Les mystères du peuple, Tome III. Эжен Сю
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–Oh! le Nazaréen, l'homme de paix, l'ennemi de la guerre ne se dément pas, il est lâche et se laisse frapper au visage!
–Appelle donc à toi tes disciples. Qu'ils viennent te venger si tu n'en as pas le courage!
–Ses disciples! – reprit un des miliciens qui avaient arrêté Jésus, – ses disciples! ah! si vous les aviez vus! À l'aspect de nos lances et de nos flambeaux ils se sont sauvés, les misérables, comme une nichée de hiboux!
–Ils étaient très-contents d'échapper à la tyrannie du Nazaréen, qui les retenait auprès de lui par magie!
–La preuve qu'ils le haïssent et le méprisent, c'est que pas un d'eux, pas un seul n'a osé l'accompagner ici.
–Oh! – pensait Geneviève, – combien Jésus doit souffrir de cette lâche ingratitude de ses amis! elle doit lui être plus cruelle que les outrages dont il est l'objet.
Et tournant la tête du côté de la porte de la rue, elle vit au loin Pierre, toujours assis sur un banc, la figure cachée entre ses mains et n'ayant pas même le courage de venir assister et défendre son doux maître devant ce tribunal de sang.
Le tumulte soulevé par la violence de l'huissier étant un peu apaisé, l'un des émissaires reprit d'une voix éclatante:
–Je jure, enfin, que cet homme-ci a épouvantablement blasphémé en disant qu'il était le Christ, le fils de Dieu!
Alors Caïphe s'adressant à Jésus, reprit d'un ton plus menaçant encore:
-Vous ne répondez rien à ce que ces personnes disent de vous 10?
Mais le jeune maître haussa légèrement les épaules et continua de garder le silence.
Ce silence irrita Caïphe, il se leva de son siége et s'écria, en montrant le poing au fils de Marie:
-De la part du Dieu vivant, je vous ordonne de nous dire si vous êtes le Christ, le fils de Dieu 11.
-«Vous l'avez dit… je le suis 12,» – répondit le jeune maître en souriant.
Geneviève avait entendu Jésus dire, qu'ainsi que tous les hommes, ses frères, il était fils de Dieu; de même aussi que les druides nous enseignent que tous les hommes sont fils d'un même Dieu. Quelle fut donc la surprise de l'esclave, lorsqu'elle vit le prince des prêtres, dès que Jésus lui eut répondu qu'il était fils de Dieu, se lever, déchirer sa robe avec toutes les marques de l'épouvante et de l'horreur, s'écriant en s'adressant aux membres du tribunal!
–Il a blasphémé… qu'avons-nous plus besoin de témoins? Vous venez vous-mêmes de l'entendre blasphémer, qu'en jugez-vous?
-Il a mérité la mort 13!
Telle fut la réponse de tous les juges de ce tribunal d'iniquité… Mais les voix du docteur Baruch et du banquier Jonas dominaient toutes les voix, ils criaient en frappant du poing le marbre du tribunal:
–À mort le Nazaréen! il a mérité la mort!
–Oui, oui! – répétèrent les miliciens et les serviteurs du grand-prêtre-il a mérité la mort! À mort le maudit!
–Conduisez à l'instant le criminel devant le seigneur Ponce-Pilate, gouverneur de Judée, pour l'empereur Tibère, – dit Caïphe aux soldats, – lui seul peut ordonner le supplice du condamné.
À ces mots du prince des prêtres, on entraîna le fils de Marie hors de la maison de Caïphe pour le conduire devant Pilate.
Geneviève, confondue parmi les serviteurs, suivit les soldats. En passant sous la voûte de la porte, elle vit Pierre, ce lâche disciple du jeune maître (le moins lâche de tous, cependant, pensait-elle, puisque seul, du moins, il l'avait suivi jusque-là), elle vit Pierre détourner les yeux, lorsque Jésus, cherchant le regard de son disciple, passa devant lui emmené par les soldats… Une des servantes de la maison reconnaissant Pierre, lui dit:
-Vous étiez aussi avec Jésus le Galiléen 14?
Et Pierre, rougissant et baissant les yeux, répondit:
-Je ne sais ce que vous dites 15.
Un autre serviteur, entendant la réponse de Pierre, reprit en le désignant aux autres assistants:
-Je vous dis, moi, que celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth 16.
-Je jure! – s'écria Pierre, – je jure que je ne connais pas Jésus de Nazareth 17.
Le coeur de Geneviève se soulevait d'indignation et de dégoût; ce
Pierre, par lâche faiblesse ou par peur de partager le sort de son maître, le reniant deux fois et se parjurant pour cette indignité, était à ses yeux le dernier des hommes; plus que jamais elle plaignait le fils de Marie d'avoir été trahi, livré, abandonné, renié par ceux-là qu'il aimait tant. Elle s'expliquait ainsi la tristesse navrante qu'elle avait remarquée sur ses traits. Une grande âme comme la sienne ne devait pas redouter la mort, mais se désespérer de l'ingratitude de ceux qu'il croyait ses amis les plus chers.
L'esclave quitta la maison du prince des prêtres où était resté Pierre, le renégat, et rejoignit bientôt les soldats qui emmenaient Jésus. Le jour commençait à poindre; plusieurs mendiants et vagabonds qui avaient dormi sur des bancs placés de chaque côté de la porte des maisons, s'éveillèrent au bruit des pas des soldats qui emmenaient le jeune maître. Un moment Geneviève espéra que ces pauvres gens, qui le suivaient en tous lieux, l'appelaient leur ami, et sur le malheur desquels ils s'apitoyait si tendrement, allaient avertir leurs compagnons afin de les rassembler pour délivrer Jésus; aussi dit-elle à l'un de ces hommes:
–Ne savez-vous pas que ces soldats emmènent le jeune maître de Nazareth, l'ami des pauvres et des affligés? On veut le faire mourir, courez le défendre… délivrez-le! soulevez le peuple! ces soldats fuiront devant lui.
Mais cet homme répondit d'un air craintif:
–Les miliciens de Jérusalem fuiraient peut-être; mais les soldats de Ponce-Pilate sont aguerris, ils ont de bonnes lances, d'épaisses cuirasses, des épées bien tranchantes… que pouvons-nous tenter?
–Mais l'on se soulève en masse, on s'arme de pierres, de bâtons! – s'écria Geneviève, – et du moins vous mourrez pour venger celui qui a consacré sa vie à votre cause!
Le mendiant secoua la tête, et répondit pendant qu'un de ses compagnons se rapprochait de lui:
–Si misérable que soit la vie, on y tient… et c'est vouloir courir à la mort que d'aller frotter nos haillons aux cuirasses des soldats romains.
–Et puis, – reprit
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