Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi страница 248

Автор:
Серия:
Издательство:
Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

Скачать книгу

      XIV

      Personne ne dormait encore à trois heures de la nuit, lorsque le maréchal des logis apporta l’ordre de se mettre en marche vers le bourg d’Ostrovna.

      Les officiers firent leurs préparatifs à la hâte, sans interrompre leur causerie; tandis qu’on faisait chauffer le même samovar avec la même eau jaunâtre, Rostow alla rejoindre son escadron, sans attendre que le thé fût prêt. Il ne pleuvait plus, l’aube blanchissait, les nuages se dispersaient peu à peu, il faisait humide et froid, et on le sentait d’autant plus vivement, que les uniformes n’avaient pas eu le temps de sécher. Iline et Rostow jetèrent en passant un regard sur la kibitka, dont le tablier, tout mouillé, laissait dépasser les jambes du docteur et apercevoir dans un coin, sur un oreiller, le petit bonnet de sa femme, dont ils entendirent la respiration ensommeillée.

      «Elle est vraiment fort gentille, dit Rostow à son camarade.

      — Ravissante!» lui répondit Iline avec la conviction d’un enfant de seize ans.

      Une demi-heure plus tard, l’escadron se tenait aligné sur le chemin.

      «À cheval!» commanda-t-on.

      Les soldats se signèrent, et enfourchèrent leurs montures. Rostow, se plaçant en avant, s’écria:

      «Marche!…» Et les hussards se mirent en mouvement, quatre par quatre, au bruit des fers de leurs chevaux piétinant dans la boue et du cliquetis de leurs sabres, en suivant l’infanterie et l’artillerie, qui étaient échelonnées sur la grand’route bordée de bouleaux.

      Des nuages d’un gris violet, pourprés à l’Orient, couraient rapidement dans l’espace, le jour grandissait, on distinguait déjà l’herbe du fossé, encore toute mouillée de l’orage de la nuit, et les branches pendantes des bouleaux égrenaient une à une leurs brillantes gouttelettes. Les visages des soldats se dessinaient de plus en plus! Rostow et Iline avançaient entre deux rangs d’arbres d’un côté du chemin; le premier se donnait volontiers, en campagne, le plaisir de changer de monture, et passait volontiers du cheval de régiment à un cheval cosaque. Connaisseur et amateur, il avait acheté dernièrement un vigoureux alezan, à crinière blanche, des steppes du Don, qui ne se laissait jamais dépasser, et qu’il montait avec une véritable jouissance: il allait ainsi, rêvant à son cheval, à la matinée qui s’éveillait, à la femme du docteur, sans songer un seul instant au péril qui pouvait fondre sur eux d’un moment à l’autre.

      Jadis il aurait eu peur en marchant au feu, maintenant il ne ressentait plus aucune crainte: l’habitude l’avait-elle aguerri? Non, mais il avait appris à se gouverner, et à penser à toute autre chose qu’à ce qui semblait devoir l’intéresser le plus à cette heure, c’est-à-dire au danger qui s’approchait. Malgré tous ses efforts, malgré les reproches de lâcheté qu’il s’était bien souvent adressés, il n’avait jamais pu, durant les premières années de son service, vaincre la peur qui s’emparait instinctivement de lui, mais le temps l’y avait insensiblement amené. Il suivait donc avec tranquillité et insouciance son chemin sous les arbres, arrachait en passant quelques feuilles, effleurait parfois du bout de son pied le ventre de son cheval, et tendait, sans se retourner, la pipe qu’il venait de fumer au hussard qui cheminait derrière lui: on aurait dit à le voir qu’il s’agissait d’une simple promenade. La figure émue et inquiète d’Iline, qui exprimait au contraire tant de sentiments divers, lui inspirait une sérieuse compassion; il connaissait par expérience cet état de fiévreuse angoisse, cette attente de la peur et de la mort, et il savait aussi que le temps seul pouvait y porter remède.

