La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард Вагнер

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La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung - Рихард Вагнер

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et nous y ressaisir hors du siècle, hors des illusions du temps et du lieu, en pleine Éternité seule vraie, en pleine surnaturelle Nature, en pleine profonde Humanité, générale, abstraite et pourtant vivante,—seule vivante, et seule absolue? Voulons-nous, ou ne voulons-nous pas comprendre, au bout du compte, qu'à l'Art seul, non pas à la science, il faut demander l'oubli de la vie par la représentation de la Vie? car, si la vie nous fait souffrir, elle seule aussi nous intéresse; et s'il est vrai que la pauvre science[17-1],—incapable de rien savoir,—peut seule fournir à l'Art les humbles éléments d'une miraculeuse transfiguration, il n'est pas moins certain que l'Art seul peut à son tour, comme le proclame Richard Wagner, se mettre à la place de la vie réelle, dissoudre cette réalité quotidienne dans une illusion, dans une illusion supérieure, grâce à laquelle ce soit la réalité même qui nous apparaisse illusoire![17-2]

      Voilà quelle est la question, dis-je: non pas spécialement musicale, non pas spécialement théâtrale, mais généralement artistique; non de réduire à d'huileux problèmes de machinerie la représentation d'une Walküre; non d'adapter Wagner au moule de nos guignols, où Wagner n'entrera qu'en le faisant éclater, sans utilité pour personne! mais de réfléchir sur l'Art et sur ce qu'est notre art, d'y réfléchir avec sérieux; et,—si nous répondons en notre âme et conscience à cette interrogation grave: «Voulons-nous, ou ne voulons-nous pas, un Art nouveau?» si nous y répondons: «Oui! Oui!», si nous avons reconnu que Wagner en peut être le précurseur, l'initiateur ou l'instituteur,—alors, seulement alors, d'adapter nos guignols à cet Art de Richard Wagner, jamais l'Art de Richard Wagner à l'indignité de nos guignols.

      Qui d'une piété semblable a cure? Ah! comme tous ont pris leur revanche, directeurs, chefs d'orchestre[18-1], interprètes et public, depuis que l'Œuvre immortel du trop pur génie mort est seul à se défendre contre eux! Quelle conspiration tacite, instinctive, pour faire ou pour laisser descendre à leur portée les conceptions de Richard Wagner, pour se spécialiser, pour se clapir chacun dans sa propre incompréhension, pour se congratuler entre eux d'admirer sans avoir compris, et de nous avoir—tel est leur crime, et l'inconscience est leur excuse,—proposé comme fidèles, et souvent imposé, leurs caricatures bien intentionnées!

      Que si tonnent ou détonnent des voix pour objecter: «Après tout, jeune énergumène, ces conceptions de votre Wagner sont des conceptions dramatiques: et, pourvu donc qu'on les représente...»—Oui! répliquera l'«énergumène», oui, des conceptions dramatiques! Des conceptions dramatiques certes! Mais c'est donc pour ne pas entendre que vous aviez des oreilles, lorsqu'à l'instant l'énergumène vous parlait nettement d'Art Nouveau (d'Art renouvelé, sans doute, eût été mieux exact)? Des oreilles, ah! vous en aviez pour entendre, ah! vous entendiez; mais écouter, voilà de quoi vous vous êtes passés: serait-ce que vous n'en êtes plus capables? Vous imaginez-vous qu'il s'agisse, par hasard, de je ne sais quel ronron sonore de paradoxe pour parade, agrémenté de sonneries de clairon, d'éternûments de cymbales et de canonnades de gong! Il s'agit de vérité, d'une vérité sérieuse, à dégager des «ouï-dire»: des falbalas de poupée, des fards de carnaval, et des corsets de prostituée, dont on a tour à tour cherché à déguiser, à maquiller, à déformer son éblouissante nudité de Belle-au-Drame-dormant sans défense. Il s'agit de vérité, d'une vérité sérieuse: vitalement, mortellement sérieuse! Car, pour dramatiques qu'elles soient en effet, les conceptions de Richard Wagner, à dater de la Tétralogie, y compris la Tétralogie, n'en demeurent pas moins inséparables de ses idées personnelles sur l'essence de l'Art, sur le but de l'Art; inséparables, affirmerai-je, de ses efforts pour démontrer que l'Art est la plus sacrée des choses, et, sous la forme du Théâtre, investissant d'une intense vie les plus cachés des sentiments, des émotions ou des passions, peut arracher un peuple d'hommes aux vulgaires intérêts qui les occupent tout le jour[19-1], pour rendre intelligibles, à ce peuple rassemblé, les plus hautes comme les plus profondes parmi les fins de l'humanité[19-2].

