Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       XVII

       XVIII

       XIX

       XX

       XXI

       XXII

      I

      Quoique Pierre eût une foi absolue dans les vérités que lui avait révélées le Bienfaiteur, et malgré la joie profonde qu’il avait ressentie pendant les premiers mois de son apprentissage, lorsqu’il se livrait avec un réel enthousiasme au travail de sa régénération intérieure, enfin malgré tous ses efforts pour y persévérer, cette nouvelle existence perdit subitement pour lui tout son charme, après les fiançailles du prince André, et la mort de Bazdéïew, arrivée à la même époque. Il ne lui en resta plus que le squelette, c’est-à-dire sa maison, sa femme, plus que jamais en faveur auprès d’un grand personnage, ses nombreuses et peu intéressantes connaissances, et le service avec son cortège d’ennuyeuses formalités! Aussi fut-il saisi d’un profond dégoût en pensant à sa vie: il interrompit son journal, évita la société de ses frères, reparut au club, recommença à boire et à mener la vie de garçon, et fit tant parler de lui, que la comtesse Hélène se vit obligée de lui adresser de sévères reproches. Pierre lui donna raison en tous points, et se réfugia à Moscou pour ne pas la compromettre par sa conduite.

      Lorsqu’il se retrouva dans son immense hôtel, avec ses cousines les princesses, qui séchaient sur pied et tournaient à la momie, avec sa nombreuse domesticité qui y grouillait dans tous les coins; lorsqu’il aperçut la chapelle de la Vierge d’Iverskaïa rayonnante de la lumière des mille cierges qui brûlaient dévotement devant les saintes images enchâssées d’or et d’argent; lorsqu’il eut traversé la grande place du Kremlin couverte d’un tapis de neige immaculée; qu’il eut revu les izvostchiki et les boutiques du Kitaïgorod, les vieux et les vieilles de Moscou vivotant doucement dans leur coin, sans rien désirer, et qu’il eut pris part de nouveau aux bals et aux dîners du club Anglais… alors il se sentit enfin arrivé au port. Moscou, en lui rendant son chez lui et sa maison, lui fit éprouver cette sensation de bien-être qu’on ressent lorsque, après une journée de fatigue, on passe avec bonheur une bonne vieille robe de chambre bien chaude, bien commode, voire même un peu graisseuse.

      Toute la société, les vieux et les jeunes, le reçurent à bras ouverts; sa place restée vacante l’attendait, il n’avait qu’à la reprendre, car, aux yeux de tous ces braves gens, Pierre était le meilleur enfant du monde, l’original le plus gai et le plus intelligent, le vrai type du grand seigneur du Moscou d’autrefois, distrait, bienveillant, et la bourse toujours à sec, parce que chacun y puisait sans scrupule.

      Les représentations données au bénéfice d’artistes sans talent, les croûtes et les statues des rapins du dernier ordre, les œuvres de bienfaisance, les chœurs de Bohémiens, les souscriptions pour des dîners, les réunions de francs-maçons, les quêtes pour les églises, la publication d’ouvrages de prix, tout cela trouvait accueil auprès de lui: il ne savait jamais refuser, et se serait complètement dévalisé de ses propres mains, si, pour son bonheur, deux de ses amis, auxquels il avait prêté une très forte somme, ne l’eussent pris en tutelle. Au club, pas de dîner, pas de soirée, sans lui. À peine venait-il d’étendre son gros corps sur un des larges divans, après avoir vidé deux bouteilles de Château-Margaux, qu’il se voyait entouré d’un cercle nombreux qui le choyait, riait et causait autour de lui. Si la conversation dégénérait en dispute, son bon sourire et une bienveillante plaisanterie, dite à propos, ramenaient la paix; s’il n’était pas là, toute réunion maçonnique, même était triste et morose. Au bal, lorsque les cavaliers faisaient défaut, on venait le choisir, et il dansait. Jeunes femmes et jeunes filles l’aimaient, parce que, sans témoigner une attention particulière, à aucune d’elles, il était aimable avec toutes: «Il est charmant, disait-on de lui, il n’a pas de sexe!»

      Comme il aurait pleuré sur lui-même si, sept ans auparavant, à son arrivée de l’étranger, on lui eût dit qu’il n’avait besoin ni de rien chercher, ni de rien inventer, que sa route était toute tracée, sa destinée toute marquée, et qu’en dépit de tous ses efforts il ne deviendrait pas meilleur que la plupart de ceux qui se seraient trouvés dans sa position!… Certes, il ne l’aurait pas cru!

      N’était-ce donc pas lui qui avait désiré avec ardeur voir la Russie en république, qui avait souhaité devenir philosophe tacticien… qui avait regretté de ne pas être Napoléon ou l’homme qui le vaincrait? N’était-ce donc pas lui qui avait cru possible la régénération de l’humanité, et travaillé à atteindre le degré le plus élevé du perfectionnement moral? N’était-ce donc pas lui qui avait créé des écoles, ouvert des hôpitaux, et donné la liberté à ses paysans?

      Et de fait qu’était-il devenu? Le possesseur d’une grande fortune, le mari d’une femme infidèle, un chambellan en retraite, un membre du club Anglais et l’enfant gâté de la société de Moscou; un homme qui aimait surtout à bien manger et à bien boire, et qui se donnait parfois le plaisir de critiquer le gouvernement, bien à son aise, après dîner. Il fut longtemps avant de se faire à la pensée qu’il était, ni plus, ni moins, le type accompli du chambellan en retraite, vivant sans but et sans soucis, ce type qu’il avait en si grand mépris sept ans auparavant, et dont Moscou offrait de nombreux spécimens.

      Il cherchait parfois à se consoler, en se disant que ce genre de vie ne

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