      À peine le soleil apparut-il au-dessus d’une bande de nuages, que le vent s’apaisa; il semblait vouloir respecter ce radieux lendemain d’une nuit d’orage. Quelques gouttes tombèrent encore, puis le calme se rétablit. Continuant son ascension, le disque de feu se déroba un moment derrière un étroit nuage, dont il déchira bientôt le bord supérieur pour reparaître dans tout son éclat; le paysage s’éclaira de nouveau, la verdure scintilla plus riante, et, comme une réponse ironique à ce flot d’éclatante lumière, les premiers grondements du canon se firent entendre à une certaine distance.

      Rostow n’avait pas eu encore le temps de se rendre compte de la distance, lorsqu’un aide de camp du comte Ostermann-Tolstoy, arrivant de Vitebsk au galop, lui transmit l’ordre de prendre le trot accéléré.

      Son escadron dépassa l’infanterie et l’artillerie, qui doublaient également leur allure, descendit une colline, et, traversant un village abandonné, remonta le versant opposé. Les chevaux et les hommes étaient couverts de sueur.

      «Halte! Alignement! Commanda le divisionnaire. – Par file à gauche, marche!» Les hussards longèrent la ligne des troupes et atteignirent le flanc gauche de la position, derrière les uhlans placés sur la ligne d’attaque. À droite, en colonnes serrées, se tenait massée la réserve de notre infanterie; au-dessus d’elle, sur la hauteur, reluisaient nos canons, qui se détachaient sur le fond de l’horizon, éclairés par la lumière oblique du matin. Dans le vallon, les colonnes ennemies et leur artillerie échangeaient déjà gaiement les premiers coups de feu avec notre ligne d’avant-postes.

      Le crépitement de la fusillade, que Rostow n’avait pas entendu depuis longtemps, produisit sur lui l’effet d’une joyeuse musique: il prêta de bonne humeur l’oreille à ce trap, ta, ta tap incessant qui éclatait en masse ou isolé, et qui, après un intervalle de silence, reprenait avec une nouvelle vigueur: on aurait dit qu’un enfant s’amusait à poser le pied sur des pétards.

      Les hussards restèrent une heure environ sans bouger. La canonnade commença. Après avoir échangé quelques mots avec le commandant du régiment, le comte Ostermann passa avec sa suite derrière l’escadron, et s’éloigna dans la direction de la batterie placée à quelques pas de là.

      Un peu après, on entendit le commandement donné aux uhlans de se former en colonne d’attaque, et l’infanterie qui les masquait fractionna ses bataillons pour leur livrer passage. Ils descendirent la hauteur, et s’élancèrent au trot, leurs flammes flottant au bout de leurs piques, vers la cavalerie française, qui venait de déboucher à gauche de la colline.

      Dès qu’ils eurent quitté leur poste, les hussards s’avancèrent pour l’occuper, afin de couvrir la batterie. Quelques balles perdues passèrent au-dessus d’eux, en sifflant et en geignant dans l’air.

      Ce bruit, en se rapprochant, excita encore plus l’ardeur et la gaieté de Rostow. Crânement campé sur sa selle, il voyait se dérouler à ses pieds tout le terrain du combat, et prenait part de tout son cœur à l’attaque des uhlans. Lorsque ceux-ci fondirent sur la cavalerie française, il y eut quelques instants de confusion générale dans un tourbillon de fumée; puis il les vit revenir en arrière sur la gauche, et il aperçut soudain, au milieu d’eux et de leurs chevaux alezans, des groupes compacts de dragons bleus français, montés sur des chevaux gris pommelé, qui les repoussaient avec vigueur.

      XV

      L’œil exercé de Rostow avait été le premier à se rendre compte de ce qui se passait: les uhlans, poursuivis par l’ennemi, fuyaient à la débandade et se rapprochaient de plus en plus. Déjà on pouvait distinguer les gestes de ces hommes, si petits à distance; on pouvait les voir se choquer, s’attaquer, se saisir mutuellement, en brandissant leurs sabres.

      Rostow assistait à ce spectacle comme à une chasse à courre; son instinct lui disait que, si les hussards attaquaient à l’instant les dragons, ces derniers n’y résisteraient

Скачать книгу