La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард Вагнер
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Si nous voulons un Art nouveau, comme l'a voulu Richard Wagner;
Si nous voulons nous initier à ce qu'a voulu Richard Wagner;
Si nous ne pouvons l'aller apprendre à Bayreuth, la seule ville du monde où des représentations suffisent à l'initiation complète:
Alors, seulement alors,—mais alors avant tout:
Etudions les idées de Wagner, les origines de ces idées, les conséquences de ces idées; complétons cette étude par celle d'une Traduction, en prose, de la Tétralogie.
Gardons-nous d'aborder cette Traduction, d'ailleurs, sans la prudence indispensable. Et (ce sera notre dernier Puisque) et puisque le Poème de la Tétralogie, conçu, écrit même en partie, ne put être achevé par Wagner avant qu'il se fût rendu compte, par la méditation abstraite, des principes théoriques conformément auxquels ce quadruple Poème, enfin, révélerait la nécessité, prouverait la possibilité d'un Art dramatique intégral intuitivement pressenti: à notre tour,—après les idées générales, les origines de ces idées, les conséquences de ces idées; avant la Traduction, en prose, du quadruple Poème du Ring,—examinons les trois ouvrages dénommés, par Wagner lui-même, «l'expression abstraite» de ce Ring, «qui s'était développé en lui comme une production spontanée.»[35-1].
N'est-il pas vrai qu'ensuite nous aurons bien des chances pour apprécier avec justesse, en chacun des Drames de l'Anneau, et les caractères du sujet, et la tendance de ce sujet, et le mode dramatique dans lequel il est traité, et quelle part, à la conception, à l'exécution de ces travaux, quelle part eut l'esprit de la Musique?—Mais oui, nous les aurons, ces chances! Et des chances aussi pour savoir: ce qu'il y a lieu de rechercher dans une Traduction de cet Anneau, dans celle-ci en particulier; dans une Edition de cet Anneau, dans celle-ci en particulier; comment il faut lire la première, comment consulter la deuxième; comment compléter l'une et l'autre au moyen, tantôt d'une lecture, tantôt d'une représentation, tantôt d'une audition dans un concert public. Car je le répète: une traduction ne suppléerait certes, à mon avis, ni aux représentations françaises, tout antiwagnériennes qu'elles soient, ni aux sélections des concerts publics, plus anti-wagnériennes encore: mais peut-être permettrait-elle, précédée de cet Avant-Propos, flanquée d'irrécusables gloses, peut-être permettrait-elle seule: d'aller à ces représentations, d'assister à ces sélections, sans ignorer d'avance et ce qu'il convient d'en prendre, et ce qu'il importe d'en laisser.
II
L'heure est venue des phrases didactiques: pourquoi suis-je un artiste, hélas! Car, si chétive que soit ma personnalité, elle n'en éprouve pas moins combien, à tout artiste, du plus génial au plus chétif, s'appliquent, inéluctablement, certaines doléances de Wagner lui-même[36-1], réduit à des phrases didactiques. J'essayerai d'être clair, pourtant! quelque «anormal» que soit l'état dans lequel j'ai placé mon esprit par foi; quelque «étrange supplice» que m'impose, à moi comme à Richard Wagner, un semblable «anormal» état. Et, quand je me sentirai trop proche de cette «impatience passionnée» qui m'empêcherait, suivant Wagner, de consacrer au style le temps obligatoire: ou, si je me sens trop loin du «calme» et du «sang-froid» qui doit être «le propre du théoricien», j'abdiquerai ma voix personnelle, pour faire ou pour laisser parler celle du génie[37-1]. Aussi bien n'est-ce pas moi qui compte ici pour rien; et ce n'est pas d'être original que je me propose, mais d'être exact.