      Et que nul a priori n'ose ici chuchoter les inopportuns mots de «système» ou de pièces-à-thèse: supposer qu'après la lecture, et surtout après la représentation de n'importe quel Drame de Richard Wagner, n'importe quel homme pourrait classer ce Drame au nombre des pièces dites à thèse, enfantines anecdotes soufflées dignes de toute indignité, jamais d'un tel excès d'honneur,—ce serait faire à l'esprit critique ou bien à la bonne foi des uns, comme à l'intuition des autres, une injure gratuite autant qu'inutile. S'obstiner systématiquement à radoter du «système» de Richard Wagner, ce serait oublier que toute sa vie Wagner, avec une légitime fureur, s'est proclamé du monde l'homme le plus ignorant de ce que peut être ce «système». Et comment ne l'en croirait-on pas sur sa parole? Comment, lui qui toujours fut Artiste, et rien de plus (et qu'est-ce qu'on peut être de plus?), comment n'eût-il pas ignoré ce que peut bien être ce «système»? «Système» est vite dit, mais qu'est-ce que «système»? Par déduction, par induction, par toute quelconque méthode logique, arbitraire et présomptueuse, un esprit didactique, en son futile dédain des révélations inspirées, saura jour après jour édifier un «système», au moyen de matériaux choisis, cimentés par des raisonnements, sur un fonds de plausibilités phénoménales: après quoi sa royale raison condescendante voudra bien faire l'honneur au monde,—Choses, Nature, Vie Universelle,—de l'adapter, à son «système»! Maintenant donc, si c'est cela «système», nommera-t-on de ce vocable odieux les idées d'un Richard Wagner, en dépit d'un Richard Wagner? des idées issues, comme l'Artiste même, comme sa Musique et comme ses Drames, de la Réalité des Choses, des Profondeurs de la Nature, et du Cœur palpitant de la Vie Universelle! Plutôt dire que l'Art (qui, toujours, sait ce que souvent l'Artiste ignore)[20-1] lui révéla progressivement les horizons d'un nouveau monde, pressenti mais inexploré,—où Wagner lui-même éprouva le besoin de s'orienter et de se recueillir, pour son propre compte et tout seul, avant de révéler à son tour, aux hommes sceptiques de l'ancien monde, la merveille de sa découverte.

      Or je pose que révélateurs de cette merveille, ses Drames le sont! Ils le sont—à la condition sine qua non d'être exécutés comme il sied. Ils le sont—à la condition que les interprètes, à force de renoncement et de foi, méritent la descente, sur leurs têtes, des apostoliques langues de flamme, afin de pouvoir parler au Peuple[21-1], au cœur du Peuple, inconsciemment, l'idiome spirituel qui les en rendrait maîtres. Ils le sont—à la condition que ces interprètes, les acteurs comme les musiciens, les décorateurs comme les machinistes, ainsi devenus dignes du Drame, trouvent alors devant eux des gens rassemblés pour se «distraire», soit, mais pour se noblement «distraire», au sens le plus élevé du mot: c'est-à-dire pour s'abandonner sans réticences, sans infatuation critique, à l'ingénuité de leurs propres impressions, au lieu de chercher dans l'Œuvre d'Art tout autre chose que l'Œuvre d'Art, tout,—excepté cette Œuvre elle-même! Ces représentations idéales, par des interprètes idéals, devant un Public idéal, pour un Public dont le goût n'ait pas été faussé, tour à tour, par des habitudes, seconde nature contre nature, et par des conventions, et par des prétentions, et par des perversions, et par des concessions: ces représentations idéales, devant un Public idéal, pour un Public de Foule et de Peuple[22-1] si l'on veut, connaisseur,—mais de son ignorance, et par là propre à tout recevoir, à tout admettre, à tout sentir, à tout comprendre, à tout écouter jusqu'au bout la bouche béante, mais l'âme aussi, à ne se jamais scandaliser si le musicien comme le poète le veulent intéresser au Drame plutôt qu'aux interprètes du Drame; ces représentations idéales, révélatrices de l'Art nouveau découvert par Richard Wagner, révélatrices de ses idées mieux que toutes ses œuvres théoriques,—il n'y a plus à les espérer pour le moment.

      Non qu'elles soient irréalisables, et la preuve, c'est qu'il est au monde une ville où l'effort des Barbares, l'hostilité des scènes allemandes, la vanité des interprètes, l'inintelligence des publics et le scepticisme de la presse n'empêchent point qu'elles se réalisent! Réalisables, elles le seraient donc, en Allemagne, en France et partout, mais il faudrait que certains, pour les organiser, consentissent d'abord à s'instruire, à toutes grandes ouvrir leurs petites cervelles au souci de savoir de quoi il s'agit. Il faudrait

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