La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард Вагнер

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La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung - Рихард Вагнер

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s'en évader vers le ciel de l'Art,—désormais irradié, pour elle, du pur, de l'omniscient soleil de Beethoven[41-1]. Lente prise de possession, mais ininterrompue, d'un domaine infini jusqu'au vertigineux! il semblait à Wagner, depuis cette audition de la Symphonie avec Chœurs, que Beethoven lui-même, parfois, du fond de cet infini sacré, lui parlait, l'inspirait, guidait son vol novice, le vol métaphorique et vague de ses intuitions déprises; et alors, ces paroles de l'invisible guide, du guide invisible et présent, imaginairement entendues, réellement entendues pourtant, Wagner les confiait au papier. Elles lui suggéraient, ces paroles, que, dans le primordial univers, organes de la Nature créée, les sons des instruments futurs préexistaient, bien avant même qu'il fût des hommes; elles lui suggéraient, d'autre part, que pour ces hommes la voix humaine est l'interprète du cœur humain, l'immédiat interprète de tout ce qui constitue,—sensations, sentiments, passions,—la Personnalité abstraite, objet plus limité sans doute que la Nature, mais combien plus clair et précis! Elles concluaient enfin, ces suggestives paroles, que si l'Art parvenait à traduire la Nature,—infinie, imprécise, concrète,—au moyen de l'instrumentation; la Personnalité,—finie, précise, abstraite,—au moyen du langage humain, de la voix humaine; si l'Art parvenait, la Nature traduite, la Personnalité traduite, à rendre évidente, dramatique, sensible, la vivante réciprocité perpétuelle, soit de leurs relations générales, soit de leurs réactions plus particulières; si l'Art réussissait, en outre, à poser dans ses œuvres l'Ame (exprimée par la voix humaine) comme le régulateur des élans, des conflits et des violences de la Nature (exprimée par les instruments),—le cœur de l'auditeur, du spectateur, de l'homme, s'ouvrirait à cette «forme artistique idéale», qui «peut être entièrement comprise sans réflexion[42-1]», à ces émotions si complexes, à cette révélation, quasi surnaturelle, des seules Réalités du monde.

      Maintenant donc, puisque nous parlions auparavant, non de la Symphonie avec Chœurs, mais de la Juive, et du Freyschütz, et de l'opéra, et des impressions produites par la Juive, par le Freyschütz, sur Richard Wagner, et des problèmes déconcertants proposés, à Richard Wagner, relativement à l'opéra, par la différence même de pareilles impressions: quel rapport avec l'opéra peuvent avoir et cette Symphonie, et toutes ces prétendues «paroles» conditionnelles de Beethoven, tous ces prétendus «Si» posthumes?—Avec l'opéra? Quel rapport? Aucun: mais aussi est-ce bien là pourquoi cette Symphonie, ces prétendues «paroles», ces «Si», permettaient à Richard Wagner de pressentir, aussitôt après Rienzi, la solution définitive: la nécessité d'une rupture, totale, avec le genre de l'opéra. Et la preuve, c'est qu'après ces prétendues «paroles», imaginairement entendues, réellement entendues pourtant, Wagner attribuait en outre à Beethoven, comme une conséquence naturelle, cette déclaration que, pour lui Beethoven, il ne voyait dans l'opéra, avec ses ariettes, avec ses duos, avec tout le bagage convenu qui l'encombre, que mensonge et vide musical sous les plus brillantes apparences, bref un genre, bien moins artistique qu'artificiel, à radicalement réformer, malgré la révolte certaine et des chanteurs, et du public. Ne suffirait-il point de lire ces phrases pour apercevoir, quand bien même Wagner n'aurait pas pris soin de le rappeler ailleurs, que l'éclat de l'idéal parisien avait déjà dès lors bien pâli à ses yeux, et qu'il commençait à puiser les lois, destinées à déterminer la forme de ses conceptions, à une autre source qu'à cet océan de la publicité officielle, qui s'étendait devant lui en France?[43-1]—Evidemment. Mais cette évolution, produite par l'efficace de la Symphonie avec Chœurs, et qui, loin de s'annoncer comme une révolution, restait réduite encore à l'état d'idées vagues, il fallait en une œuvre l'extérioriser: car si d'une part c'était en effet Beethoven qui avait suggéré, même vagues[43-2], ces idées fécondes à Richard Wagner, d'autre part Beethoven, pourtant, faute d'avoir trouvé un poème qui ouvrit une libre carrière au déploiement de sa toute-puissance musicale, n'avait pas laissé l'œuvre-type[43-3] qui leur aurait correspondu.