Qu'il me soit avant tout permis de remémorer que, si insuffisantes que soient la plupart des biographies françaises de Wagner, je n'ai pu pour cet Essai songer qu'à préciser, parmi les circonstances de sa carrière d'artiste, celles qui m'ont semblé plus directement intéresser le présent labeur de Traduction et d'Edition. Sûr dès lors, de par cette déclaration catégorique, pour la deuxième fois formulée, qu'on ne m'imputera pas à forfait certaines omissions volontaires, je tendrai droit au but et tout d'abord noterai: quiconque recherchera quels faits, dès l'enfance de Richard Wagner, purent être significatifs d'une évidente vocation d'Art, constatera la précoce facilité qu'il eut à s'exprimer en vers métriques. «Ce ne fut que plus tard» dit-il lui même,—quand déjà ses études, l'ayant fait pénétrer dans l'antiquité surtout grecque[37-2], lui avaient inspiré maints poétiques essais,—ce ne fut que relativement fort tard qu'il en vint à perfectionner son éducation musicale: à seule fin d'«écrire un accompagnement» pour une «tragédie» composée par lui[38-1]. Je n'irai pas jusqu'à en conclure que Wagner eut, dès la mamelle, l'intuition de son futur Drame-Musical-Poétique-Plastique; je me contenterai de faire observer à quiconque aurait l'inconscience, niant Richard Wagner poète ou Richard Wagner dramaturge, d'affirmer quelque admiration pour Richard Wagner «musicien», qu'en dépit de ces dénégations, en dépit de ces affirmations, le développement logique et l'éveil progressif sont prouvés, du génie de Wagner, du génie total de Richard Wagner: l'éveil progressif du poète, par l'enfant versificateur; du dramaturge, par le poète; et du musicien par tous trois,—sans lesquels il n'eût pas été!
D'ailleurs n'est-ce pas à dire, pour cela, qu'il faille attribuer ni que j'attribue moi-même, aux premiers libretti de Wagner adolescent, vrais libretti[38-2] ni plus ni moins! une bien grande valeur poétique. Au contraire, et quelques très prophétiques symptômes qu'ils offrent tous, il est certain que Richard Wagner, en écrivant, à vingt-cinq ans, le moins inégal et le dernier des livrets de sa première manière, Rienzi, ne songeait encore (on l'en peut croire) qu'à l'élaboration d'un texte d'opéra, qui lui permettrait «de réunir toutes les formes admises et même obligées de grand opéra proprement dit[39-1]», des introductions, des finales, des chœurs, des airs, des duos, des trios, tout en y déployant «toute la richesse possible[39-2]». Et comment Rienzi eût-il, quand on y pense, marqué «aucune phase essentielle dans le développement des vues sur l'Art[39-3]» qui, plus tard, dominèrent Wagner? Conçu en Allemagne et commencé là, «sous l'empire de l'émulation» excitée en lui par les impressions, «les jeunes impressions» dont l'avaient «rempli», tantôt l'ample style «héroïque» des opéras d'un Spontini, tantôt le «genre brillant», trop brillant, du Grand Opéra parisien, d'où lui arrivaient des ouvrages portant les noms fameux d'Auber, de Meyerbeer et d'Halévy[39-4],—Rienzi ne fut-il pas achevé, quant à la partie musicale, pendant le premier séjour de Wagner à Paris? Les représentations du Grand Opéra, la perfection de l'exécution, les splendeurs de la mise en scène, pouvaient-elles manquer d'éblouir[39-5], alors, un artiste jeune, arrivant d'Allemagne, accoutumé, comme chef d'orchestre, aux ridicules misères d'un guignol de Riga, et, circonstance plus périlleuse, en quête de la direction propre à donner à ses facultés? Mais aussi cet éblouissement, la première stupeur dissipée, devait nécessairement, par le contraste même, contribuer à révéler, au sens artistique de Wagner, l'indigence musicale,—ci-dessous déterminée,—et la pauvreté poétique d'un genre, qui n'éveillait en lui, somme toute, que des sensations d'ordre assez grossier. Qu'en Allemagne la Juive l'eût enflammé si peu, tandis qu'à l'Opéra la Juive l'«éblouissait», quoi donc! la cause en était-elle, en tout et pour tout, imputable, aux ridicules misères des guignols de l'Allemagne? Le genre n'y était-il pour rien? L'œuvre n'y était-elle pour rien? Car enfin, comment se faisait-il que même ces ridicules misères des guignols de province allemands, même l'imbécillité du livret germanique, ne l'eussent pas empêché, lui, Richard Wagner, d'être jusqu'aux entrailles ému d'un Freyschütz?
Problèmes déconcertants, mais non pas insolubles: la solution, Wagner la pressentait bientôt, lors d'une audition, au Conservatoire, de cette Symphonie avec Chœurs à laquelle