Études: Baudelaire, Paul Claudel, André Gide, Rameau, Bach, Franck, Wagner, Moussorgsky, Debussy…. Jacques Rivière
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Cependant nous exigerons désormais de Rouault une manière plus stricte. Tant de ferventes études veulent aboutir à une réalisation définitive. Il faut que leur auteur se fasse assez fort pour envelopper la forme, sans qu'elle cesse de tressaillir, d'un dessin de plus en plus serré. Guys, loin de le diminuer, augmentait le frémissement de ses figures en arrêtant leurs traits avec scrupule.—Déjà Rouault nous donne des céramiques qui sont des pièces achevées: la plénitude de ces nus assis au milieu de sourds paysages éclatants conseille d'attendre du peintre d'équivalentes beautés. Il éclairera de visages les puissants corps de femmes qu'il sait si bien dresser; il établira les fonds plus nettement: jusqu'ici il semble les obtenir en dispersant rageusement la matière colorée et en se servant de sa distribution spontanée pour représenter les divers plans du paysage. Il se rendra maître plus complètement de sa couleur et, l'employant avec plus de décision, il donnera un sens plus précis à ces grandes teintes soufrées dont traîne la lueur au fond de ses Compositions Décoratives.
1910.
GAUGUIN
Enchanteur, magicien, sophiste.
Platon.
Je le vois tel qu'il s'est peint. Sa grande figure ironique sous le bonnet dont il est coiffé, c'est celle d'un aventurier qui serait magicien. Elle est pénétrée de je ne sais quelle force mêlée de sagacité. Il est l'homme qui a découvert les secrets naturels et, parce qu'il sait s'en servir, voici dans ses traits l'intelligence comme un sourire. Il aime les choses parce que, de les comprendre, il les domine. Et, se sentant seul à posséder cet empire, il semble se taire avec connaissance.
Gauguin ouvre des paysages. Tout doucement il les fait éclore, il les laisse monter selon leur sève, pleins de suavité. Il ne les invente pas. Simplement il les dénoue et conduit leur développement avec la science du magicien. La nature, sous le pouvoir de ses yeux, prend de l'ordre. Elle se dispose spontanément. Elle devient un grand jardin vierge et soigné: les feuillages ne cessent pas d'être luxuriants, mais il semble qu'une main mystérieuse veuille plier les branches à quelque accord. Tout s'organise comme sous une insaisissable incantation. Ainsi naît un Paradis tempéré. La sagesse le parcourt, unit toutes ses parties, chante ainsi qu'un oiseau dans ses arbres, et imite tendrement sur les roses rivages les hautes vagues, courbes et calmes, de son océan de tulle bleu.
C'est dans le dessin d'abord que je démêle cet enchantement de la modération.
Parmi les tableaux de Gauguin la forme humaine s'élève pleine et droite. Le plus souvent elle est debout, dans l'attitude des végétaux et des êtres qu'inspire la nature. Cette verticalité n'est pas, comme chez Cézanne, imposée par la pesanteur, par l'appel du sol. Elle est le jet de la sève terrestre qui grandit sans détour. Un élan ingénu dresse doucement les corps.
Mais ils ne bondissent pas; ils sont sans exubérance. Ils jaillissent sans hâte. Aucune rondeur: les courbes des hanches et des épaules s'atténuent en droites; sinon elles pourraient, comme des ressorts ployés, suggérer la détente, projeter le corps au delà de lui-même. La forme ne monte qu'afin d'occuper sa place; elle s'arrête aussitôt qu'elle y est parvenue; plus rien en elle ne tend à se prolonger. Il semble qu'elle mette de l'amour à s'enfermer en elle-même. Elle s'incurve légèrement à son sommet. Le crayon suit avec volupté la close ligne de sa perfection. Le seul geste dont l'ascension ne soit par rien terminée, celui de l'homme qui cueille des fruits, il s'exténue dans le calme. Il a je ne sais quoi d'achevé, de comblé.
Ce repos, cette passivité des attitudes viennent de ce qu'elles n'ont pas besoin pour s'unir de s'incliner les unes vers les autres, de se rapprocher ni de se nouer. Une composition semble planer, invisible, au-dessus d'elles. L'accord descend sur elles et les tient ensemble. Il leur suffit d'être justes. Elles reçoivent leur sens d'en haut comme si on leur imposait les mains. De longs gestes tranquilles passent entre elles, comme ondulent des plantes dans un courant. Ils les enlacent sans les attirer, rien qu'en les désignant les unes aux autres. On peut trouver fruste d'abord le dessin large des membres: il est fait de deux lignes que mène un parallélisme sommaire. Mais si les nœuds des muscles sont dissimulés, c'est pour que rien ne détourne les yeux d'accompagner le mouvement. Toutes les simplifications, loin de chercher la barbarie, ne sont que pour l'aisance. Il y a une liaison si suave qu'elle oblige à s'apercevoir qu'on est en paix.—Parfois même ce n'est aucun geste saisissable qui allie les attitudes, mais seulement une certaine allure de l'immobilité. Par une certaine façon qu'a chaque forme de se tenir solitaire, elle rend d'elle toutes les autres responsables.
Tant d'harmonie ne peut qu'être préméditée. Gauguin n'a pas la patience crédule de Cézanne. Il n'attend pas d'obtenir des objets, à force de les copier, un accord. Dans ses paysages des lignes flexibles traversent les champs et de leur sinuosité horizontale enchaînent les arbres aux arbres. Pourtant aucune violence n'est faite à la nature. La composition se contente de l'éveiller; elle descend vers les choses, elle les touche en silence, comme on avertit de la main quelqu'un d'endormi. Puis elle les laisse se lever librement. Elle ne fait que les assister de sa présence multiple, que solliciter leur développement par sa délicatesse invisible.
Le magicien évoque les beaux fantômes vivants.
Comment discerner à quel moment la couleur de Gauguin quitte la couleur des choses pour devenir artificielle? Le passage est insensible. Par une transformation subtile elle cesse peu à peu d'être naturelle; elle se fait silencieusement merveilleuse; elle s'ouvre à l'enchantement.
Elle est sourde et fleurie. Elle s'étend en flaques claires mais comme voilées par l'absence du soleil. Ce n'est pas la profondeur de l'objet qu'elle exprime, mais son visage plein de sourire dans la diaphanéité de l'ombre. Chaque nuance s'épanouit largement, avec quiétude; elle déborde jusqu'à s'étaler et sitôt se tient muette. Elle est vive pourtant. Souvent une touche brille au cœur du tableau; mais l'ensemble est si contenu que d'abord on ne la voit pas. C'est comme une luciole dans le feuillage. Puis, soudain, voici qu'elle veillait.
En même temps qu'il atténue sa couleur, mettant je ne sais quel suspens à sa floraison, Gauguin la répartit avec soin sur la toile. De tous les tons éparpillés en multiples flocons à la surface de l'objet qu'il copie, il opère le discernement; puis il condense chacun. Leur diversité confondue se rassemble peu à peu en larges taches dont chacune représente, réuni, un des aspects épars du modèle. C'est le contraire du procédé impressionniste. Dans le contour d'un arbre les feuillages se distribuent en