Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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«Pourquoi ne pas leur raconter que j’ai vu, cela arrive bien à d’autres, et personne ne pourra me démentir.» – Oui, je l’ai vu, poursuivit-elle.

      — Comment l’as-tu vu, couché ou debout?

      — Je l’ai vu, il n’y avait rien d’abord, et tout à coup je l’ai vu couché.

      — André couché? Il est donc malade?… et Natacha arrêta sur Sonia un regard effaré.

      — Mais non, pas du tout, il semblait au contraire fort gai, répondit-elle en finissant par croire à ses propres inventions.

      — Et après, Sonia, après?

      — J’ai vu ensuite quelque chose de vague, de rouge, de bleu…

      — Quand reviendra-t-il, Sonia? Quand le reverrai-je? Mon Dieu, que j’ai peur pour lui! Pour moi, j’ai peur de tout!…» Et, sans répondre aux consolations que lui prodiguait Sonia, Natacha se glissa dans son lit, et, longtemps après qu’elle eut éteint la lumière, elle resta immobile et rêveuse, les yeux fixés sur les rayons de la lune qui pénétraient à travers les vitres gelées des fenêtres.

      XIII

      Quelque temps après les fêtes, Nicolas avoua à sa mère son amour pour Sonia et sa ferme résolution de l’épouser. La comtesse, qui avait l’œil sur eux depuis longtemps, s’attendait à cette confidence; elle l’écouta en silence jusqu’au bout et lui annonça à son tour qu’il était libre de se marier comme bon lui semblerait, mais que ni elle, ni son père, ne donneraient leur consentement à ce mariage. Nicolas, atterré, sentit pour la première fois que sa mère, malgré l’affection qu’elle lui avait toujours témoignée, était sérieusement fâchée contre lui, et ne reviendrait pas sur sa décision. Elle fit venir son mari, et essaya de lui communiquer avec calme la confidence de son fils, mais la colère prit bientôt le dessus et elle sortit en sanglotant de dépit. Le vieux comte engagea Nicolas avec une certaine hésitation à renoncer à son projet, mais celui-ci lui répondit que sa parole était engagée; son père, fort troublé par cette déclaration formelle, poussa un long soupir, changea de conversation, et le quitta bientôt après, pour aller retrouver sa femme. Comme il se sentait responsable envers lui du mauvais état de sa fortune, il ne pouvait, au fond, lui en vouloir de refuser un riche parti, et de préférer Sonia sans dot, Sonia qui aurait été la perle des femmes, si, par la faute de Mitenka et de leurs ruineuses habitudes, ils n’avaient dilapidé cette belle fortune.

      Un calme de quelques jours suivit cette scène, mais un matin la comtesse appela chez elle Sonia, l’accusa d’ingratitude, et lui reprocha, avec une dureté qu’elle ne lui avait jamais témoignée, de faire des avances à son fils. Sonia, les yeux baissés, écoutait sans mot dire ces injustes paroles, et ne pouvait comprendre ce qu’on exigeait d’elle; elle qui se sentait prête à tous les sacrifices pour ceux qu’elle regardait comme ses bienfaiteurs: rien ne lui paraissait plus simple que de se dévouer pour eux, mais dans le cas présent elle ne voyait plus comment elle devait agir. Ne pouvant s’empêcher de les aimer tous, d’aimer Nicolas, qui avait besoin d’elle pour être heureux, que lui restait-il donc à faire? Après cette douloureuse sortie, Rostow essaya d’effrayer sa mère en la menaçant d’épouser Sonia en secret, et finit par la supplier encore une fois de consentir à son bonheur.

      Elle lui répondit avec une indifférence glaciale, bien extraordinaire, bien inusitée chez elle, qu’il était majeur, et que, le prince André se mariant aussi sans le consentement de son père, il pouvait suivre cet exemple, mais qu’elle ne recevrait jamais comme sa belle-fille cette petite intrigante.