      Hé bien, puisque d'ailleurs des idées toutes pareilles, comme l'avoue humblement Wagner, s'étaient sans aucun doute présentées dès longtemps aux grands maîtres ses précurseurs[43-4], même à ceux chronologiquement indépendants,—tel Glück,—de l'influence de Beethoven; puisque les successeurs de Glück étaient arrivés, pas à pas, à grandir, à lier entre elles, les traditionnelles formes roides, autant qu'étroites, de l'opéra; puisque, à la condition, toutefois, d'être soutenues par une situation dramatique un peu forte, ces formes suffisaient, parfaitement, à ce qui est le but suprême et supérieur de l'Art; puisque le grand, le puissant, le beau, dans la conception, sont choses qu'on peut, Wagner ne l'a jamais nié, rencontrer dans beaucoup d'ouvrages de maîtres justement célèbres[44-1]: existait-il pour le théâtre, à défaut d'une création-type de Beethoven, existait-il, de ces grands maîtres, une création sinon modèle, tout au moins issue, consciemment ou non, de besoins, de désirs, d'intuitions, d'idées, analogues aux besoins, aux désirs conscients, aux intuitions, aux idées conscientes, suscités, en Richard Wagner, par l'audition de la Symphonie avec Chœurs? Existait-il une création propre à préciser, pour lui-même, au moyen d'exemples directs, au moyen d'éléments concrets de comparaison, les conditions suivant lesquelles il pourrait extérioriser, en une œuvre viable et significative, ses nouvelles vues beethoveniennes? Dans tous les cas, si d'aventure elle existait, cette création, facile est-il de voir que ce n'était guère la Juive. Quoi? le Freyschütz alors? Plutôt! Aussi bien n'est-ce pas sans motif que j'ai choisi, pour les nommer, ces deux opéras parmi tous: l'un, la Juive, à cause de sa date[44-2]; l'autre, le Freyschütz, à cause d'un document, dont l'authenticité m'oblige à signaler l'œuvre fantastique de Weber, interprétation d'une légende, comme ayant, la première après la Symphonie, provoqué chez Wagner une crise que, classiquement, j'appellerais volontiers sa «nuit de révélation»: c'est au retour, en effet, d'une représentation du Freyschütz à l'Opéra qu'il conçut avec enthousiasme, en 1841, quelle mission s'imposait alors, après Beethoven et Weber, au musicien allemand, au dramaturge allemand: celle de rassembler dans le lit du Drame, mais surtout du Drame légendaire, le torrent de la musique allemande, tel que Beethoven l'avait faite[45-1]. Ce musicien, ce dramaturge, Wagner l'était-il? Pas encore. Eh bien donc, il fallait essayer de le devenir, les Richard Wagner, non plus que tel de ses indignes traducteurs, n'étant de ceux qui savent reculer devant le péril de manifester, à la face d'un monde de mensonge, leur foi militante en la Vérité.

      Tout d'abord, dès le Vaisseau-Fantôme inclusivement (duquel vers et musique, excepté l'ouverture, furent terminés en sept semaines, aussitôt après Rienzi, et qui, dans sa pensée première, ne devait avoir qu'un seul acte), Wagner, décidé à changer de sujets, abandonna, une fois pour toutes, le terrain, comme il dit, de l'Histoire, pour s'établir sur le terrain, plus musical, de la Légende. Pourquoi? Mais à seule fin de pouvoir «laisser de côté» l'infini «détail nécessaire pour représenter et décrire le fait historique et ses accidents,» tout l'infini détail «qu'exige, pour être parfaitement comprise, une époque spéciale et reculée de l'histoire, et que les auteurs de drames et de romans historiques déduisent, par cette raison» fatale, «d'une manière si circonstanciée[45-2].» Et si, cet infini détail, Wagner tenait tant à le «laisser de côté», c'est que l'obligation d'en tenir compte équivalait à celle, plus grave, de traiter dans son Drame la partie poétique, la partie musicale surtout, suivant un mode incompatible, à ses yeux, avec chacune d'elles, et principalement avec la dernière. Car, pour la partie poétique: le seul tableau de la vie humaine qui doive être appelé poétique est celui dans lequel les motifs, qui n'ont de sens que pour la raison, sont remplacés par les mobiles tout humains qui gouvernent le cœur[45-3]. Et, pour la partie musicale: qui ne comprend que si l'Histoire, les sujets historiques, peuvent à la rigueur n'avoir rien à perdre à l'intervention de l'harmonie, de la mélodie, de la symphonie, l'Histoire, les sujets historiques, ont encore moins à y gagner? Qui ne voit que si la Musique, sans nul doute, est une langue, cette langue, loin d'être faite pour de pareils sujets, loin d'être apte à nous représenter les résultats de l'analyse intellectuelle,—bien plus, loin d'être intelligible au moyen des lois de la logique,—ne saurait être, au contraire, que l'écho synthétique de toute la Vie en son essence, impénétrable à l'analyse;

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