Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail
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Читать онлайн книгу Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris - Ponson du Terrail страница 16
—Et l'intendant?
—Je l'ai acheté à prix d'or. Il favorisera notre fuite.
—Eh bien, lui dis-je, cela tombe à merveille, car, démon côté, j'ai tout préparé.
—Vraiment?
—J'ai loué une barque pour descendre le Danube. Elle est montée par deux Bulgares.
—Mais, me dit-elle, si nous descendons le Danube, où irons-nous?
—En Turquie d'abord, afin qu'on perde nos traces.
—Et puis?
—En France.
—Oh! Paris, me dit-elle avec un naïf enthousiasme, Paris!... le paradis eu ce monde! c'est là que je veux vivre.
Je ne quittai Haydée que vers trois heures du matin, comme la nuit précédente.
Le lendemain, le comte partit pour Vienne, et sa prétendue fille monta dans une litière avec sa gouvernante.
A une lieue de Fraülen, la litière s'arrêta.
En cet endroit la route côtoyait le Danube et une barque était amarrée dans les roseaux.
Quatre hommes montaient cette barque, moi et mon domestique, déguisés toujours en paysans hongrois, et deux mariniers bulgares.
L'intendant consentit à s'en aller, et la jeune fille et sa gouvernante s'assirent dans l'embarcation.
Nous descendîmes le Danube jusqu'à la mer Noire.
Là nous trouvâmes un navire de commerce français qui faisait voile pour le Bosphore.
Deux mois après, nous débarquions à Marseille, et huit jours plus tard nous arrivions à Paris.
Vous me permettrez, mon ami, de vous résumer en quelques lignes ma vie tout entière à partir de cette époque. J'étais parjure avec mes amis, et, malgré toutes les précautions que j'aie pu prendre, ils ont su que je les avais trahis et que j'avais enlevé Haydée.
Longtemps mariés secrètement, nous avons vécu ignorés.
Malheureusement, un jour, nous eûmes la folie de penser que ni Marc de Lacy, ni Maurevailles, ni Lavenay, à quatre années de distance, ne reconnaîtraient dans mademoiselle Haydée de Tresnoël, devenue marquise de Vîlers, la jeune comtesse hongroise de Mingrélie.
J'annonçai publiquement mon mariage, et nous vînmes habiter mon hôtel de l'île Saint-Louis.
Mais, il y a huit jours, j'ai reçu la lettre suivante, que je transcris textuellement:
«Marquis,
«Te souviens-tu de Fraülen?
«D'abord nous t'avons soupçonné de nous avoir trahis et d'avoir enlevé la comtesse Haydée.
«Aujourd'hui nos soupçons se sont changés en certitude, et tu peux t'attendre à notre visite.
«Nous avons fait un nouveau serment, nous, tes anciens amis: le serment de te tuer.
«Gaston de Lavenay part le premier pour Paris.
«Attends-le sous huit jours.
«Après Gaston, ce sera Marc; après Marc, ce sera moi.
«MAUREVAILLES.»
Je les connais, ils viendront. Je les attends!...
C'est une fatalité, mon ami; mais je n'ai plus qu'un moyen de vivre tranquille avec ma femme et sa jeune soeur qui était restée à Paris et que nous avons attirée auprès de nous, c'est de tuer ces trois hommes l'un après l'autre...
Haydée ne sait rien.
Là finissait le manuscrit, qui ne portait plus qu'une signature, celle du marquis de Vilers.
Pendant un moment, le commis de mame Toinon demeura comme stupéfait.
Les pages qu'il venait de lire avaient produit sur lui une si vive impression qu'il se demanda tout d'abord s'il ne rêvait pas.
Puis sa jeune imagination s'éveilla. Il se sentit devenir homme. Il pensa:
—Pour avoir été si ardemment aimée par ces quatre officiers, cette comtesse Haydée, aujourd'hui marquise de Vilers, est donc bien belle? Qui la protégera maintenant? Et ce pauvre marquis que j'ai vu mourir, qui le vengera? Qui défendra sa mémoire? Où le trouver, ce baron de C... à qui est adressé le manuscrit?
Et, tout à coup, Tony, qui se prenait au sérieux, se frappa le front et s'écria:
—En attendant, monsieur de Vilers est abandonné là-bas dans la boue de la place Royale.
Et vite il ouvrit la porte de la pièce en emportant le coffret.
Dans le corridor, il rencontra Joseph, le brave valet de chambre, qui s'essuyait les yeux et faisait des efforts inouïs pour ne pas sangloter.
—Du courage! lui dit-il.
—Ah! mon jeune ami, lui répondit celui-ci, il faut en avoir de reste pour savoir ce que je sais et faire ce que je fais. Il était si bon, mon pauvre maître, si vraiment gentilhomme! Quand, afin d'obéir à sa dernière volonté, j'ai porté vos costumes à ma maîtresse pour ce bal où elle doit se rendre, il me semblait à chaque instant que les larmes allaient me trahir. Ah! vous n'avez pas besoin de me recommander d'avoir du courage. Je vous jure que j'en ai.
—Eh bien, reprit Tony, il vous en faudra un plus grand. Vous comprenez bien que deux honnêtes femmes ne peuvent aller toutes seules au bal de l'Opéra. Mon pauvre Joseph, mettez le costume que votre maître aurait pris et accompagnez-les.
—Mais vous voulez donc que je meure en route?
—Je ne veux rien, dit Tony. Je n'ai le droit de rien vouloir. Je vous prie seulement de veiller sur celle que son mari ne peut plus protéger.
Et ces mots furent prononcés sur un ton si simple et à la fois si convaincu que le vieux valet de chambre répondit:
—C'est juste. Quand le maître n'est pas là, il faut que le chien de garde y soit. Je ferai ce que vous dites, mon ami.
—Eh bien, à demain, reprit Tony. Ainsi que le marquis m'en a prié, je viendrai apprendre à la marquise la terrible nouvelle... après qu'elle aura goûté le dernier plaisir souhaité devant lui.
Sur ces mots, le jeune homme s'éloigna et se dirigea vers la place Royale. Il voulait faire déposer jusqu'au lendemain chez mame Toinon le cadavre du marquis.
A son grand étonnement, la place, toujours déserte à cette heure, était pleine de monde. L'hôtel près duquel le marquis avait été frappé était éclairé et ouvert; de nombreux groupes causaient sur le pas de la porte.
Tony