, monsieur? interrompit-il.

      Le commissaire le regarda finement, et d'un ton grave:

      —Je crois, en effet, monsieur, répondit-il, que vous ne laisserez manquer de rien votre mère ni votre soeur... Mais ce n'est pas du jour au lendemain qu'on se crée des ressources... Les vôtres, si on ne m'a pas trompé, sont plus que bornées, en ce moment...

      Et comme le jeune homme rougissait et ne répondait pas, il remit les sept cents francs à Mlle Gilberte, en disant:

      —Prenez, mademoiselle, votre mère vous le permet.

      Sa besogne était achevée. Apposer les scellés sur le cabinet de M. Favoral fut l'affaire d'un instant.

      Faisant signe alors à ses agents de sortir, et prêt à se retirer lui-même:

      —Que les scellés ne vous inquiètent pas, madame, dit le commissaire de police à Mme Favoral. Avant quarante-huit heures, on sera venu enlever les papiers et vous rendre la libre disposition de la pièce.

      Il sortit, et dès que la porte se fut refermée sur lui:

      —Eh bien!... s'écria M. Desormeaux.

      Mais personne ne lui répondit. Les hôtes de cette maison où venait d'entrer le malheur avaient hâte de s'éloigner. Certes, la catastrophe était terrible et imprévue, mais ne les atteignait-elle donc pas? N'y perdaient-ils pas plus de trois cent mille francs?...

      Donc, après quelques protestations banales et de ces promesses qui n'engagent à rien, ils se retirèrent, et tout en descendant l'escalier:

      —Le commissaire a trop bien pris l'évasion de Vincent, disait M. Desormeaux; il doit avoir quelque moyen de le rattraper...

       Table des matières

      Enfin, Mme Favoral se trouvait seule avec ses enfants, et il lui était permis de s'abandonner sans réserve à l'excès du plus affreux désespoir.

      Elle se laissa tomber lourdement sur un fauteuil, et attirant à elle Maxence et Gilberte:

      —Oh! mes enfants, balbutiait-elle, en les couvrant de baisers et de larmes, mes enfants, nous sommes bien malheureux!

      Non moins désespérés qu'elle, ils s'efforçaient d'adoucir sa douleur, de lui rendre le courage de porter cette écrasante épreuve, et agenouillés à ses pieds, et lui embrassant les mains:

      —Ne te restons-nous pas, mère? répétaient-ils.

      Mais elle ne semblait pas les entendre:

      —Ce n'est pas sur moi que je pleure, poursuivait-elle. Moi!... qu'avais-je à attendre ou à espérer de la vie? Tandis que toi, Maxence, toi, ma pauvre Gilberte!... Si du moins j'étais sans reproches!... Mais non. C'est à ma faiblesse et à ma lâcheté qu'est due cette catastrophe. J'ai eu horreur de la lutte. J'ai payé de votre avenir la paix de mon intérieur. J'ai oublié que d'être mère, cela imposé des devoirs sacrés...

      Mme Favoral était alors une femme de quarante-trois ans, aux traits fins et doux, à la physionomie adorable de bonté, et dont toute la personne exhalait comme un parfum exquis de noblesse et de distinction.

      Heureuse, elle eût été belle encore, de cette beauté automnale dont la maturité a les splendeurs des fruits savoureux de l'arrière-saison.

      Mais elle avait tant souffert!... A la morne pâleur de son teint, au pli rigide de ses lèvres, aux tressaillements nerveux qui la secouaient, on devinait toute une existence d'amères déceptions, de luttes dévorantes et d'humiliations fièrement dissimulées.

      Tout semblait pourtant lui sourire, au début de la vie.

      Elle était fille unique,

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