Port-Tarascon: Dernières aventures de l'illustre Tartarin. Alphonse Daudet

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Port-Tarascon: Dernières aventures de l'illustre Tartarin - Alphonse Daudet

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      Avant tout, il fallait des costumes. Et ils furent commandés; de superbes costumes renouvelés de la croisade, longues lévites noires, avec une grande croix blanche sur la poitrine, et partout, devant, derrière, des entrelacements de fémurs soutachés. La soutache surtout prit beaucoup de temps.

      Quant tout fut prêt, le couvent était déjà investi. Les troupes l'entouraient d'un triple cercle, campées dans les champs et sur les pentes pierreuses de la petite colline.

      Les pantalons rouges de loin semblaient dans le thym et la lavande une floraison subite de coquelicots.

      On rencontrait par les chemins de continuelles patrouilles de cavaliers, la carabine le long de la cuisse, le fourreau de sabre battant le flanc du cheval, l'étui de revolver à la ceinture.

      Mais ce déploiement de forces n'était pas pour arrêter l'intrépide Tartarin, qui avait résolu de passer, ainsi qu'un gros de messieurs du cercle.

      À la file indienne, rampant sur les mains et les genoux avec toutes les précautions, toutes les ruses classiques des sauvages de Fenimore, ils réussirent à se glisser à travers les lignes d'investissement, longeant les rangées des tentes endormies, tournant les sentinelles, les patrouilles, et de l'un à l'autre se signalant les passages dangereux par une imparfaite imitation de cris d'oiseaux.

      Il en fallait du courage pour tenter l'aventure par ces nuits claires comme un plein jour; Il est vrai de dire que les assiégeants avaient tout intérêt à laisser entrer le plus de monde possible.

      Ce qu'on voulait, c'était affamer l'abbaye plutôt que l'emporter de vive force. Aussi les soldats détournaient-ils volontiers la tête en voyant ces ombres errantes au clair de la lune et des étoiles. Plus d'un officier, qui avait pris l'absinthe au cercle avec l'illustre tueur de lions, le reconnut de loin malgré son déguisement et le salua d'un appel familier:

      «Bonne nuit, monsieur Tartarin!»

      Une fois dans la place, Tartarin organisa la défense.

      Ce diable d'homme avait lu tous les livres sur tous les sièges et blocus. Il embrigada les Tarasconnais en milice, sous les ordres du brave commandant Bravida, et, plein des souvenirs de Sébastopol et de Plewna, il leur fit remuer de la terre, beaucoup de terre, entoura l'abbaye de talus, de fossés, de fortifications de tous genres, dont le cercle petit à petit se resserrait à ne pouvoir plus respirer, en sorte que les assiégés se trouvèrent comme emmurés derrière leurs travaux de défense, ce qui faisait l'affaire des assiégeants.

      Le couvent métamorphosé en place forte fut soumis à la discipline militaire. C'est ainsi qu'il en doit être, l'état de siège déclaré. Tout se faisait par roulements de tambour et sonneries de clairon.

      Dès le petit jour, au réveil, le tambour grondait, par les cours, les corridors et sous les arceaux du cloître.

      On sonnait du matin au soir, aux prières tara-ta-ta, au trésorier tara-ta-ta, au Père hôtelier tara-ta-ta; des coups de clairons impérieux, secs et sonores, déchirant l'air. On claironnait pour l'Angélus, pour Matines et Complies. C'était à faire honte à l'armée assiégeante, qui menait beaucoup moins de bruit, au large de la campagne, tandis que là-haut, au sommet de la petite colline, derrière les fins créneaux de l'abbaye- forteresse, claironnades et tambourinades mêlées aux tintements des carillons faisaient un fier ramage et jetaient aux quatre vents, en promesse de victoire, un chant allègre, mi-belliqueux et mi-sacré.

