Études: Baudelaire, Paul Claudel, André Gide, Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgsky, Debussy…. Jacques Rivière

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Études: Baudelaire, Paul Claudel, André Gide, Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgsky, Debussy… - Jacques Rivière

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grands artistes sont en face de leur œuvre comme d'une étrangère; ils n'en prévoient pas du premier coup toutes les démarches; ils l'épient se développer; ils la découvrent peu à peu passionnément. Matisse veut imiter cette ignorance merveilleuse, que sa trop nette conscience lui refuse; il espère la créer en lui artificiellement, en s'écartant de ce que lui impose sa nécessité intime, en choisissant une voie qui ne soit point celle qu'éclaire d'abord la perspicacité de sa vision. Mais, par ce geste de volontaire aveuglement, il échappe en même temps à sa spontanéité; il n'est plus poussé par rien, et l'on est gêné de ne sentir en ses toiles la dictée d'aucune obligation.

      La gratuité de cette peinture se décèle à son caractère abstrait. Matisse peint à part des choses; non pas sans les regarder, mais en se retirant d'elles à quelques pas. Il recueille la sensation qu'elles lui donnent, l'emporte et, s'étant éloigné, la déplie soigneusement; elle est ample toujours, car il sait voir et le monde est pour lui le déroulement d'une étoffe épaisse et chargée. Mais parmi cette sensualité l'esprit s'insinue; il défait sa richesse contractée; il la clarifie, il l'épure, il l'articule, il la distille jusqu'à faire évanouir tout ce qui est lourd, trouble et charnel, tout ce qui manque à être rare. Puis, lentement, avec une complaisance protectrice, il recompose des images toutes dépouillées et subtilisées, toutes abstraites, bien qu'y tressaille encore parfois quelque lambeau de la sensation primitive.—Il est des peintres qui transposent d'un seul coup, sans l'analyser, leur sensation et qui en cherchent tout de suite dans un jet coloré l'équivalent plastique; il en est d'autres qui travaillent en plein isolement des choses, n'imitant sur la toile que les fantômes de leur pensée. Matisse se distingue des uns et des autres: il puise dans la réalité la matière de spéculations picturales. De cette sorte d'abstraction découlent, joints dans une même conséquence, les qualités et les défauts de sa peinture.

      La couleur de Matisse brille d'une splendeur intellectuelle. Elle a l'éclat muet de ces éblouissements qui naissent soudain dans l'esprit. Elle n'est pas dense comme les choses; elle ne pèse pas; mais elle recouvre la toile de sa minceur mate, elle répand en une fine couche sa nette et violente richesse. Elle est immobile comme la pensée dont elle imite le fixe éclair; elle ne palpite pas parce que rien n'est pris sous elle qui respire; elle est un extrait étincelant et inerte. Le meilleur témoignage de son origine artificielle, c'est sa rareté sans faiblesse; elle ne cesse jamais d'être incomparable et Matisse préfère laisser des blancs plutôt que de les combler sans trouvailles. Ainsi se déroule, toujours parfaite et inanimée, cette couleur qui ne souffre pas de se laisser troubler par la terne effusion du réel.—Les Natures Mortes sont les meilleurs de ces tableaux: en effet le sujet déjà en est abstrait: les objets sont choisis et groupés selon leur importance picturale; et par cette adaptation préalable du modèle à sa future image, l'arbitraire est atténué. De plus dans les Natures Mortes, Matisse, l'ayant préparée à son gré, s'abandonne à sa sensation avec plus de confiance; il se laisse aller à la transcrire plus textuellement, il est gagné par la volupté que recèlent les choses; sa couleur se fait plus sourde, plus lourde, plus gorgée de matière.

