Le collier des jours: Le second rang du collier. Gautier Judith
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Don Pierrot de Navarre est très heureux de son nouveau séjour: il bondit sur les pelouses, court après les papillons et s'intéresse beaucoup aux mœurs des oiseaux. Une chatte abandonnée a été recueillie et appelée Grognette. Il y a eu mariage entre elle et Pierrot, qui est père d'une jolie houppe à poudre de riz, laquelle à été nommée Séraphita.
Et Mlle Huet, notre institutrice au nez bourbonien?... qu'était-elle devenue? Elle avait disparu, dans ce bouleversement. Certainement, on avait assez d'elle. Le départ de Paris était un prétexte merveilleux de rupture et on ne le laissa pas échapper. Mais on ne nous expliqua rien. Mlle Huet ne revint pas, et on ne parla plus d'elle.
Nous avions repris, tout naturellement, notre vie de libre flânerie: tant de choses nous occupaient, si nouvelles encore! Et quand nous étions seules à la maison, fatiguées de tourner dans le jardin, de regarder les poules et d'aller voir vingt fois dans leur nid si elles avaient pondu, nous cédions aux instances de Marianne, qui nous suppliait de venir lui lire, un peu, comme autrefois.... Nous nous installions dans la cuisine, car Annette, la cuisinière, quoique moins lettrée que Marianne, voulait entendre aussi.
Annette était une petite personne mignonne et grassouillette, avec une poitrine rebondie, très serrée dans son corset, et un cou blanc sur lequel le menton se doublait quand elle baissait la tête; propre, un peu compassée et très susceptible, elle se fâchait pour rien.
Nous nous asseyions sur le rebord de la fenêtre ouverte, cette fenêtre donnant sur la cour, par laquelle nous passions si souvent, en des sauts prodigieux, et que les bonnes, revenant de la pompe, enjambaient péniblement.
C'était toujours George Sand qu'il fallait relire, et comme, à la fin, nous en étions lassées, nous imaginâmes déjouer quelques scènes des romans: c'était plus nouveau et bien plus amusant. Dans Valentine surtout, nous étions superbes, Marianne ne pouvait cacher son émotion: son petit nez en trompette frémissait, entre ses belles joues rouges, et ses jolis yeux noirs s'emplissaient de larmes. Annette elle-même était captivée: debout, la cuiller de bois à la main, elle semblait changée en statue. Mais c'était toujours elle qui rompait le charme:
—Ma julienne qui bout trop vite! s'écriait-elle tout à coup. Vous me rendez folle avec vos histoires!...
Et nous nous sauvions, pour aller lire quelque livre moins connu.
Mon père proclamait que la lecture est la clé de tout, et que la chose la plus merveilleuse, c'est qu'un enfant puisse apprendre à parler et à lire: aussi laissait-il la bibliothèque à notre disposition et nous poussait-il à y fouiller souvent. Nous avions déjà énormément lu. Après Walter Scott et Alexandre Dumas, c'étaient Victor Hugo, Balzac, Shakespeare,—à mesure que paraissait la traduction de François-Victor Hugo,—et, à travers le merveilleux style de Baudelaire,—Edgar Poë, qui nous passionnait spécialement.
Notre ardeur à dévorer les livres enchantait mon père, mais «les personnes sérieuses» trouvaient ce genre d'éducation parfaitement absurde et même criminel. Il n'aimait pas la discussion et ne savait guère imposer sa volonté. C'est pourquoi, à regret, il nous laissa mettre dans des pensionnats dont on lui vantait les mérites, l'avenue de Neuilly ayant le monopole des institutions de premier ordre. Externes d'abord, nous allâmes chez madame Liétard, une noble personne, qui, par amour des enfants et pour se consoler de la perte des siens, avait fondé cet établissement, où l'on était vraiment gâté plus que chez soi; puis pensionnaires, chez une madame Biré. Elle portait une perruque bouclée,—«un tour en acajou ronceux», disait mon père, qui avait une aversion spéciale pour cette dame.
Ces tentatives ne furent pas de longue durée: mon père trouvait vraiment la maison trop déserte et trop triste, sans le mouvement et le bruit que nous y mettions et, pour être sûr de nous garder, il eut un jour une triomphante idée, celle de faire lui-même notre éducation:
—J'en suis aussi capable que vos sous-maîtresses!... Et, bien que je ne sois pas même bachelier, si vous en saviez autant que moi, il me semble que ça ne serait pas mal.
Le principe ordinaire d'instruction qui consiste à entasser pêle-mêle dans la mémoire des notions succinctes sur toutes sortes de sujets lui semblait absurde:
—La science abrégée, et l'histoire ramenée à un point de vue général, n'intéressent pas, disait-il, et c'est pour cela que tout ce que l'on apprend en classe est si vite oublié. Ce travail si pénible, à un âge où l'on a un besoin impérieux d'activité physique, est, la plupart du temps, absolument perdu et l'on eût mieux fait de laisser les enfants jouer aux barres ou au cheval fondu, ce qui leur eût au moins procuré de l'agrément et donné de la vigueur. Il vaut mieux savoir une seule chose, à fond, que d'apprendre par cœur la liste de toutes celles qu'on ne saura jamais.
Il ne voulait donc enseigner qu'une seule chose à la fois et, cherchant quelle était la science la plus utile à connaître, celle par où il fallait commencer, il décida que c'était l'astronomie.
Alors, lui, le forçat de la «copie», lui qui détestait par-dessus tout écrire, même la plus courte lettre, il se mit à rédiger, chaque jour, une petite leçon, où il résumait, de la façon la plus claire, les premiers principes de la mécanique céleste. Cela faisait, de sa fine écriture, quinze à vingt lignes, sur une feuille de papier à lettre. Il développait, de vive voix, la leçon, que nous devions apprendre par cœur. De Paris, il nous apportait des images coloriées, enchâssées dans du papier noir, et transparentes. On y voyait le système solaire, les planètes et leurs satellites, Saturne avec ses anneaux, la lune et les éclipses. Cela nous intéressa énormément, à tel point même que, pour ma part, je trouvai bientôt la leçon trop courte, et j'en réclamai de plus longues, avec cette violence qui m'avait valu naguère le surnom d'Ouragan. Je voulais toute l'astronomie, tout de suite, et non pas miette à miette, comme cela, et jour à jour.
«Épilepsie—Catalepsie», avait coutume de dire mon père, pour définir mon caractère d'alors, qui me faisait tantôt exaltée et enthousiaste, tantôt morne, indifférente et dédaigneuse: il m'incitait, charitablement, à choisir un terme entre ces deux extrêmes. Mais je lui répondais que c'était là une idée digne d'un classique, et qu'un romantique comme lui savait bien que rien n'est plus bourgeois que le juste milieu.
Cette fois, il favorisa «l'épilepsie», en me livrant les meilleurs et les plus récents ouvrages sur l'astronomie.
Ce fut une vraie passion qu'il éveilla en moi. Il n'était plus question que de cela; je travaillais du matin au soir; les livres les plus arides, les plus obscurs ne me rebutaient pas, je m'acharnais à les comprendre, et bientôt je fus singulièrement renseignée sur les choses du ciel.
Mon père me fit alors cadeau d'un télescope, ce qui faillit me rendre folle de joie. C'était un bon instrument, qui permettait de voir les taches du soleil, les anneaux de Saturne, les satellites des planètes et les montagnes de la lune. Il était enfermé dans une boîte noire qui ressemblait assez à un cercueil d'enfant.
La nuit, à l'heure du lever des planètes, quand tout dormait dans la maison, je sortais de mon lit, et,