      Le diantre, c'est que les assiégeants, bien tranquilles dans leurs lignes, sans se donner aucune peine, se ravitaillaient facilement et tout le jour faisaient bombance. La Provence est un pays de délices, qui produit toutes sortes de bonnes choses. Vins clairs et dorés, saucisses et saucissons d'Arles, melons exquis, pastèques savoureuses, nougats de Montélimar, tout était pour les troupes du gouvernement: il n'en entrait miette ni goutte dans l'abbaye bloquée.

      Aussi, d'un côté, les soldats, qui n'avaient jamais vu pareille fête, engraissaient à crever leurs tuniques, les chevaux montraient des croupes luisantes et rebondies, tandis que de l'autre, précaire! les pauvres Tarasconnais, la rafataille surtout, levés tôt, couchés tard, surmenés, sans cesse en alerte, remuant et brouettant la terre de jour et de nuit, à la brûlure du soleil et des torches, se desséchaient et maigrissaient que c'était pitié.

      De plus, les provisions des bons Pères s'épuisaient; pâtés d'hirondelles et pains-poires tiraient à la fin.

      Pourrait-on tenir encore longtemps?

      C'était la question tous les jours discutée sur les remparts et terrassements crevassés par la sécheresse.» Et les lâches qui n'attaquent pas!» disaient ceux de Tarascon, montrant le poing aux pantalons rouges vautrés dans l'herbe à l'ombre des pins. Mais l'idée d'attaquer eux-mêmes ne leur venait pas, tant ce brave petit peuple a le sentiment de la conservation.

      Une seule fois, Excourbaniès, un violent parla de tenter une sortie en masse, les moines devant, et de culbuter tous ces mercenaires.

      Tartarin haussa ses larges épaules et ne répondit qu'un mot:

       «Enfant!».

      Puis, prenant par le bras le bouillant Excourbaniès, il l'entraîna au sommet de la contrescarpe, et lui montrant d'un geste immense les cordons de troupes étagés sur la colline, les sentinelles placées à tous les sentiers:

      «Oui ou non, sommes-nous les assiégés? Est-ce nous qui devons donner l'assaut?…»

      Il y eut autour de lui un murmure approbateur:

      «Évidemment… Il a raison… C'est à eux de commencer, puisqu'ils assiègent Et l'on vit une fois de plus que nul ne connaissait les lois de la guerre comme Tartarin.

      Il fallait pourtant prendre un parti.

      Un jour, le Conseil se rassembla dans la grande salle du Chapitre, éclairée de hauts vitraux, entourée de boiseries sculptées, et le Père hôtelier lut son rapport sur les ressources de la place. Tous les Pères-Blancs écoutaient, silencieux, droits sur leurs miséricordes, demi-sièges à forme hypocrite qui permettent d'être assis en paraissant debout.

      Lamentable, le rapport du Père hôtelier! Ce qu'ils avaient dévoré depuis le commencement du siège, les Tarasconnais! Pâtés d'hirondelles, tant de cents; pains-poires, tant de mille; et tant de ceci, et tant de cela! De toutes les choses qu'il énumérait et dont on était au commencement si bien pourvu, il restait si peu, si peu, qu'autant dire il n'en restait rien.

      Les Révérends se regardaient l'un l'autre, la mine longue, et convenaient entre eux qu'avec toutes ces réserves, étant donné l'attitude d'un ennemi qui ne voulait rien pousser à l'extrême, ils auraient pu tenir pendant des années sans manquer de rien, si l'on n'était venu à leur secours. Le Père hôtelier, d'une voix monotone et navrée, continuait de lire, quand une clameur l'interrompit.

      La porte de la salle ouverte avec fracas, Tartarin paraît, un Tartarin ému, tragique, le sang aux joues, la barbe bouffante sur la croix blanche de son costume. Il salue de l'épée le Prieur tout droit sur sa miséricorde, puis les Pères l'un après l'autre, et, gravement:

      «Monsieur le Prieur, je ne peux plus tenir mes hommes… On meurt de faim… Toutes les citernes sont vides. Le moment est venu de rendre la place, ou de nous ensevelir sous ses débris.»

      Ce qu'il ne

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