      Indigné de l’expression que venait d’employer sa mère, Nicolas changea de ton, et lui reprocha de vouloir le forcer à vendre son cœur; il lui déclara que, si elle ne revenait point sur sa résolution, c’était la dernière fois qu’ils se… mais il n’avait pas encore prononcé le mot fatal que sa mère ne pressentait que trop et qui aurait peut-être laissé entre eux un souvenir ineffaçable, quand la porte s’ouvrit et Natacha entra, pâle et sérieuse… elle avait tout entendu.

      «Nicolas, tu ne sais ce que tu dis, tais-toi, tais-toi! S’écria-t-elle avec violence, comme pour l’empêcher de continuer… Et vous, maman, pauvre chère maman, ce n’est pas cela… vous l’avez mal compris!»

      La comtesse, au moment d’une rupture définitive avec son fils chéri, le regardait avec terreur; mais elle ne pouvait et ne voulait pas céder, entraînée, excitée par l’obstination qu’il mettait à lui résister.

      «Nicolas, je t’expliquerai tout plus tard… Et vous, écoutez-moi, petite mère…»

      Ses paroles n’avaient évidemment aucun sens, mais elles atteignirent leur but.

      La comtesse fondit en larmes, et cacha sa figure sur l’épaule de sa fille, pendant que Nicolas sortait en se prenant avec désespoir la tête entre les mains.

      Natacha poursuivit son œuvre de réconciliation, et obtint de sa mère la promesse qu’elle ne tourmenterait plus Sonia. Nicolas, de son côté, donna sa parole qu’il n’agirait point à l’insu de ses parents; quelques jours plus tard, triste et fâché de se sentir en opposition avec eux, il partit pour rejoindre son régiment, bien résolu à quitter le service et à épouser à son prochain retour Sonia, dont il se croyait passionnément amoureux.

      L’intérieur des Rostow redevint sombre, la comtesse tomba malade.

      Sonia, affligée de l’absence de son ami, supportait avec peine l’inimitié de sa bienfaitrice, qui se trahissait involontairement à chaque parole. Le comte, plus préoccupé que jamais du piteux état de ses affaires, se vit forcé d’avoir recours aux moyens extrêmes, et de vendre une de ses terres et son hôtel de Moscou; il aurait fallu pour cela qu’il allât lui-même sur les lieux, mais le mauvais état de santé de sa femme retardait leur départ de jour en jour.

      Natacha, qui avait supporté patiemment et presque gaiement pendant les premiers mois d’être séparée de son fiancé, devenait d’heure en heure plus triste et plus nerveuse, en pensant que ces longues semaines, qu’elle aurait si bien su employer à aimer, se perdaient ainsi sans profit pour son cœur. Elle en voulait au prince André de vivre d’une vie prosaïque, de visiter de nouveaux pays, de faire de nouvelles connaissances, tandis qu’elle ne pouvait que penser à lui et rêver! Plus ses lettres lui témoignaient d’intérêt, plus elles l’irritaient, car elle ne trouvait aucune consolation à lui écrire. Les siennes, dont sa mère corrigeait habituellement les fautes d’orthographe, n’étaient que des compositions sèches et banales. Elle se sentait dans l’impuissance d’énoncer sur la feuille de papier blanc, posée là devant elle, ce qu’elle aurait si bien dit d’un mot, d’un regard ou d’un sourire. Aussi elle ne faisait en écrivant que remplir un ennuyeux devoir, et n’y attachait plus la moindre importance! Cependant un voyage à Moscou devenait indispensable; sans parler des ventes à régulariser, il fallait y commander le trousseau, et s’y rencontrer avec le prince André, que l’on attendait de jour en jour. Le vieux prince devait y passer l’hiver, et Natacha assurait à qui voulait l’entendre que son fiancé était bien certainement déjà revenu de l’étranger.

      En attendant, la comtesse ne se remettait pas, et il fut décidé que le comte partirait seul avec les jeunes filles, à la fin de janvier.

      CHAPITRE III

       I

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