Études: Baudelaire, Paul Claudel, André Gide, Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgsky, Debussy…. Jacques Rivière

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Études: Baudelaire, Paul Claudel, André Gide, Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgsky, Debussy… - Jacques Rivière

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target="_blank" rel="nofollow" href="#ulink_4fb7c61f-2e3b-5273-bf10-07b29d76dd08">[21] Une Martyre, p. 311.

      Car j'eusse avec ferveur baisé ton noble corps,

       Et depuis tes pieds frais jusqu'à tes noires tresses

       Déroulé le trésor des profondes caresses,

       Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort

       Tu pouvais seulement, ô reine des cruelles!

       Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.

       (Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive, p. 133.)

      Même il se complaît dans cette préférence de la faiblesse. Elle devient une sorte de culte du mal, une attitude appliquée, le satanisme.

      Mais ne nous a-t-il pas donné assez de chefs-d'œuvre pour que nous puissions oublier quelques vers de mauvais goût sur le charme du crime et les vertus de Beelzébuth? Erreurs dont au reste la responsabilité pour une grande part incombe aux contemporains du poète.

       DES PEINTRES

       Table des matières

       Table des matières

      "C'est un auteur difficile", disait Maurice Denis. D'abord il semble froid. Tout dans ces toiles est si parfaitement défini. Ingres ne nous demande jamais de le deviner, de reprendre sa tâche, de la compléter avec notre regard; il a tout achevé avant nous; il ne confie rien à notre invention; il nous laisse passifs. On dirait qu'il nous dédaigne un peu, que, parlant à des gens qui ne sont pas de son métier, il leur refuse le droit de collaborer, même pour une part infime, à son œuvre. Il y ajoute lui-même avec soin je ne sais quel vernis qui en interdit l'interprétation.

      Aussi sommes-nous d'abord devant ses tableaux pleins d'un contentement glacé. Voici qui est juste et louable, mais à la façon d'une belle sentence rendue par un juge incorruptible. Cette couleur, jamais on ne la trouve défaillante. Elle est nette, elle est découpée avec exactitude par ses limites; à chaque objet elle est départie avec propriété. Les reflets eux-mêmes et les transparences sont scrupuleusement établis.—Aucune vibration; et non plus cette terne et dense profondeur qu'inventa plus tard Cézanne. La peinture du Bain Turc est admirable; mais on ne la voit pas tant elle est terminée; et la hardiesse de ces nus, l'un tout vert, l'autre tout orangé, se dissimule sous la perfection du détail. Même quand la couleur force l'attention, c'est par une sorte d'acidité immobile. Les tons tiennent la toile; ils occupent, inflexibles, sa surface; ils ne faiblissent nulle part, nulle part ne s'évanouissent; ils restent.

      Cependant nous ne tardons pas à sentir que quelque chose en nous de plus profond s'est en silence à ces chefs-d'œuvre intéressé: le corps, la vie sensible; un enchantement tout bas nous entraîne, une secrète et forte volupté. Un appel vraiment nous est adressé, nous ne sommes plus exclus, répudiés, mais au contraire demandés, emmenés, séduits. Car Ingres par son dessin est le plus sensuel des peintres. Sous cette couleur tranquille il faut voir enfin les lignes délicieuses qui se dévident. On les suit avec tout son être, on les goûte jusqu'au fond de soi avec une aspiration suave. Elles ravissent jusqu'à faire perdre la pensée.

      Le dessin d'Ingres a toute la vie que dans sa couleur nous n'apercevons pas; il tient compte du mouvement des objets; non pas qu'il le traduise par des hésitations et de l'indéfini; mais il cherche à le remplacer. Il exprime la fluidité des choses en y substituant sa merveilleuse justesse décidée.

      La peinture est un moyen d'empêcher les choses de bouger.—Tout être vivant rayonne; il permet à sa forme de s'en aller de lui, elle se détache incessamment de lui comme un beau fantôme vite dissipé; et par chacun de ses gestes il délie de doux cercles invisibles qui se propagent. Le trait d'Ingres recueille partout cette grâce émanée; il l'arrête sitôt qu'elle quitte le corps, il lui laisse un peu de place, il attend son essor, puis tout de suite le contient, l'apaise. Partout il a prévenu l'onde; il lui interdit de passer jusqu'à se défaire; à toutes celles qui viennent il impose son exquise limite; il les captive et s'en augmente, il prend dans sa fixité leur mouvante vertu, il s'anime de leur évanouissement en lui.

      C'est pourquoi ce trait est si simple; toujours il se ramène à des droites et à des courbes. En effet il ne s'applique pas sur la forme, il ne la serre pas avec ignorance; il la décrit au moment où, séparée un peu de l'objet, déjà elle en oublie les retraits et les saillies. Comme dans une rivière, autour d'un plongeon confus, les ondes à mesure qu'elles s'écartent se régularisent, de même le contour des choses, sitôt qu'il les quitte, retrouve les profils idéaux de la géométrie. Le dessin d'Ingres est fait de quelques lignes parfaites. Autour du corps elles sont posées comme des arcs légers et de délicats cerceaux; elles l'entourent ainsi qu'un bras, il est au milieu d'elles comme empêché parmi les cercles de sa grâce. Elles s'ouvrent tout auprès de lui, pareilles à l'amour quand il nous tient sans parler contre sa poitrine. Elles lui déconseillent, en le baisant de leur courbe, de s'avancer plus loin.

      De la même façon s'expliquent ces déformations si hardies et pourtant invisibles. Il faut que le trait précède partout le mouvement afin de l'enfermer; il faut qu'il aille tout de suite jusqu'au bout du geste pour l'arrêter. Rien ne saurait le contenir; il dépasse doucement la mesure, mais c'est pour l'imposer. Le bras de Thétis se déroule sur la poitrine de Jupiter comme une immense tige qu'achève la haute fleur de la main; il est aussi long dans l'espace qu'il le serait dans le temps. A toute expansion il faut que le trait satisfasse. Aussi est-il partout au plus loin; avec une intelligence admirable il s'écarte, il se sépare un peu trop du centre, il feint de l'oublier, il le perd de vue; mais c'est ainsi qu'il lui garde toute la forme attachée. Il se laisse emmener un peu, il dérive un instant; mais il tourne soudain et le voici maître avec suavité du mouvement qu'il semblait suivre.—A le considérer d'un œil critique on peut trouver le dessin souvent trop large; la forme qu'il comprend ne saurait qu'avec peine le toucher partout à la fois. Il omet de compenser par un rentrant la saillie du côté opposé; le bras que dans le Bain Turc cette femme arrondit au-dessus de sa tête ne tire pas sa poitrine ni son ventre, ne les oblige pas à s'effacer et la tête renversée d'Angélique, qui fait se gonfler son cou, cependant laisse sa gorge emmenée par le geste contraire de ses longs bras captifs. C'est que le trait veut envelopper toute la diverse effusion du corps, il accompagne de toutes parts la chair heureuse qui se répand et, pour la définir à la fois partout, il s'abandonne à une belle et sage contradiction.—Nous comprenons maintenant la raison de cette couleur exacte qui d'abord nous gênait. Elle est si unie, si achevée, qu'elle efface d'abord, puis,

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