Port-Tarascon: Dernières aventures de l'illustre Tartarin. Alphonse Daudet

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Port-Tarascon: Dernières aventures de l'illustre Tartarin - Alphonse Daudet

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du cristal, au lieu de l'eau saumâtre des citernes, à laquelle il était réduit maintenant.

      Tout de suite le Conseil fut debout, et dans une rumeur de voix parlant toutes ensemble exprima un avis unanime:

      «Rendre la place… Il faut rendre la place…» Seul, le Père Bataillet, un homme excessif, proposa de faire sauter le couvent avec ce qu'on avait de poudre, d'y mettre le feu lui-même.

      Mais on refusa de l'écouter, et la nuit venue, laissant les clefs sur les portes, moines et miliciens, suivis d'Excourbaniès, de Bravida, de Tartarin avec son gros de messieurs du cercle, tous les défenseurs de Pampérigouste sortirent, sans tambours ni clairons cette fois, et descendirent silencieusement la colline en une procession fantomatique, sous la clarté de la lune et le bienveillant regard des sentinelles ennemies.

      Cette mémorable défense de l'abbaye fit grand honneur à Tartarin; mais l'occupation du couvent de leurs Pères-Blancs par les troupes jeta au coeur des Tarasconnais une sombre rancune.

      Chapitre II

       La pharmacie de la Placette. — Apparition d'un homme du Nord. - - Dieu le veut, monsieur le Duc! — Un paradis au-delà des mers.

      Quelque temps après la fermeture du couvent, le pharmacien

       Bézuquet prenait un soir le frais, devant sa porte, avec son élève

       Pascalon et le Révérend Père Bataillet.

      Il faut dire que les moines dispersés avaient été recueillis par les familles tarasconnaises. Chacune avait voulu avoir son Père Blanc; les gens aisés, les boutiquiers, ceux de la bourgeoisie, en possédaient un en particulier; quant aux familles artisanes, elles s'associaient, se mettaient à plusieurs pour entretenir un de ces saints hommes, en participation.

      Dans toutes les boutiques on voyait une cagoule blanche. Chez l'armurier Costecalde au milieu des fusils, des carabines et des couteaux de chasse, au comptoir du mercier Beaumevieille derrière les rangées de bobines de soie, partout se dressait la même apparition d'un grand oiseau blanc qui semblait un pélican familier. Et la présence des Pères était pour chaque demeure une vraie bénédiction. Bien élevés, doux, enjoués, discrets, ils n'étaient pas gênants, ne tenaient pas une grande place au foyer, et cependant y apportaient une bonté, une réserve inaccoutumée.

      C'était comme si l'on avait eu le bon Dieu chez soi: les hommes se retenaient de jurer et de dire des gros mots; les femmes ne mentaient plus, ou guère; les petits restaient bien sages et bien droits sur leur chaise haute.

      Le matin, le soir, à l'heure de la prière, aux repas pour le Bénédicité et les Grâces, les grandes manches blanches s'ouvraient comme des ailes protectrices sur toute la famille assemblée, et, avec cette bénédiction perpétuelle au-dessus de leur tête, les Tarasconnais ne pouvaient faire autrement que de vivre saints et vertueux.

      Chacun était fier de son Révérend, le vantait, le faisait valoir, surtout le pharmacien Bézuquet, à qui la bonne fortune était échue d'avoir chez lui le Père Bataillet.

      Tout feu, tout nerfs, ce R. P. Bataillet, doué d'une véritable éloquence populaire, et renommé pour sa manière de raconter paraboles et légendes; c'était un superbe gaillard, bien découplé le teint brûlé, des yeux de braise, une tête de cabécilla. Sous les longs plis de l'épaisse bure, il avait vraiment belle prestance, bien qu'une épaule fût un peu plus haute que l'autre, et qu'il marchât de côté.

      Mais on ne s'apercevait plus de ces légers défauts, lorsqu'il descendait de chaire, après le sermon, et fendait la foule, son grand nez au vent, pressé de regagner la sacristie, tout vibrant encore, et secoué lui-même par sa propre éloquence. Les femmes enthousiastes, coupaient au passage avec leurs ciseaux des morceaux de sa cape blanche; on l'appelait à cause de cela le «Père festonné», et sa robe était toujours tellement déchiquetée, si tôt hors d'usage, que le couvent avait grand-peine à l'en fournir.

      Bézuquet, était donc devant la pharmacie avec Pascalon, et en face d'eux le Père Bataillet, assis sur sa chaise à la cavalière. Ils respiraient avec délices, dans une sécurité béate de repos, car en ce moment de la journée il n'y a, plus de clientèle pour Bézuquet. C'est comme pendant la nuit; les malades peuvent bien se rouler, se tortiller: le brave pharmacien ne se dérangerait pour rien au monde; l'heure est passée d'être malade.

      Il écoutait, ainsi que Pascalon, une de ces belles histoires comme, savait en conter le Révérend, pendant qu'au lointain de la ville ou attendait passer la retraite au milieu des fredons d'un beau couchant d'été.

      Tout à coup l'élève se leva, rouge, ému, et bégaya, le doigt tendu vers l'autre extrémité de la Placette:

      «Voilà monsieur Tar… tar… tarin!».

      On sait quelle admiration personnelle et particulière professait Pascalon pour le grand homme dont la silhouette gesticulante se détachait là-bas dans les brumes lumineuses, accompagnée d'un autre personnage ganté de gris, soigné de mise, et qui semblait écouter, silencieux et raide.

      Quelqu'un du Nord, cela se voyait de reste.

      Dans le Midi, l'homme du Nord se reconnaît à son attitude tranquille, à la concision de son lent parler, tout aussi sûrement que le méridional se trahit dans le Nord par son exubérance de pantomime et de débit.

      Les Tarasconnais étaient habitués à voir souvent Tartarin en compagnie d'étrangers, car on ne passe pas dans leur ville sans visiter comme attraction le fameux tueur de lions, l'alpiniste illustre, le Vauban moderne à qui le siège de Pampérigouste faisait une renommée nouvelle.

      De cette affluence de visiteurs résultait une ère de prospérité autre fois inconnue.

      Les hôteliers faisaient fortune; on vendait chez les libraires des biographies du grand homme; on ne voyait aux vitrines que ses portraits en «Teur», en ascensionniste, en costume de croisé, sous toutes les formes et dans toutes les attitudes de son existence héroïque.

      Mais cette fois ce n'était pas un visiteur ordinaire, un premier venu de passage, qui accompagnait Tartarin.

      La Placette traversée, le héros, d'un geste emphatique, désigna son compagnon:

      «Mon cher Bézuquet, mon Révérend Père, je, vous présente monsieur le duc de Mons…».

      Un duc!… Outre!

      Il n'en était jamais venu à Tarascon. On y avait bien vu un chameau, un baobab, une peau de lion, une collection de flèches empoisonnées et d'alpenstocks d'honneur… mais un duc, jamais!

      Bézuquet s'était levé, saluait, un peu intimidé de se trouver ainsi, sans avoir été prévenu, en présence d'un si grand personnage. Il bredouillait: «Monsieur le Duc…» Tartarin l'interrompit:

      «Entrons, messieurs, nous avons à parler de choses graves.»

      Il passa le premier, le dos rond, l'air mystérieux, dans le petit salon de la pharmacie, dont la fenêtre, donnant sur la place, servait de vitrine pour les bocaux à foetus, les longs ténias en tricot, et les paquets de cigarettes de camphre.

      La porte se referma sur eux comme sur des conspirateurs. Pascalon restait seul dans la boutique, avec l'ordre de Bézuquet de répondre aux clients et de ne laisser

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