Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail
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Читать онлайн книгу Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris - Ponson du Terrail страница 19
—Monsieur!... fit la marquise, je ne vous connais pas.
—Nous allons, si vous le permettez, renouer connaissance. Je suis le comte de Lavenay, et vous êtes la marquise de Vilers.
La pauvre femme jeta autour d'elle un regard éperdu; elle semblait chercher un appui. En vérité, elle ne se souvenait plus de lui. Nous savons que le marquis ne lui avait jamais parlé du serment qui le liait aux Hommes Rouges, et, comme leur souvenir lui était exécrable, il avait toujours évité de prononcer leurs noms. La marquise pensait avoir uniquement affaire à l'un de ces hommes de plaisir, qui fréquentent l'Opéra, et ne se souciait nullement d'être l'héroïne d'une aventure de bal.
—Ah! marquise, reprit le comte, vous conviendrez que j'ai mis une certaine discrétion à ne point troubler votre lune de miel.
—Monsieur!...
—Cependant, deux de mes amis et moi, nous désirerions avoir un certain billet que nous vous avons confié un soir à Fraülen...
A la demande du comte, la mémoire revint à la marquise qui, ne sachant pas qu'elle avait devant elle l'un des plus grands ennemis de son mari, répondit légèrement:
—Oh! monsieur, excusez-moi. Le billet confié à Fraülen?... Vous me rappelez une bien lointaine histoire.
—Avez-vous au moins gardé ce billet?
—Non, certes. Je n'y pensais plus, quand un jour monsieur de Vilers l'a trouvé par hasard dans mon bonheur du jour...
—Il l'a ouvert?
—Parfaitement, puis l'a jeté au feu avec colère. Je me souviens même que jamais il n'a voulu me dire ce qui l'avait offensé dans ce papier. Mais venez le lui demander demain. Il sera peut-être moins discret avec vous.
—Votre mari ne nous dira rien, madame ricana le comte.
—Et pourquoi?
Le comte eut un sourire étrange et sans doute il allait ajouter:
—Votre mari ne nous dira rien, madame, parce qu'il est mort, parce que je l'ai tué!
Mais il n'en eut pas le temps.
Tony, qui était devenu, nous l'avons dit, un homme, Tony, qui n'avait pas cessé de se tenir auprès de la marquise et avait tout entendu, se dressa sur la pointe des pieds et jeta son gant au visage du comte.
—Vous êtes un lâche! dit-il.
Le comte, stupéfait, anéanti par une semblable insulte, étouffa un cri et fit un pas en arrière.
Puis il regarda son agresseur.
Tony n'était qu'un enfant, mais il avait l'oeil étincelant, les lèvres pâles, et il appuya la main sur la garde de l'épée qu'il portait pour la première fois, avec tant de fierté et de résolution que le comte de Lavenay comprit qu'il avait devant lui un adversaire sérieux.
—Vous êtes un lâche, répéta froidement Tony.
La marquise reconnut son vis-à-vis de tout à l'heure.
—Ah! chevalier, dit-elle, éperdue.
Ce titre qu'elle donnait à Tony acheva de faire illusion.
Le jeune Tony était beau; il était bien tourné; il portait galamment son habit de gentilhomme.
Le comte ne douta pas un instant qu'il eût affaire à un homme parfaitement né.
—Ah! mon petit monsieur, dit-il, je vais vous couper les oreilles sur l'heure.
—Venez donc, dit Tony, et priez Dieu qu'il vous rende la peau bien dure!
Il jeta un regard protecteur à la marquise et sortit, fier et hautain, sur les pas du comte, en se félicitant d'avoir décidé Joseph à venir au bal. Il le rencontra à quelques pas de l'endroit où s'était passée cette scène et lui confia la marquise.
Mame Toinon n'avait rien vu, rien entendu.
Elle était tout entière aux galanteries du mousquetaire qui lui donnait le titre de baronne.
XI
LES TERREURS DE MAME TOINON
Le comte et Tony gagnèrent la porte, quittèrent l'Opéra et s'en allèrent jusqu'au premier réverbère; là, le comte tira son épée.
Tony l'imita.
Mais, avant de tomber en garde, le comte regarda de nouveau son jeune adversaire.
—C'est singulier, dit-il; je ne vous ai jamais vu!...
—Je vous connais, moi, répondit Tony.
—Qui êtes-vous?
—Peu vous importe!
—Cependant...
—Faut-il vous répéter, une fois de plus, que vous êtes un lâche?
Le comte rugit.
—Un lâche et un assassin!...
—En garde, donc! s'écria le comte hors de lui.
—Je suis l'exécuteur testamentaire du marquis de Vilers, que vous avez tué ce soir, dit Tony en croisant le fer, et je me suis juré de vous tuer, vous, Maurevailles et Marc de Lacy!...
Et Tony, qui n'avait jamais touché une épée et se trouvait en présence de l'un des bretteurs les plus renommés de ce temps, Tony fondit sur son adversaire avec cette impétuosité, cette vaillance brutale de ceux qui n'ont point été initiés aux galantes finesses de l'escrime... Aussi, avec son inexpérience et sa jeunesse, semblait-il prédestiné à trouver la mort dans ce combat qu'il avait provoqué.
Le comte Gaston de Lavenay était un tireur habile et prudent qui s'était fait une réputation terrible dans les gardes-françaises.
C'était lui qui avait tué le marquis Van Hop, un Hollandais fameux, qui longtemps, à Versailles, avait semé l'effroi parmi les gentilshommes.
Tony allait donc mourir.
Cependant mame Toinon, qui avait un peu perdu de vue le sort de son client, le pauvre marquis de Vilers, et qui n'était venue à l'Opéra que pour s'y amuser très consciencieusement, mame Toinon, disons-nous, s'était longtemps complue à écouter les paroles du beau mousquetaire, qui persistait à la considérer comme une femme de qualité.
Mais, au bout d'une demi-heure, après avoir dansé et valsé, la costumière se prit à songer à Tony.
Où était-il?
Elle le chercha longtemps à travers le bal, et, pour la première fois peut-être, elle éprouva un bizarre sentiment de