      Cependant il n'est sensuel que par accident, presque malgré lui. Quand il dessine, il redevient tout abstrait. Son dessin ne s'attache pas aux objets; il ne les déforme pas non plus pour les rendre plus expressifs; il n'est ni réaliste, ni lyrique: il se comporte à la façon d'une idée. Une idée est d'abord une certaine forme vide; on ne discerne pas son contenu; elle est l'attitude de l'indistinct; mais peu à peu elle se précise, c'est-à-dire qu'elle se multiplie intérieurement, que des détails, au dedans d'elle, viennent commenter sa généralité. De même dans la conformation du châssis ou de la feuille de papier qu'il adopte, Matisse, tout de suite, démêle une indication, dont son dessin va être le développement. En effet, le dessin naît peu à peu sous l'influence du cadre; il s'enroule au centre dans la position que lui suggèrent les dimensions extérieures; les lignes se compensent, se rappellent, expriment, chacune à un degré différent de complexité, le thème d'ensemble et font servir leur dissemblance elle-même à accentuer la même idée. C'est une variation complaisante; avec volupté les traits de fusain inscrivent les correspondances et les balancements, rythment l'équilibre, répètent les droites en courbes parentes. Ainsi le tableau s'imite lui-même en se multipliant au-dedans. Mais ses détails les plus particuliers toujours dérivent du schème initial et ils en gardent le caractère abstrait.—Souvent ce dessin atteint une grâce sévère et exquise, comme dans La Coiffeuse ou dans La Musique. Souvent aussi il a l'absurdité de la logique; n'étant pas embarrassé ni retenu par la réalité, il déploie une gratuite barbarie, comme dans le Nu à l'écharpe blanche.

      Mais même quand il est beau, il ne suffit pas à rendre belle la toile; en effet jamais à sa qualité les qualités de la couleur ne s'unissent. Matisse semble vouloir n'employer que séparément sa couleur et son dessin: il refuse de les concilier en un tableau complet; pas une fois il n'a réalisé une œuvre pleine.—C'est qu'il ne veut peindre que les aboutissements; il néglige tout ce qu'un sujet a de commun avec les autres, il attend, pour intervenir, jusqu'au dernier moment, celui de la divergence; il faut, avant qu'il pose la première touche, que tout le passé d'abord ait été sous-entendu. Nous découvrons ici l'erreur où l'engage son abstraction. Comme il travaille à part des choses, il ne voit en elles que les invitations à la diversité: chaque spectacle tend à différer de tous les autres; Matisse épouse sa tendance, la prolonge en lui-même jusqu'à la séparation effective.—Une toile est pour lui non pas une image de la réalité, mais une spéculation plastique; aussi faut-il la rendre aussi solitaire que possible, sans précédent et sans analogie. C'est pourquoi elle sera poussée tout entière dans un sens; c'est pourquoi le peintre ne lui consacrera qu'une partie de ses moyens.—La diversité de ces tableaux déconcerte, parce qu'elle est la diversité de la parcimonie, non celle de la richesse.

      Si Matisse consentait à s'enfermer dans l'obligation des choses, s'il voulait attendre de sa soumission son originalité, peut-être l'obtiendrait-il plus précieuse. Les objets réels ne revêtent leur différence qu'après avoir patiemment ressemblé à tous les autres. Il leur faut longtemps se confondre avant d'arriver à se distinguer. Mais aussi leur individualité n'est-elle pas simplement de surface et, dans l'aspect unique qui naît à la fin sur leur visage, c'est leur profondeur qui aboutit, c'est tout leur être qui s'exprime.

      1910.

       Table des matières

      Voici un peintre que n'inquiète aucune littérature. Elève du plus métaphysicien des maîtres, de Gustave Moreau, il veut oublier toutes les leçons de sagesse et d'abstraction qu'il a reçues, pour n'être plus qu'un grossier, fiévreux et puissant artisan. On ne rira pas des images brusques qu'il façonne, si l'on sait voir toute la science ouvrière qu'elles décèlent; elles sont un produit de la connaissance la plus étroite, la plus retorse et la plus sûre de la matière plastique.

      Rouault est aux prises avec la forme comme avec quelqu'un. Il se débat avec elle dans une lutte interminable qui jamais ne devient un triomphe. Il ne cesse d'être auprès d'elle en inquiétude et en sursaut. C'est qu'il ne la voit pas immobile et parfaite, toujours prête à se laisser caresser, attitude docile à toutes les empreintes. La forme qu'il considère n'est pas ce contour des choses que l'on constate avec la paume de la main. Elle est cachée sous l'enveloppe, elle est repliée au centre de l'être, toute farouche. Rouault d'abord s'attache au modèle, le circonvient d'un travail obéissant, le sollicite de toute son application. Mais ce n'est que pour le provoquer au jaillissement. Et soudain voici s'échapper le geste vif et secret qu'il épiait, la détente intérieure. La forme est devant lui frémissante, fuyante, semblable à une bête levée qui détale, qui va avoir disparu tout de suite.

      Il faut la saisir. Rouault prend de la matière pour l'y fixer, tandis qu'elle bondit. Sans

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