Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail

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Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris - Ponson du Terrail

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était poudré à frimas, portait l'épée en verrouil, le tricorne sous le bras et avait tout à fait l'air et les façons d'un vrai gentilhomme.

      Pour tous ceux qui le virent entrer, Tony était un jeune seigneur débauché qui dédaignait de se déguiser et s'en venait promener à l'Opéra sa jolie figure, à seule fin d'y faire des conquêtes.

      Quant à la femme à laquelle il donnait la main, on a déjà reconnu mame Toinon.

      Mame Toinon s'était déguisée en marquise.

      Elle avait les bras nus ainsi que les épaules, un tout petit masque sur le visage, un masque qui, ne cachant presque rien, laissait admirer les dents, pétiller le regard, s'arrondir le sourire.

      Tony la conduisit triomphalement dans la salle.

      Mame Toinon le regardait et le trouvait charmant.

      —Tu es un vrai gentilhomme, lui dit-elle.

      Tony soupira.

      —Et je vais être fière de danser avec toi.

      —Déjà? fit-il naïvement.

      Ce mot impressionna douloureusement la sensible costumière.

      —Comment! dit-elle, tu veux me quitter?

      —Non, mais...

      —Ah! c'est que je suis un peu jalouse de mon cavalier, moi...

      Et mame Toinon montra ses dents blanches, épanouit son sourire, et, pour la première fois sans doute, enveloppa son ami d'une oeillade assassine.

      —Patronne, dit tout bas Tony, je suis prêt à vous faire danser... Tenez, justement on organise un menuet là-bas.

      Mame Toinon prit la main que lui offrait son commis et dit tout bas:

      —Garde-toi bien de m'appeler patronne; puisque nous jouons aux gens de qualité, il faut en avoir les façons. Tu m'appelleras baronne.

      —Et vous, comment m'appellerez-vous?

      —Moi, je t'appellerai chevalier. Viens.

      —Ah! pardon, dit Tony, je vous ai dit que j'allais vous faire danser...

      —C'est convenu.

      —Mais à une condition...

      —Comment, petit drôle? dit la costumière, tu me fais des conditions à présent...

      —J'ai un devoir à remplir.

      —Lequel?

      —Il faut que j'exécute un article du testament du marquis de Vilers.

      —Quel est-il?

      —C'est un secret, patr... baronne, je veux dire.

      La prétendue baronne n'eut point le temps de répondre, car l'orchestre la contraignit à se mettre en place.

      Précisément, l'une des deux bergères, qui étaient entrées au bal en même temps que Tony et madame Toinon, donnait la main à un officier des gardes-françaises et se trouva faire vis-à-vis à la costumière et à son commis.

      Le menuet commençait.

      Tout en dansant, Tony dévorait des yeux la danseuse et se demandait:

      —Est-ce elle ou sa compagne qui est la marquise de Vilers?

      Il lui vint une inspiration.

      Au moment où il dut, pour obéir aux lois du menuet, changer de danseuse et quitter mame Toinon pour sa cliente, il dit tout bas à cette dernière:

      —Vous souvenez-vous de Fraülen?

      Soudain l'inconnue tressaillit, se troubla, et Tony sentit sa main trembler dans la sienne.

      Il était fixé.

      —Fraülen, murmura la pauvre femme d'une voix émue. Vous avez entendu parler de Fraülen?

      —Et du marquis de Vilers...

      Elle tressaillit de nouveau et regarda cet adolescent au charmant visage, au doux sourire un peu triste, au regard plein de mélancolie.

      —Qui donc êtes-vous? fit-elle avec plus de curiosité que d'effroi.

      —Un ami...

      —Votre nom?

      —Le chevalier Tony, répondit le commis hardiment.

      —Vous connaissez mon mari?

      —Oui.

      —Est-il ici?

      —Non, et c'est lui qui m'envoie.

      —Mon Dieu! fit la marquise avec inquiétude, où donc est-il?

      —A Versailles, chez le ministre.

      —Mais il reviendra cette nuit?

      —S'il le peut...

      —Et il vous envoie?

      —Pour vous rassurer, madame.

      Tony ne put en dire davantage; une nouvelle figure le sépara, et il rejoignit mame Toinon.

      Le menuet fini, un flot de masques passa entre Tony et la marquise, qui se perdirent de vue un moment.

      Un mousquetaire, qui venait au bal en quittant son service, charmé par les belles épaules, le léger embonpoint et le pied finement cambré de mame Toinon, papillonnait autour d'elle et lui disait mille galanteries.

      Tony profita de la circonstance pour abandonner mame Toinon et se mettre à la recherche de la pauvre veuve.

      Mais la foule était nombreuse, difficile à fendre, et notre jeune héros erra pendant un bon quart d'heure avant d'avoir aperçu celle qu'il cherchait.

      Tout à coup, un homme dont le visage était découvert et qui portait un manteau rouge, passa près de lui.

      Tony le reconnut sur-le-champ.

      C'était ce gentilhomme qui avait tué l'infortuné marquis. C'était le comte Gaston de Lavenay.

      —Il doit chercher la marquise, pensa Tony.

      Et il se mit à le suivre. Il le vit errer à travers le bal, puis s'arrêter soudain.

      Il s'arrêta aussi. Le comte fit tout à coup quelques pas en avant et salua. Il était en présence de la marquise de Vilers, dont le masque s'était détaché un instant, et qu'il avait aussitôt reconnue, bien que ne l'ayant pas vue depuis quatre longues années.

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