Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail
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Читать онлайн книгу Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris - Ponson du Terrail страница 17
—Mais ce doit être un duel, répliquait un autre.
—Je vous soutiens que c'est un assassinat.
Instinctivement Tony pensa que la prudence lui faisait un devoir de se taire.
—Si je parle, se dit-il, ils m'entraîneront chez le lieutenant de police qui me retiendra et me prendra mon temps. J'ai un autre soin à remplir.
Et, se glissant dans les groupes, il écouta un mot par-ci, un mot par-là. Au bout de quelques minutes, il savait que le corps du marquis, rencontré par des passants qui avaient réveillé tous les habitants de la place Royale, venait d'être transporté au Caveau des morts.
C'est ainsi qu'à cette époque on appelait la Morgue.
Le Caveau des morts était situé dans le sous-sol de la prison du Châtelet.
A seize ans, on a de bonnes jambes. Tony arriva au Châtelet en même temps que les gens de police qui portaient la civière. Une crainte le tourmentait. Il se disait:
—Que l'on trouve dans les poches du marquis un papier à son nom ou que quelqu'un le reconnaisse, on ira aussitôt avertir froidement, brutalement sa femme. Il faut que j'empêche cela.
Et, s'introduisant dans le Caveau des morts derrière les gens de police, il se cacha sous l'une des nombreuses civières déposées dans la première salle et attendit que ceux-ci fussent partis.
Dès que le gardien les eut reconduits, sa lumière à la main, jusqu'au seuil de la porte et se fut barricadé, Tony, pour ne pas l'effrayer, se mit à tousser légèrement.
Le gardien dressa la tête.
Tony recommença un peu plus fort.
Le gardien entra dans la loge ou reposait sa femme et dit à celle-ci:
—Écoute donc.
Tony eut un gros rhume. La gardienne dit:
—Est-ce que ce monsieur qu'on vient d'amener ne serait pas mort? Veux-tu que je me lève?
Il faut croire que cette excellente femme n'avait pas une foi très grande dans la bravoure de son époux; mais le commis de mame Toinon l'ayant entendue faire cette réflexion et voulant lui épargner la peine de prendre froid, sortit de sa cachette et se montra timidement à la porte de la loge.
—Au secours! s'écria le gardien.
—N'ayez pas peur, dit Tony, je ne vous veux que du bien.
—Eh! il a l'air gentil, ce petit-là, fit la gardienne... Écoute-le donc pourvoir.
Après leur avoir raconté comment il se trouvait devant eux, le commis à mame Toinon ajouta:
—Je connais le gentilhomme qu'on vient de placer dans le Caveau.
—Eh bien, grommela le gardien, ce n'est pas à cette heure-ci qu'on fait les déclarations.
—Aussi ne suis-je pas venu pour en rédiger une.
—Qu'est-ce que vous demandez alors?
—Pour des raisons particulières, il ne faut pas que la femme de ce gentilhomme, madame la marquise, soit informée de sa mort avant que je vous le dise.
—Comment, c'est un marquis! s'écria la gardienne.
—Et très riche! répondit Tony. Je vous promets, au nom de sa femme, une forte somme si vous vous arrangez de façon qu'on ne reconnaisse pas le cadavre avant demain à midi. Songez donc, on le lui porterait. Jugez de la douleur de la pauvre femme qui croit son mari en parfaite santé.
Et Tony donna de si excellentes raisons, sentimentales et pécuniaires, que le gardien, et la gardienne, dans l'espérance de faire une bonne affaire en même temps qu'une bonne action, lui promirent tout ce qu'il voulut.
—Alors une dernière prière, ajouta le jeune homme. Permettez-moi de le voir ce soir.
—Ça, c'est plus facile que le reste, dit le gardien, qui commençait à exagérer l'importance de ses services pour être mieux récompensé.
Et il fit pénétrer le jeune ami du marquis dans le Caveau des Morts.
Sur une dalle de pierre, à côté de cinq ou six autres cadavres, reposait l'infortuné dont Tony possédait le secret.
Pâle et blême, les yeux encore ouverts, le marquis avait, dans la mort, une expression de douceur et de beauté qui impressionna vivement le témoin de sa dernière heure.
Tony, d'abord, lui ferma les yeux, puis l'embrassa et s'agenouilla.
Quelle inspiration d'en haut lui vint pendant sa courte prière? Nous ne saurions le dire. La vérité est qu'en se relevant, le jeune homme s'écria:
—Monsieur le marquis, je demandais qui protégerait votre veuve et qui vous vengerait. Eh bien, ce sera moi!
Et Tony, étendant la main sur le cadavre, ajouta solennellement:
—Je le jure!!!
Puis il déposa un dernier baiser sur le front du gentilhomme, remercia de nouveau le gardien et sortit.
Un quart d'heure après, Tony entrait chez mame Toinon et lui disait:
—Je veux aller à l'Opéra!...
La costumière jeta un cri de joie, sans avoir le soupçon des graves événements que cette soirée allait préparer, et se hâta tellement qu'elle ne vit pas même son commis serrer le coffret qu'il portait, dans un vieux bahut dont il avait la clef...
X
LE PREMIER BAL DE TONY
Le bal de l'Opéra était, en ce temps-là, le rendez-vous de la cour et de la ville.
Les femmes de qualité, les grands seigneurs s'y pressaient.
Les abords de l'Opéra, alors situé où se trouve à présent le théâtre de la Porte-Saint-Martin, étaient, ce soir-là, dès minuit, encombrés de litières, de carrosses et d'une foule compacte de masques.
Deux litières arrivèrent à peu près en même temps et s'arrêtèrent devant le péristyle.
Deux jeunes femmes et un homme, ce dernier paraissant âgé et très embarrassé de sa personne, sortirent de l'une. Un jeune homme et une ronde commère sortirent de l'autre.
Les deux jeunes femmes et leur suivant portaient des costumes villageois que reconnurent la ronde commère et le jeune homme qui l'accompagnait.
Car ces costumes provenaient de la boutique de mame Toinon, et le jeune homme en question n'était autre que notre ami Tony.
Mais Tony était métamorphosé. Au lieu de son habit de