Borgia. Michel Zevaco

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Borgia - Michel  Zevaco

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en sortant du Palais de Lucrèce qu’il a été tué… pauvre François ! Si bon ! Si tendre !… Mon cœur en saigne… Mais tu ne pleures donc pas, César ?…

      – Mon père, j’attends, pour vous parler de choses sérieuses que vous ayez fini de jouer la comédie…

      – Per bacco ! Que signifie !…

      – Cela signifie que la mort de François vous enchante ou si-non je ne comprends plus, moi !

      – Malheureux enfant ! Comment peux-tu penser de pareilles abominations ! Tu outrages ma douleur !

      – François vous gênait, mon père, reprit César en haussant la voix. Fourbe, lâche, imposteur, indigne de ce nom de Borgia qu’il portait, ennemi en secret de votre gloire et de votre gran-deur, impuissant conspirateur, ne sachant ni aimer ni haïr, il nous déshonorait, mon père ! Sa mort est la bienvenue !

      – Conspirateur ?… Tu dis qu’il conspirait ?…

      – Vous le savez aussi bien que moi, mon père !

      – N’importe ! Le crime est atroce et doit être puni ! Tu m’entends, César ?… Quoi qu’ait pu faire contre nous le pauvre François, il est intolérable que quelqu’un au monde ait osé porter la main sur un Borgia ! Un châtiment exemplaire doit apprendre à l’univers que les Borgia sont inviolables !

      – Je suis de votre avis, mon père, dit froidement César. Aus-si, je vous jure que l’assassin sera retrouvé : c’est moi-même qui m’en occupe !

      – Alors je commence à me tranquilliser, César… Si après avoir réduit la noblesse et muselé le peuple, si après avoir dompté l’Italie et mis Rome dans une cage, nous laissons assassiner, ce n’est pas la peine d’avoir fait ce que nous avons fait !… Seul, un Borgia peut toucher à un Borgia !

      – Mon père, votre sagesse est infinie et je m’incline hum-blement devant votre génie. François nous trahissait…

      – La Providence l’en a puni avec une sérénité qui fait trem-bler de douleur mon cœur paternel…

      – Maintenant que nous avons réglé la question des justes vengeances…

      – Tu retrouveras l’assassin, n’est-ce pas, César ? Promets-le-moi pour me tranquilliser.

      – C’est juré, mon père… et vous savez ce que valent les ser-ments d’un Borgia… quand il y va de son intérêt !… Maintenant que cette question est réglée, je voudrais connaître un détail qui m’échappe…

      – Parle, César.

      – Vous avez dit que François conspirait, et que sa mort vous délivrait d’un danger.

      – Per bacco ! C’est toi qui as dit cela !

      – Oui, mais vous l’avez pensé. Mettons que vous l’ayez dit par l’intermédiaire de ma bouche…

      – Soit, admettons-le… Après ?…

      – Eh bien, mon père, achevez de m’éclairer : avec qui cons-pirait François ? Il est important que je le sache…

      Le pape réfléchit quelques instants.

      – Mon fils, dit-il enfin, il n’est que trop vrai que François avait fait alliance avec nos pires ennemis…

      – Nommez-les, mon père !

      – Te les nommer ! s’écria-t-il. Comme tu y vas ! Si je pouvais te les nommer, la besogne serait trop facile !

      – Ainsi, vous ne savez pas le nom des conspirateurs ?

      – Je sais que l’on conspire, voilà tout !… Je sais qu’on veut ma mort – et la tienne, César !… Je sais que les traîtres avaient mis leur confiance en ton frère François… que la divine Provi-dence ait pitié de son âme…

      – Songeons à nous, mon père !

      – Juste, per bacco !… Et, à ce propos, il m’est venu une idée.

      Les idées du pape étaient généralement funestes à ceux à qui il les confiait. César ne l’ignorait pas.

      – Je songe à te marier ! fit tout à coup le vieux Borgia.

      César éclata de rire, rassuré.

      – Quel mal vous ai-je fait, mon père ? s’écria-t-il.

      – Ne plaisante pas, César… Je connais tes goûts, je sais que le sacrement du mariage inspire à ton indépendance une répul-sion que je ne veux pas contrarier… Donc, si je te parle d’un ma-riage possible, c’est que j’y vois le moyen de consolider à jamais notre puissance…

      – Je vous écoute, mon père ! dit César redevenu attentif et sérieux.

      – Écoute, César, il m’arrive parfois de regarder derrière moi dans ma vie et de me rappeler tout ce que j’ai fait pour la gloire et la fortune de notre maison…

      La voix du vieillard devint rocailleuse… sa figure s’assombrit.

      – Alors, César, il me semble que des fantômes se mettent à rôder autour de moi !… Des princes, des comtes, des évêques, des cardinaux… toute une ronde infernale de têtes livides qui me me-nacent… tous ceux qui sont tombés autour de nous, par le fer ou par le poison… Les Malatesta, les Manfredi, les Vitelli, les Sfor-za… tous sortent de leurs tombeaux et me disent : « Rodrigue Borgia, quiconque tue sera tué ! Borgia, tu périras par le poi-son !… »

      – Mon père !… Chassez ces puériles imaginations…

      – César ! César ! murmura le pape en saisissant la main de son fils, j’en ai l’horrible pressentiment : je mourrai avant peu… et c’est par le poison que je mourrai !… Tais-toi !… Laisse-moi achever ! Que je meure, moi, ce n’est rien ! Mais toi !

      – Suis-je donc menacé ?…

      Le pape jeta à son fils un de ces coups d’œil en dessous qui lui étaient familiers et vit que la terreur commençait à faire son œuvre dissolvante dans l’esprit de César.

      – Enfant ! s’écria-t-il. T’imagines-tu donc que ce soit à moi qu’on en veut ? Allons donc ! S’il n’y avait que moi, on me laisse-rait mourir de vieillesse… car je suis usé… Mais toi ! Toi !… Le digne héritier de ma puissance ! Toi, qui as conquis les Ro-magnes ! Toi, qui rêves de restaurer l’empire de Néron et de Cali-gula ! Toi, César, mon fils, c’est toi que l’on veut atteindre, et pour te frapper plus sûrement, il faut que je disparaisse le pre-mier…

      – Par l’enfer ! gronda César, avant qu’on ait touché à un cheveu de votre tête, mon père, j’incendierai l’Italie, du cap Spartivento jusqu’aux Alpes !…

      – Il y a mieux à faire, César ! reprit le pape dont l’œil noir s’éclaira de satisfaction.

      – Parlez… je suis prêt à tout !

      – Eh bien, César… ce mariage… il arrangerait tout !

      – Encore

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