Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust

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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust

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à la veille qu’il fût célébré. Mais un mal dont il était atteint le défigurait et rendit ses familiarités odieuses à Violante. Elle pleura sur la vanité de ses désirs qui volaient jadis si ardents vers la chair alors en fleur et qui maintenant était déjà pour jamais flétrie. La duchesse de Bohême continua de charmer comme avait fait Violante de Styrie, et l’immense fortune du duc ne servit qu’à donner un cadre digne d’elle à l’objet d’art qu’elle était, D’objet d’art elle devint objet de luxe par cette naturelle inclinaison des choses d’ici-bas à descendre au pire quand un noble effort ne maintient pas leur centre de gravité comme au-dessus d’elles-mêmes.

      Augustin s’étonnait de tout ce qu’il apprenait d’elle. «Pourquoi la duchesse, lui écrivait-il, parle-t-elle sans cesse de choses que Violante méprisait tant?» «Parce que je plairais moins avec des préoccupations qui, par leur supériorité même, sont antipathiques et incompréhensibles aux personnes qui vivent dans le monde, répondit Violante. Mais je m’ennuie, mon bon Augustin.» Il vint la voir, lui expliqua pourquoi elle s’ennuyait:

      «Votre goût pour la musique, pour la réflexion, pour la charité, pour la solitude, pour la campagne, ne s’exerce plus. Le succès vous occupe, le plaisir vous retient. Mais on ne trouve le bonheur qu’à faire ce qu’on aime avec les tendances profondes de son amie.

      – Comment le sais-tu, toi qui n’as pas vécu? dit Violante.

      – J’ai pensé et c’est tout vivre, dit Augustin. Mais j’espère que bientôt vous serez prise du dégoût de cette vie insipide.» Violante s’ennuya de plus eu plus, elle n’était plus jamais gaie. Alors, l’immoralité du monde, qui jusque-là l’avait laissée indifférente, eut prise sur elle et la blessa cruellement, comme la dureté des saisons terrasse les corps que la maladie rend incapables de lutter. Un jour qu’elle se promenait seule dans une avenue presque déserte, d’une voiture qu’elle n’avait pas aperçue tout d’abord une femme descendit qui alla droit à elle. Elle l’aborda, et lui ayant demandé si elle était bien Violante de Bohême, elle lui raconta qu’elle avait été l’amie de sa mère et avait eu le désir de revoir la petite Violante qu’elle avait tenue sur ses genoux.

      Elle l’embrassa avec émotion, lui prit la taille et se mit à l’embrasser si souvent que Violante, sans lui dire adieu, se sauva à toutes jambes. Le lendemain soir, Violante se rendit à une fête donnée en l’honneur de la princesse de Misène, qu’elle ne connaissait pas. Elle reconnut dans la princesse la dame abominable de la veille. Et une douairière, que jusque-là Violante; avait estimée, lui dit:

      «Voulez-vous que je vous présente à la princesse de Misène?

      – Non! dit Violante.

      – Ne soyez pas timide, dit la douairière. Je suis sûre que, vous lui plairez. Elle aime beaucoup les jolies femmes.»

      Violante eut à partir de ce jour deux mortelles ennemies, la princesse de Misène et la douairière, qui la représentèrent partout comme un monstre d’orgueil et de perversité. Violante l’apprit, pleura sur elle-même et sur la méchanceté des femmes. Elle avait depuis longtemps pris son parti de celle des hommes. Bientôt elle dit chaque soir à son mari:

      «Nous partirons après-demain pour ma Styrie et nous ne la quitterons plus.»

      Puis il y avait une fête qui lui plairait peut-être plus que les autres, une robe plus jolie à montrer. Les besoins profonds d’imaginer, de créer, de vivre seule et par la pensée, et aussi de se dévouer, tout en la faisant souffrir de ce qu’ils n’étaient pas contentés, tout en l’empêchant de trouver dans le monde l’ombre même d’une joie s’étaient trop émoussés, n’étaient plus assez impérieux pour la faire changer de vie, pour la forcer à renoncer au monde et à réaliser sa véritable destinée.

