Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris. Ponson du Terrail
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Читать онлайн книгу Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris - Ponson du Terrail страница 23

Le misérable, occupé à bâillonner Joseph, ne s'était pas aperçu de l'arrivée du jeune homme.
Celui-ci s'esquiva sans bruit et courut vers l'hôtel.
Comme il allait franchir la porte, une ombre se dressa devant lui.
C'était encore un homme drapé dans un manteau pareil à celui du premier.
C'était le deuxième des Hommes Rouges!...
Il barra le passage à Tony. Mais le commis à mame Toinon avait en ce moment la force et le courage d'un lion. Que lui importait le péril?... Il voulait passer!
D'un coup d'épaule, il culbuta l'ombre qui tentait de lui barrer le passage.
Puis, les yeux étincelants, les narines gonflées, les tempes battant la fièvre, il s'élança dans l'hôtel.
L'homme qu'il venait de renverser s'était relevé et s'était mis à sa poursuite.
Qu'est-ce que cela faisait à Tony?
Tony s'était promis d'arriver jusqu'à la marquise!
Et il fallait qu'il y arrivât, malgré les murs, malgré les grilles, malgré les Hommes Rouges et leurs spadassins et leurs suppôts.
Et, vive Dieu! s'il était besoin d'engager une lutte, il l'engagerait!... Mame Toinon n'était pas là!
Tony ne se connaissait plus. Le feu de la bataille l'avait embrasé; il lui semblait entendre mille clairons sonnant la charge.
Comme les volontaires en sabots qui, quarante ans plus tard, devaient enlever à la baïonnette, au chant de la Marseillaise, les batteries de la vieille armée allemande, il sentait quelque chose qui l'emportait malgré lui.
Il eût, à ce moment, sans reculer d'une semelle, engagé la lutte contre tout un régiment.
A peine avait-il franchi le vestibule, qu'il aperçut le troisième des Hommes Rouges qui, cherchant comme lui, sans doute, à arriver aux appartements de la marquise, hésitait entre deux couloirs.
Tony s'élança vers lui. L'homme tira son épée.
Mais le jeune mousquetaire de l'Opéra avait, lui aussi, une épée au côté, une épée qui brûlait de prendre une revanche et qui sortit toute seule du fourreau.
L'arme haute, il fondit sur l'Homme Rouge.
Celui-ci, stupéfait de cette brusque attaque, rompit d'un pas.
L'autre Homme Rouge arrivait; Tony, bondissant en arrière, lui cingla le visage du revers de sa rapière, dont il se servait comme d'une cravache.
Le nouveau venu poussa un juron énergique et dégaina à son tour.
Le pauvre Tony était pris entre deux lames menaçantes.
Il était perdu.
Que pouvait-il faire, en effet, contre ces deux hommes que toute l'armée avait connus comme les plus habiles bretteurs de l'entourage du maréchal de Belle-Isle?
Mais s'il fallait mourir, au moins Tony mourrait bravement, et en donnant, lui aussi, la mort. Se jetant dans une encoignure, il attendit de pied ferme l'attaque de ses ennemis.
Il en vit venir en effet un encore, celui-là même qui tout à l'heure bâillonnait Joseph.
Seulement l'arrivant, au lieu de sembler prêt à tirer l'épée, avait au contraire l'air consterné.
Il dit:
—On vient d'enlever la marquise!
A ces mots, il y eut comme une trêve entre les trois adversaires abasourdis.
—Enlever la marquise! s'écrièrent-ils ensemble.
—Et dans ma propre voiture! répondit le nouveau venu.
—L'enlever! mais qui donc alors? murmura Tony.
Les Hommes Rouges étaient non moins stupéfaits que lui.
Le carrosse qu'ils avaient amené pour enlever la marquise avait servi à un autre!...
Quel pouvait être cet autre qui était venu ainsi se jeter si fatalement dans leurs brisées?
Comment avait-il su que le carrosse était là tout prêt, tout disposé pour une longue route?
Un instant, l'idée leur vint que ce courtaud de boutique, qui se mêlait de leurs affaires, était peut-être l'auteur de leur mésaventure.
Mais il n'y avait qu'à regarder Tony pour se convaincre de sa parfaite innocence et même de l'abattement dans lequel l'avait plongé le mystère qui venait de s'accomplir. On ne joue pas ainsi, à un tel âge, le désappointement, le trouble, la peur de l'inconnu.
Sans plus s'occuper de lui, qui semblait hébété sur le siège où la surprise l'avait cloué, les trois amis quittèrent donc cet hôtel où ils n'avaient que faire.
Leurs chevaux, gardés par des palefreniers, les attendaient sur le quai, non loin de l'hôtel de Vilers.
Les Hommes Rouges se mirent en selle.
—Et maintenant avisons vite, dit Lavenay.
—Séparons-nous et poursuivons le ravisseur, proposa Marc de Lacy.
—Mauvais moyen, murmura Maurevailles.
—Mais avec nos palefreniers, nous sommes six. En allant de six côtés différents...
Maurevailles l'interrompit:
—Peux-tu me jurer que le carrosse ne passe pas en ce moment par l'un des cent autres côtés? Or, dans notre situation, il ne faut point courir la chance; on ne l'attrape jamais.
—Connaîtrais-tu donc le moyen certain de retrouver la marquise?
—Hé! laisse-moi le chercher, fit Maurevailles avec impatience.
Et, pendant quelques minutes, les trois cavaliers, dont les palefreniers se tenaient respectueusement à distance, se creusèrent le crâne pour y trouver l'expédient sauveur.
Rien, ils ne trouvaient rien!
Ah! Tony aurait beau jeu si, au lieu de rester anéanti sur son siège, dans la salle abandonnée de l'hôtel de Vilers, il se donnait la peine de chercher!
Mais Tony, le pauvre Tony était comme mort, épuisé par tant d'événements divers.
La veille seulement, à ce mot: «On enlève la marquise!» il n'eût pas hésité à s'élancer par la fenêtre. Guidé par le bruit des roues du carrosse, qui alors n'eût pas eu le temps de s'éloigner, il se serait cramponné à l'une des portières. Qui sait ce qu'il eût fait!