      Elle continuait à offrir le spectacle somptueux et désolé d’une existence faite pour l’infini et peu à peu restreinte au presque néant, avec seulement sur elle les ombres mélancoliques de la noble destinée qu’elle eût pu remplir et dont elle s’éloignait chaque jour davantage, Un grand mouvement de pleine charité qui aurait lavé son coeur comme une marée, nivelé toutes les inégalités humaines qui obstruent un coeur mondain, était arrêté, par les milles digues de l’égoïsme, de la coquetterie et de l’ambition. La bonté ne lui plaisait plus que comme une élégance. Elle ferait bien encore des charités d’argent, des charités de sa peine même et de son temps, mais toute une partie d’elle-même était réservée, ne lui appartenait plus, Elle lisait ou rêvait encore le matin dans son lit, mais avec un esprit faussé, qui s’arrêtait maintenant au-dehors des choses et se considérait lui-même, non pour s’approfondir, mais pour s’admirer voluptueusement et coquettement comme en face d’un miroir. Et si alors on lui avait annoncé une visite, elle n’aurait pas eu la volonté de la renvoyer pour continuer à rêver ou à lire. Elle en était arrivée à ne plus goûter la nature qu’avec des sens pervertis, et le charme des saisons n’existait plus pour elle que pour parfumer ses élégances et leur donner leur tonalité. Les charmes de l’hiver devinrent le plaisir d’être frileuse, et la gaieté de la chasse ferma son coeur aux tristesses de l’automne.

      Parfois elle voulait essayer de retrouver, en marchant seule dans une forêt, la source naturelle des vraies joies.

      Mais, sous les feuillées ténébreuses, elle promenait des robes éclatantes. Et le plaisir d’être élégante corrompait pour elle la joie d’être seule et de rêver.

      «Partons-nous demain? demandait le duc.

      – Après-demain», répondait Violante.

      Puis le duc cessa de l’interroger. A Augustin qui se lamentait, Violante écrivit: «Je reviendrai quand je serai un peu plus vieille.»

      – «Ah! répondit Augustin, vous leur donnez délibérément votre jeunesse; vous ne reviendrez jamais dans votre Styrie» Elle n’y revint jamais. Jeune, elle était restée dans le monde pour exercer la royauté d’élégance que presque encore enfant elle avait conquise. Vieille, elle y resta pour la défendre. Ce fut en vain. Elle la perdit, Et quand elle mourut, elle était encore en train d’essayer de la reconquérir. Augustin avait compté sur le dégoût. Mais il avait compté sans une force qui, si elle est nourrie d’abord par la vanité, vainc le dégoût, le mépris, l’ennui même: c’est l’habitude.

Août 1892FIN de Violante Ou La Mondanité

      Fragments de Comédie Italienne

      «De même que l’écrevisse, le bélier,

      le scorpion, la balance et le verseau

      perdent toute bassesse quand ils

      apparaissent comme signes du zodiaque,

      ainsi on peut voir sans colère ses

      propres vices dans des personnages éloignés…

EMERSON

      I – Les maîtresses de Fabrice

      La maîtresse de Fabrice était intelligente et belle; il ne pouvait s’en consoler. «Elle ne devrait pas se comprendre! s’écriait-il en gémissant, sa beauté m’est gâtée par son intelligente; m’éprendrais-je encore de la Joconde chaque fois que je la regarde, si je devais dans le même temps entendre la dissertation d’un critique, même exquis?» Il la quitta, prit une autre maîtresse qui était belle et sans esprit. Mais elle l’empêchait continuellement de jouir de son charme par un manque de tact impitoyable. Puis elle prétendit à l’intelligence, lut beaucoup, devint pédante et fut aussi intellectuelle que la première avec moins d’aisance et des maladresses ridicules.

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